Dans la brume froide d’un long hiver, quoi de plus heureux qu’une lueur chaude dans le lointain ? Depuis la petite vigie de notre revue, j’en aperçois deux.
L’une est chaude et brillante comme l’étoile d’une révolution. Trop loin d’elle encore pour s’assurer de sa nature, on n’a pas arrêté son nom. Ou plutôt on lui en donne encore trop : fab labs, communs, logiciel libre, révolution informationnelle, économie de la contribution, makerspaces et autres anglicismes intraduisibles1… Le temps aura du tri à faire dans le sac à fantasmes, tant le numérique en réseau est porteur d’espoirs comme de craintes. Rapports sociaux émancipés ou Big Brother traçant ses enclosures jusqu’à l’intérieur de nos têtes ? Une chose semble sûre : il reste du chemin pour que cette partie de l’histoire se réalise.
En attendant, il est une autre lueur, plus tangible, plus proche… assez proche pour que l’on puisse la nommer. Économie circulaire. C’est à elle que nous consacrons ce dossier.
Car si on lit bien les auteurs de ces pages, elle annonce un rivage de circuits courts, d’agroforesterie, d’écologie industrielle, d’usage raisonné des ressources et de respiration humaine. Et promet de nous sortir des eaux glacées du gaspillage, du jetable, de la surexploitation des hommes et de la nature, des pillages néocoloniaux et de la mondialisation aberrante. Rien de moins.

Sauf que ces lueurs dans la brume naissent comme des feux follets de la carcasse des monstres de l’entre-mondes. L’économie circulaire n’y échappe pas, qui fleurit au bec des vautours du capital, toujours à l’affût de nouvelles sources de profit. Quand pour nous il s’agit de rien moins qu’un moyen de prendre soin du monde et de notre humanité, leur rapacité l’étouffe en green business et prétexte à spoliation d’argent public. Et ce n’est pas le seul piège. Dans le clair-obscur, ombres et lumières se mêlent et les obscurantismes répandent leurs brouillards toxiques en lourdes nappes brunes porteuses de toutes les régressions, mais aussi en brumes verdâtres plus légères et capiteuses, attrayantes presque et pourtant capables de porter au bûcher l’apprenti sorcier forcément productiviste qui sommeillerait en tout homme de science ou de technique.
Alors oui, l’heure est à l’économie circulaire en action. Une action prudente mais résolue. Nous avons à sortir nos sociétés de la bêtise systémique pour renouer avec l’avenir. Une « urgente nécessité », disent Roland Charlionet et Luc Foulquier. « On ne peut faire semblant », ajoute Philippe Antoine. Nous devons prendre l’intelligence humaine au sérieux, et pour cela passer partout à la pratique. Dans nos villes, dans nos campagnes, dans nos entreprises et à tous les niveaux où l’état de nos forces le permet, l’économie circulaire offre des opportunités pour agir.
Agir en gardant toujours pour boussole la primauté de l’humain, être vivant doué de raison habitant une fragile niche écologique à préserver. Nous avons la résolution de ceux qui savent la rudesse du vieux monde mourant et l’espérance des lueurs de celui qui commence à naître. Alors ramons, ramons sans attendre. Et gardons-nous des écueils de la captation égoïste comme des brumes d’obscurantisme qui pourraient nous faire perdre le cap du progrès.
Une réflexion sur “COMME UNE LUEUR DANS LA BRUME, SÉBASTIEN ELKA”