*REACH :enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des produits chimiques.
Une industrie qui pèse 613 milliards d’euros par an et plus d’un million d’emplois. Le règlement européen REACH est une petite révolution qui concerne plus de 30000 substances chimiques. Cette réglementation est une première mondiale pour responsabiliser les industriels. Beaucoup reste à faire cependant.
Certes, la chimie a été trop souvent mise au service de la mort avec les armes chimiques, notamment pendant la première guerre mondiale, mais c’est le fait de la barbarie dont l’homme est capable. La chimie doit être source de vie. Il est absolument nécessaire et juste de rappeler que la chimie est indispensable à la vie et qu’elle intervient dans de nombreux domaines de notre vie quotidienne: santé, bâtiment, automobile. La France en est le deuxième producteur européen et le cinquième mondial. L’industrie chimique a fait d’énormes progrès en termes de sécurité et de protection environnementale, dus aux progrès des sciences et des technologies et aux luttes syndicales, avec les CHSCT (Comités d’hygiène de sécurité et des conditions de travail).
La France est certainement un des pays où les normes environnementales et les règles de sécurité sont les plus drastiques, celles-ci contrôlées par la DREAL (Direction régionale de l’environnement de l’aménagement et du logement). Cela n’est pas sans rapport non plus avec le fait qu’existe dans notre pays un syndicalisme de lutte de classes, indépendant de la finance et des pouvoirs politiques. On peut d’ailleurs s’interroger sur un rôle à jouer de l’Europe: une régulation est nécessaire et juste pour les normes environnementales et de sécurité sur tous les territoires européens. Comment se fait-il qu’en Allemagne, premier producteur européen, les PPRT (plan de prévention des risques technologiques) n’existent pas? L’Europe n’est-elle pas régie par des règles de concurrence libre et non faussée avec le souci d’un environnement sain?
Pour ce qui est du reste de la planète, on n’ose vous en parler! il est des continents « attractifs » comme l’Asie où l’industrie chimique se délocalise très volontiers ces dernières années, où il n’existe pas encore de Code du travail, ni de règles de sécurité, ni de normes environnementales contraignantes, de syndicats indépendants, ou d’inspecteurs du travail, et d’organismes de contrôles indépendants. Les stratégies d’actionnaires qui n’ont rien d’industrielles, y règnent en maîtres, et n’ont pour seule éthique que les profits!
REACH: LE PRINCIPE « PAS DE DONNÉES, PAS DE MARCHÉ »
REACH est un règlement européen dont les initiales signifient « Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des produits chimiques». Il s’applique directement à tous les états membres de l’Union. L’objectif affiché mêle des préoccupations sur la santé humaine et l’environnement, mais aussi une volonté de maintenir la compétitivité des entreprises et de renforcer l’innovation. REACH a institué l’Agence Européenne des Produits Chimiques (ECHA) basée à Helsinki (Finlande) et a créé un processus complexe d’enregistrement, désormais à la charge des entreprises, pour de nombreuses substances chimiques, dont l’impact sur la santé et l’environnement doit obligatoirement avoir été évalué pour bénéficier d’une autorisation de production, d’importation, de vente ou d’utilisation.
LA SITUATION AVANT REACH
REACH était censé atténuer les lacunes de la législation antérieure. Avant 1981, une réglementation s’intéressait aux substances nouvelles de volume supérieur à 10kg l’an (enregistrement obligatoire nécessitant une évaluation), mais les 100000 substances déjà utilisées n’étaient pas concernées. À partir de 1993, une petite minorité de substances jugées préoccupantes pour la santé humaine a fait l’objet d’une « liste prioritaire » pour en évaluer l’impact : 141 substances, pour lesquelles en pratique il n’y a eu que 39 évaluations.
LA VERSION FINALE DE REACH: UN COMPROMIS AVEC LES INDUSTRIELS
REACH, adopté fin 2006 et entré en application courant 2007, répond à des préoccupations légitimes et reflète une pression de l’opinion publique bien au-delà des écologistes. Mais sa mise en place n’a pas été simple, le projet ayant d’abord déclenché une levée de boucliers des industriels : REACH allait provoquer une distorsion de concurrence entre les Européens et les autres, favorisant les produits importés de pays moins regardants ; REACH allait coûter aux entreprises pour la réalisation des études d’évaluation sur la santé et l’environnement.
La version finalement retenue a fait la part belle aux doléances des industriels; les polymères (plastiques…), les intermédiaires d’apparition transitoire dans un processus industriel, ont été dispensés d’évaluation. REACH a exclu les produits de quantité inférieure à 1 tonne (une régression pour les produits nouveaux entre 10 kg et 1t!) En pratique, REACH ne concerne plus qu’une fraction, d’environ un tiers à la moitié des substances existantes. Fabricants non européens et importateurs sont logés à la même enseigne que les producteurs européens: l’enregistrement et les coûts associés aux études concernent tout le monde. Ces coûts peuvent devenir un facteur d’élimination des entreprises les plus faibles, ou de celles pour lesquelles le produit chimique concerné n’est pas stratégique (les groupes peuvent avoir des centaines de substances à enregistrer et ils n’engageront pas des dépenses pour toutes). REACH va donc dans le sens d’un « nettoyage du portefeuille » des groupes, surtout pour les substances anciennes, précipitant l’arrêt de productions trop peu rentables ou non stratégiques et la concentration du marché entre quelques mains.
DES DATES BUTOIRS POUR L’ENREGISTREMENT
Il existe des dates butoirs, au-delà desquelles les substances connues non enregistrées ne seront plus autorisées, et les substances autorisées ne le seront que pour ceux qui auront fait la démarche de l’enregistrement. Le pré-enregistrement obligatoire a eu lieu en 2008. La date d’enregistrement a été étalée en fonction des volumes et de la toxicité connue des produits :
• décembre 2010 pour les quantités supérieures à 1 000 t/an, mais aussi supérieures à 100 t/an pour les produits toxiques ou néfastes pour les organismes aquatiques, et supérieures à 1 t/an pour certains CMR (cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction)
• juin 2013 pour les quantités entre 100 et 1000 t/an
• 31mai 2018 pour les quantités entre 1 et 100 t/an.
Ces dernières concernent de loin le plus grand nombre de substances, entre 25 000 et 50 000 (contre 3 400 en 2010 et 3 000 en 2013) et impliqueront bien davantage les PME. Or, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a déjà conclu que 61 % des 1130 dossiers évalués sur la seule année 2013 étaient non conformes à une ou plusieurs exigences de REACH. 2018 est donc un défi, et c’est d’ici là que les choix d’abandon de produits par les industriels seront les plus nombreux, ce qu’ils feront assurément payer à leurs propres travailleurs.
DES RISQUES ACCRUS DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES
REACH pousse les industriels à mutualiser les connaissances et les études dans des SIEF (forums d’échange d’informations sur une substance). Les associations et ONG peuvent payer pour y participer, mais en pratique cela provoquera surtout des échanges d’informations entre industriels, alors que l’industrie chimique est l’une des industries le plus souvent mise en cause pour « ententes illicites ». Les études d’évaluation ayant un coût auquel tout membre du SIEF doit participer, selon des règles de répartition à définir librement dans chaque SIEF, on ne peut exclure que certains réalisent des études volontairement coûteuses pour barrer la route à des concurrents ou à des associations.
UNE EFFICACITÉ RÉDUITE EN MATIÈRE DE SANTÉ ET D’ENVIRONNEMENT
Les substances présentant un danger pour la santé ou l’environnement sont réglementées, mais rarement interdites. Les quelques dizaines de substances « extrêmement préoccupantes » (autorisations plus contraignantes) font l’objet d’une attention particulière. De fait, les substances dangereuses sont maintenues pour peu que les industriels démontrent qu’ils ne peuvent pas les remplacer, qu’ils travaillent sur des substituts (ce qui peut durer longtemps), ou que le risque est géré. Inversement, REACH peut être utilisé par des groupes qui lanceraient un produit de substitution présenté comme moins nocif mais pour lequel on manquerait de recul, pour éliminer d’autorité les producteurs d’une ancienne substance bon marché et imposer au tarif fort leur nouveau produit au consommateur en bénéficiant d’une position de monopole quitte à découvrir ensuite que le produit n’amène aucune amélioration. Un tiers des maladies professionnelles dérive du risque chimique.
UNE ÉTAPE VERS LA PRÉVENTION ET LA MAÎTRISE DES RISQUES
Les tentatives européennes de régulation visant à mieux faire connaître l’innocuité ou la nocivité des innombrables substances chimiques industrielles de notre environnement sont louables. Mais elles restent bien insuffisantes au regard de ce qui serait nécessaire pour préserver la santé humaine et l’environnement. Elles sont aussi bien trop conciliantes avec les intérêts des industriels organisés en lobbys efficaces. Tant que l’industrie sera aux mains d’intérêts privés (ou d’intérêts publics préparant un retour au privé), on pourra lui faire confiance pour vider certaines mesures de leur substance, développer des stratégies anticoncurrentielles, faire payer les arrêts d’activité à leur propre personnel et faire payer au consommateur final les coûts liés à REACH ou à la mise au point de produits de substitution.
André Mondange est salarié de l’industrie chimique et syndicaliste.