Un anniversaire : les cent ans du livre de Jean Perrin « Les atomes », AURÉLIE BIANCARELLI-LOPES

Le 25 octobre 2013, le CNRS célébrait le centenaire de cet ouvrage. De nombreux spécialistes de la chimie moderne se sont succédés à la tribune, revenant sur la contribution de ce grand scientifique français : ouvrage de référence pour de nombreux chimistes et physiciens.

« Molécule : Il y a vingt siècles peut-être, sur les bords de la mer divine, où le chant des aèdes venait à peine de s’éteindre, quelques philosophes enseignaient déjà que la matière changeante est faite de grains indestructibles en mouvement incessant, atomes que le hasard ou le destin auraient groupés au cours des âges selon des formes ou les corps qui nous sont familiers. Mais nous ne savons presque rien de ces premières théories. »

Jean Perrin « Les Atomes », Paris 1913

Le livre de Jean Perrin jette là les bases de la chimie et de la physique moderne; il sera réédité plusieurs fois entre 1913 et 1973, pour intégrer les évolutions rapides de la science. La dernière édition revue et corrigée par Francis Perrin en 1973, comporte un résumé des progrès accomplis sur la connaissance de la structure de l’atome.

UN PHYSICIEN FRANÇAIS ENGAGÉ

Né à Lille en 1870, physico-chimiste et homme politique français, il reçoit le Prix Nobel de Physique de 1926 « pour ses travaux sur la discontinuité de la matière, et particulièrement pour sa découverte de l’équilibre de sédimentation ». Dans sa thèse, il démontre que les rayons cathodiques (ordinateurs et télévisions) sont composés de particules chargées négativement. Au cours de sa carrière, il valide expérimentalement la théorie du mouvement brownien d’Einstein et effectue les premières mesures expérimentales du nombre d’Avogadro (voir encadré p. 37). L’apport de Jean Perrin ne se limite pas au seul domaine de la science. Conscient de l’importance et de la place des sciences au début du XXe siècle, il participe à la diffusion des connaissances en direction du grand public. Il crée en 1937 le Palais de la Découverte, dont l’objectif était de « rendre manifeste la part déterminante que la Science a prise dans la création de notre civilisation et faire comprendre que nous ne pouvons espérer rien de vraiment nouveau, rien qui change la destinée, que par la recherche et la découverte ».

Il est également Sous-Secrétaire d’État chargé de la recherche scientifique dans le premier gouvernement de Léon Blum, remplaçant en septembre 1936 Irène Joliot-Curie. Il occupera à nouveau ce poste dès mars 1938 dans le second gouvernement Blum. Il organise la fusion de la Caisse Nationale de la Recherche Scientifique avec l’Office National des Recherches Scientifiques et des Inventions en 1938. Et c’est ce Centre National de la Recherche Scientifique Appliquée, qui devient, le 19 octobre 1939, le Centre National de la Recherche Scientifique ayant la visée, à l’époque, de réunir tous les organismes de recherche fondamentale ou appliquée pour coordonner les recherches à l’échelon national.

« LES ATOMES » DE JEAN PERRIN, LE LIVRE DE 1913

C’est un compte rendu synthétique de ses travaux où il confronte ses résultats à ceux d’autres méthodes. L’écriture de ce livre participe à cette volonté de faire partager à un vaste public scientifique les connaissances alors nouvellement acquises sur la structure de l’atome. Au-delà d’un vaste exposé magistral de la théorie atomique et de l’état de l’art, il s’attache à faire comprendre à son lecteur la validation expérimentale de la théorie de l’atome. Il utilise pour cela la concordance exceptionnelle de mesures de la valeur du Nombre d’Avogadro, réalisées à l’aide de différentes méthodes. Il s’inspire entre autres des travaux de Boltzmann sur la distribution des énergies, ou d’Einstein sur le mouvement brownien qui décrit le déplacement aléatoire de particules. De nombreuses déterminations réalisées avec ses collaborateurs conduisent à une valeur NA=6,8.1023mol−1. La méthode, inspirée de Boltzmann, consistait en l’étude de la répartition en altitude de grains d’une suspension colloïdale dans un liquide. D’autre part Einstein, dans son étude du mouvement brownien, avait montré que le carré moyen du déplacement <X^2> d’une particule est proportionnel au temps t : <X^2> = 2.Δ.t où la détermination de Δ permet de remonter à la valeur de NA qui est alors NA=6,4.1023 mol−1.

C’est la convergence de ces mesures, obtenues par des méthodes différentes, qui conduit les physiciens du début du XXe siècle à accepter la réalité de l’existence des atomes et des molécules. La valeur communément admise aujourd’hui du nombre d’Avogadro est

NA = 6,02214129(27) Å~ 1023 mol−1.

LA PHYSIQUE ATOMIQUE MODERNE

Dès lors, les physiciens du début du siècle vont s’intéresser à la structure de l’atome. Différents modèles sont proposés au début du XXe siècle. L’atome selon Thomson est une sorte de « pudding» dans lequel les électrons (chargés négativement) baignent dans un volume chargé positivement. Son modèle est invalidé par l’expérience de Rutherford qui conduit à un nouveau modèle de type planétaire. Il est lui-même très rapidement mis en défaut d’une part, par les équations de Maxwell qui prédisent que toute charge accélérée (ici l’électron autour du noyau) rayonne de l’énergie, et d’autre part, par des expériences qui montrent la quantification des niveaux d’énergie. C’est Bohr qui le premier propose un modèle tenant compte de cette quantification de l’énergie mais c’est Schrödinger qui construit le modèle moderne de l’atome en intégrant les travaux du français Louis De Broglie sur la dualité onde-corpuscule1. Ce modèle permet d’expliquer la stabilité de l’atome, la forme des molécules, l’organisation des cristaux ou encore les effets spectroscopiques. Une large part de la physique moderne découle de cette connaissance de la structure de l’atome. Jean Perrin, à la fin de son livre, conclut sur l’intuition de ce large champ de connaissances qui s’ouvre alors aux scientifiques de son temps:

« La théorie atomique a triomphé. Nombreux encore naguère, ses adversaires enfin conquis renoncent l’un après l’autre aux défiances qui longtemps furent légitimes et sans doute utiles. C’est au sujet d’autres idées que se poursuivra désormais le conflit des instincts de prudence et d’audace dont l’équilibre est nécessaire au lent progrès de la science humaine. Mais dans ce triomphe même, nous voyons s’évanouir ce que la théorie primitive avait de définitif et d’absolu. Les atomes ne sont pas ces éléments éternels et insécables dont l’irréductible simplicité donnait au Possible une borne, et, dans leur inimaginable petitesse, nous commençons à pressentir un fourmillement prodigieux de mondes nouveaux. Ainsi l’astronome découvre, saisi de vertige, audelà des cieux familiers, au-delà des ces gouffres d’ombre que la lumière met des millénaires à franchir, de pâles flocons perdus dans l’espace, voies lactées démesurément lointaines dont la faible lueur nous révèle encore la palpitation ardente de millions d’astres géants. La Nature déploie la même splendeur sans limite dans l’atome ou dans la nébuleuse, et tout moyen nouveau de connaissance la montre plus vaste et diverse, plus féconde, plus imprévue, plus belle, plus riche d’insondable immensité. »

AURÉLIE BIANCARELLI-LOPES est Doctorante en Nanoscience, Aix-Marseille Université

(1) La dualité onde-corpuscule est un principe selon lequel tous les objets physiques peuvent se comporter à la fois comme une onde ou comme une particule ( exemple classique : la lumière). Le caractère ondulatoire ou corpusculaire ne dépend pas de l’objet mais de l’instrument de mesure physique utilisé. C’est un des fondements de la mécanique quantique.

LE NOMBRE D’AVOGADRO

Le nombre d’Avogadro est le nombre d’atomes de Carbone dans 12 grammes de l’isotope 12 du Carbone. De façon simplifiée, la masse d’un atome est pratiquement égale à lamasse de son noyau car l’électron est 2 000 fois plus léger que les nucléons (protons et neutrons) qui composent le noyau. Comme les protons et les neutrons ont approximativement la même masse, on retrouve la mesure de la masse d’un atome en multipliant la masse d’un nucléon parle nombre de nucléons présents dans le noyau. Or la masse d’un nucléon est tellement petite qu’il faut environ six cent mille milliards de milliards de nucléons pour former un gramme de matière. C’est ce chiffre astronomique que l’on nomme le nombre d’Avogadro NA.

• Bibliographie :
Jean Perrin, bibliographie de l’Académie des Sciences,
Jean Perrin, bibliographie de la fondation Nobel
Les Atomes, Jean Perrin ed. 1973

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