La procréation médicale assistée : retour d’expérience, Dr Michel Limousin

La procréation médicale assistée : retour d’expérience, Dr Michel Limousin

Icsi

Paradoxalement la controverse sur le « mariage pour tous » a mis en avant dans le débat public la question de la PMA au travers des problèmes de l’adoption et plus largement de la filiation. Une aspiration de certains pour des voies artificielles de procréation qui puissent contourner la nature s’est manifestée. La question alors n’est plus seulement celle d’une aide à la résolution d’une infertilité pathologique d’un couple hétérosexuel mais celle d’une infertilité liée à l’orientation homosexuelle des individus. Les débats suscités de façon surprenante ont été empreints d’une grande foi dans les possibilités de la technique médicale et se sont centrés sur l’aspect éthique. La dispute a porté sur les aspects politiques; les mobilisations d’opposants au mariage pour tous – ce qui est une autre question – se sont largement appuyées sur ce point. Qu’en est-il aujourd’hui ? A-t-on un bilan de l’expérience de la PMA à ce jour ? Quels sont les problèmes concrets qui se posent ? La naissance d’Amandine en 1982 a marqué le début en France de la PMA. Depuis, ce sont plus de 50 000 enfants qui naissent ainsi dans notre pays. 5 % des naissances en incluant les stimulations ovariennes sans fécondation in vitro sont concernées. Trois millions d’enfants sont nés de par le monde depuis l’apparition de la PMA, et 200 000 par FIV. D’autres techniques ont vu le jour comme l’ICSI (intra-cytoplasmic sperm injection : injection d’un seul spermatozoïde dans l’ovule soit 60 % des FIV aujourd’hui), l’IMSI (intra-cytoplasmic magnified sperm injection: utilisation d’un microscope puissant pour sélectionner le spermatozoïde), la MIV (maturation in vitro), les dons d’ovocytes, la conservation de tissus ovariens et les dons d’embryon congelé. La gestation pour autrui (non autorisée en France) a presque toujours recours à une PMA. De nouvelles techniques se sont développées dans les suites de la FIV: production d’ovocytes par stimulations hormonales, manipulation des gamètes in vitro, nouveaux milieux de culture, maturation in vitro. À ce jour, nous n’avons pas d’études solides qui permettent d’évaluer l’impact sur le développement à long terme des enfants. Seuls trois centres de références existent en France et la littérature internationale ne permet pas non plus de conclure. Le problème est vraiment le suivi des enfants.

CONSCIENCE DES RISQUES

Globalement en France l’impression est que cela se passe dans de bonnes conditions ; il y a un peu plus de complications périnatales que pour les grossesses spontanées. Les risques identifiés sont faibles mais mal connus. Ces risques sont polymorphes. Ils tiennent d’abord à ce que l’âge de la femme enceinte est plus important que la moyenne car elle a d’abord « essayé » d’avoir un enfant naturellement ; ces risques ne se différencient pas en ceci du risque des autres femmes, enceintes de façon naturelle, mais du même âge. On peut dire que le risque de malformation est corrélé à l’âge de la femme ; l’impact de la PMA n’est pas vraiment connu car de toute façon, il est faible. Les complications périnatales sont assez bien identifiées car immédiates et plus faciles à être enregistrées. Le taux de prématurité est multiplié par cinq, le taux d’hypotrophies par trois. La mortalité néonatale est multipliée par six. Ces risques sont liés au fait que ce sont souvent des grossesses multiples; on note une part de responsabilité initiale des pathologies vasculaires de la mère. Ces données viennent du FIVNAT 2005. On a identifié un risque particulier de malformations cardiaques et d’anomalie de fermeture du tube neural. Une étude est en cours en région parisienne pour mieux évaluer la situation. Les risques de maladies chromosomiques sont très faibles. Les risques de cancers type rétinoblastome semblent maintenant écartés.

UN BILAN ENCORE À PRÉCISER

La question des risques reste posée. La littérature médicale est des plus discrètes sur un des aspects le plus sévèrement critiquable de l’histoire de la PMA: après avoir fait les premières tentatives sur des cycles spontanés (G.B., France, Australie, Israël, USA, Italie), s’est posé le problème du bon moment du prélèvement d’ovocytes (pratiqué durant dix ans environ par cœlioscopie). On obtenait de très faibles résultats (moins de 10 % des tentatives). À cette époque on utilise déjà depuis près de dix ans des stimulations ovariennes (gonadotrophines et clomiphène) entraînant des hyperstimulations dont on connaît les dangers et la gravité possible (ovaires monstrueux, ascites, troubles hydro-électrolytiques considérables et accidents thromboemboliques), sans parler des grossesses multiples supérieures à deux, très fréquentes et dangereuses. Et bien que connaissant ces risques, leur mauvaise prédictivité, malgré des dosages hormonaux quotidiens et la surveillance échographique, ces risques seront pris parce qu’en réimplantant trois, quatre, ou parfois plus, d’embryons on augmentait les chances d’obtenir une grossesse (actuellement entre 15 à 20 % de succès en France), mais surtout, et nous le savions, les risques de grossesses multiples et d’hyperstimulations. Il a donc été très vite nécessaire de proposer à ces couples peu ou pas fertiles, ayant attendu parfois plus de dix ans un enfant, une « réduction embryonnaire » afin de ne pas laisser évoluer quatre, cinq… embryons menaçant gravement la vie de tous, et d’en laisser, un ou deux, parfois trois (ce qui est très incertain). Sachant que ladite réduction présentait elle-même le risque d’interruption de la grossesse. Il est évident qu’à côté des problèmes médicaux des drames psychologiques ont été induits. Mais après tout, aussi dures que soient ces différentes étapes, peut-être était-il possible de les présenter dans toute leur gravité et laisser le choix aux couples. Cela a paru si compliqué et si menaçant pour l’avenir de la PMA (les laboratoires ont parfaitement joué l’« apaisement ») et l’avenir personnel des acteurs médicaux que peu de choses ont été révélées à ce sujet. Sauf entre spécialistes. Et les bilans à trente ans semblent avoir totalement (ou presque) oublié les ombres d’un aussi beau et triomphal tableau! Évoquons une dernière question: celle du secret des origines pour les dons de gamètes. Les donneurs l’exigent. Mais les enfants nés ainsi, parfois, dans leur quête d’identité souhaitent connaître leur parent biologique, particulièrement leur père. Deux légitimités s’affrontent et le législateur se trouve bien embarrassé. Derrière le droit se trouve la souffrance. Et le risque de voir le don se restreindre par peur de l’avenir. Au total à ce jour l’ensemble des risques paraît limité et au dire des épidémiologistes ceci ne remet pas en cause la PMA dans ses diverses formes. L’important est que les parents soient bien informés et sachent en toute conscience qu’ils prennent des risques. La clarté doit être la règle. Mais donner la vie ne donne jamais de certitudes sur l’enfant à venir.

L’AVENIR DE LA PMA EN QUESTION

La proposition qui peut être faite est de bien organiser le suivi sur le long terme. Jusqu’à maintenant le souci était de ne pas stigmatiser l’enfant ainsi né et de ne pas le soumettre à une surveillance particulière. On peut dire que c’est une réussite. D’ailleurs parmi les lecteurs de cet article, qui sait quel enfant ou quel adulte de son entourage est né de cette façon? Il n’y a pas de débat là-dessus. Mais d’un autre côté l’absence de suivi ne permet pas d’évaluer la situation. Ne risque-t-on pas un jour de découvrir un problème qui sera longtemps passé inaperçu du fait d’un faible risque statistique ? Nous restons dans une non-culture de santé publique bien traditionnelle en France. La constitution de « cohortes épidémiologiques » est impossible à mettre en œuvre, nous dit-on. Le Dr Foix-L’Hélias, pédiatre et épidémiologiste à l’hôpital Trousseau et élève du Pr Frydman de Béclère, déclarait dans le Quotidien du Médecin du 11 avril 2013 : il faut « mener des enquêtes spécifiques pour répondre à une question donnée comme nous l’avons fait par exemple pour savoir s’il y avait plus de traitements de l’infertilité chez les parents d’enfants atteints d’un rétinoblastome ». Les questions sont donc très complexes et techniques. Autre question : le diagnostic pré-implantatoire est utilisé pour les couples porteurs de certaines anomalies génétiques graves. Il nécessite une FIV et pose pour l’avenir des problèmes éthiques majeurs : le génome pour tous et assez bon marché sera accessible; il permettra techniquement le tri et le choix sur catalogue dans les sociétés marchandes, des embryons avant implantation. Que va-t-on faire? Mais on peut tout de même constater que là aussi la question des moyens se pose. Ne faudrait-il pas être plus vigilants, plus systématiques, plus prudents ? Il faut de l’argent. Il faut aussi des gens, des professionnels, du temps humain. Une réflexion s’impose. La PMA n’est pas anodine. C’est une avancée majeure pour le développement de l’homme. Elle suppose responsabilité et longue durée d’action. Engagement de toute la société. Recherche. Elle porte modification de l’avenir du genre humain. Les questions éthiques doivent être traitées et ne sont pas l’affaire des seuls spécialistes.

MICHEL LIMOUSIN est médecin. Il est membre du comité de rédaction ainsi que de la commission santé et protection sociale du PCF.Icsi

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