« La souveraineté nationale appartient au peuple. »
La souveraineté appartenant au peuple est un des fondements révolutionnaires et visionnaires de la Constitution de 1793. Elle est toujours d’actualité, mais cette conception est devenue insupportable aux chantres du libéralisme, aux détracteurs masqués de notre Constitution républicaine qu’ils se déclarent de droite, du centre, macronistes ou d’extrême droite. Et plus largement au système socioéconomique qui domine le monde.
*Jean-Jacques Desvignes est membre du collectif Paix et Désarmement de la CGT.
Le mot « souveraineté » revient dans de nombreux discours politiques ou médiatiques. On voudrait que ce mot soit un écho de 1793 pour rappeler la séquence révolutionnaire qui a tracé un chemin nouveau et durable pour la France et l’humanité. En effet, ce terme a pris tout son sens révolutionnaire lorsqu’il a été inscrit dans l’article 25 de la Constitution de 1793 que « la souveraineté réside dans le peuple; elle est indivisible, imprescriptible et inaliénable ». L’idée deviendra en 1958 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. »
Ces quelques précisions illustrent la place capitale qu’occupait la notion de souveraineté dans la Constitution. Malheureusement elles manquent au débat aujourd’hui tant fleurissent les velléités pour en travestir le sens et le contenu.
UN ÉTAT DES LIEUX
Le mouvement de lutte sociale contre la réforme gouvernementale du régime des retraites est inédit par son ancrage dans la population, sa persistance dans un véritable face-à-face avec un gouvernement qui use de tous les artifices et failles constitutionnelles pour museler les débats parlementaires et finalement passer en force sans vote. Cette séquence a montré que ce pilier républicain de souveraineté qui « appartient au peuple par ses représentants et par la voie du référendum » peut se fracasser contre un pouvoir hostile. La volonté de dévoyer le sens de souveraineté nationale appartenant au peuple va encore plus loin quand elle le travestit pour le traduire en nationalisme. Autant, lors des guerres de libération qui ont secoué le monde, le nationalisme était un projet politique réellement émancipateur puisqu’il répondait à une volonté d’indépendance et de souveraineté, autant aujourd’hui ce terme est différent et ambigu, brouillant les pistes sur les réels objectifs de ceux qui en font leur étendard. De par le monde, son utilisation tourne fondamentalement le dos à des conceptions démocratiques assurant la souveraineté nationale au peuple.
La guerre constitue une composante inhérente à son fonctionnement en la considérant comme une issue pour satisfaire aux intérêts de la classe sociale qu’elle sert : les tenants du capital et de la finance.
Il existe des variantes de nationalismes, mais elles convergent toutes dans une vision étriquée de ce qui fait nation et s’inscrivent dans un repli sur soi, une certaine réécriture de l’histoire magnifiant la « nation » (la leur) et rejetant l’altérité jusqu’à la xénophobie. Les extrêmes droites s’inscrivent toutes dans cette philosophie politique mortifère.
UN PEU D’HISTOIRE RÉCENTE
Comme l’analyse l’historien Roger Martelli, « Le monde ne relève pas d’un modèle unique d’organisation, mais d’un entrelacs de logiques, économiques, géopolitiques, sociales et culturelles », et il ajoute qu’« aucune indépendance souveraine ne peut penser en elle-même ». C’est pourquoi des liens intrinsèques se sont noués dans des rapports de forces entre les intérêts des peuples, des États, de la Bourse, des circuits financiers et des sociétés multinationales.
La volonté de dévoyer le sens de souveraineté nationale appartenant au peuple va encore plus loin quand elle le travestit pour le traduire en nationalisme
Des accords internationaux se sont constitués. L’ONU, créée au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en 1948, est à ce titre l’organisation centrale dans le monde dont la mission est, reprenant le Pacte de la Société des Nations, « de développer la coopération entre les nations et […] leur garantir la paix et la sécurité ».
Elle précisera dans l’article 1er de sa charte constitutive ses buts :
« 1. Maintenir la paix et la sécurité internationale et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix, et réaliser par des moyens pacifiques […] l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix;
2. Développer entre les nations des relations amicales sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes […];
3. Réaliser la coopération internationale […]. »
Elle définira ensuite, les piliers d’une culture de la paix entre les peuples :
l’éducation, le développement économique et social durable, le respect des droits de l’homme, l’égalité femme-homme, la participation démocratique, la solidarité, la libre circulation des informations et connaissances, la paix et la sécurité.
Ces concepts bien éloignés, voire contradictoires au système capitaliste témoignent qu’ils sont les fruits des exigences et interventions des peuples engagés dans des luttes de classe.
L’ONU et ses multiples institutions spécialisées (OIT, UNESCO, FAO, OMS…) constituent les outils fondamentaux mondiaux pour prévenir ou trouver une issue aux situations de conflits, guerres ou insécurités.
DES MENACES, TOUJOURS
Toutefois le chemin n’est pas simple dans un monde sous domination capitaliste fondamentalement basée sur l’exploitation, la domination de l’homme et de la nature, la mise en concurrence, le profit financier et le chacun pour soi.
La guerre constitue une composante inhérente à son fonctionnement en la considérant comme une issue pour satisfaire aux intérêts de la classe sociale qu’elle sert : les tenants du capital et de la finance.
Avec cette logique, pour la huitième année consécutive les dépenses militaires dans le monde battent leur record : + 3,7 % en 2022 pour atteindre 2240 milliards de dollars (+19 % sur la période 2013-2022), comme l’a établi l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). La guerre en Ukraine accélère cette croissance.
À quelle souveraineté peut-on prétendre lorsque l’on ne possède pas les savoirs, les savoir-faire, les formations, les pilotages, les matières, les outils pour répondre à ses besoins?
Dans notre pays, la loi de programmation militaire 2024-2030 votée au Parlement atteint les 413 Md€ (rappel : 295 Md€ pour 2019-2025), soit + 40 % par rapport à la précédente. Ce coût
est de très loin supérieur aux prétendus 12 Md€ d’économies destinés à la sauvegarde de nos systèmes de retraites. Mais là, pas de souci…
Ce budget confirme la voie « d’une économie de guerre » pour la France lancée par le président de la République Emmanuel Macron en 2022, dans le cadre du salon international de la défense et de la sécurité EuroSatory, devant un parterre d’industriels de la défense et des hauts gradés militaires. Et il a réitéré récemment : « Nous sommes en guerre » avant d’en appeler à préparer « une guerre d’a vance ». Assurément il n’y a là aucun signe pour engager la France dans une culture de la paix. Ce qui valide et rend malheureusement cohérente sa décision de 2022 de supprimer le corps diplomatique dans le sillage de la réforme de la haute fonction publique.
Mais au-delà de ce budget considérable il est tout aussi important d’examiner les objectifs auxquels il répond. Quelques indicateurs montrent que la stratégie macroniste se bâtit sur la dissuasion avec le renforcement de l’arme nucléaire, ce qui éloigne la France du TIAN (Traité sur l’interdiction des armes nucléaires), et des porte-avions, ce qui contraint à des
coupes sur d’autres matériels, parmi lesquels des avions de surveillances et d’interventions maritimes, qui pourtant répondent davantage à des besoins de défense et de sécurité du territoire.
Non satisfait de cette dérive ruineuse et financièrement et en termes d’espoir de paix dans le monde, les sénateurs, dans le cadre de la loi de programmation militaire, ont voté un amendement proposant la mise en place d’un « livret d’épargne souveraineté » au 1er janvier 2024 destiné à soutenir le financement de l’industrie de défense française. Il s’agit en retour d’exonérer d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux les personnes y recourant.
Encore un dévoiement de cette souveraineté nationale avec un nouvel artifice pour privilégier une industrie d’armement déjà fortement soutenue et aujourd’hui totalement aux mains du secteur privé (Dassault, Thales, MBDA, Airbus Group, Safran, Nexter, Naval Group…), et cela au détriment des fonds publics et sociaux.
RELEVER LES DÉFIS
Mais allons plus loin dans ce concept de souveraineté nationale. L’assurer nécessite d’avoir des capacités humaines et matérielles à la hauteur. À quelle souveraineté peut-on prétendre lorsque l’on ne possède pas les savoirs, les savoir-faire, les formations, les pilotages, les matières, les outils pour répondre à ses besoins? Quelle défense nationale lorsque l’on n’est pas en capacité de produire ses propres moyens de défense? C’est bien tous les enjeux actuels posés par les dépendances à l’étranger, les externalisations, les privatisations de secteurs essentiels, voire stratégiques pour le pays. Un pays comme le nôtre possède encore de merveilleux atouts, mais sa désindustrialisation depuis des années est un fait avéré (la part de l’industrie dans le PIB passe de 17 % à 11 % en vingt ans). Notre dépendance s’accroît, entraînant des pertes de maîtrise dans des secteurs stratégiques (énergie, composants électroniques, traitement de données).
Il y a un besoin vital de rupture de pensée en visant à construire le vivre-ensemble, le bien-être de tous dans un libre développement de chacun.
En la matière, le PCF soutient l’urgence d’une réindustrialisation de la France par des actes politiques forts, qu’il s’agisse de plan d’embauches et/ou de formations, ou encore de rebâtir des pilotages publics, notamment dans le secteur de la défense et de la recherche (ONERA, CNES, CEA). Urgence également de soutenir l’industrie, mais sous conditions et avec des objectifs ciblés, sous contrôle tripartite (industriels, État, salariés), des coopérations internationales incluant des critères sociaux et environnementaux. Il n’existe pas de souveraineté nationale sans maîtrise nationale. Bien évidemment tout ne peut être maîtrisé, mais il s’agit aussi de définir en matière de politiques industrielles nationales des objectifs et des moyens pour les atteindre.
LES COMBATS DE L’HEURE
On notera l’absence de propositions des nationalistes pour combattre concrètement ce déclin dans les luttes et lors des débats parlementaires.
Leur modèle idéologique et économique entraîne le monde dans l’abîme en amplifiant les inégalités sociales, en attisant les conflits, en freinant les capacités humaines à des créations utiles, en générant une peur de l’avenir. Jamais le monde n’a été dans un tel état d’instabilité et de manque de perspective. Voir des milliers d’êtres humains se noyer dans nos mers fuyant la misère, la faim, la guerre, le désespoir est effroyable. Et ils ne sont qu’une parcelle du désastre que vivent des centaines de millions d’humains.
La course au surarmement est ouverte. Les budgets militaires ne cessent de croître tandis que parallèlement la faim et la malnutrition s’accroissent, faisant plus de victimes que n’en font le sida, le paludisme et la tuberculose conjugués.
Chaque jour, 25000 personnes, dont plus de 10000 enfants, meurent de la faim et des causes associées. En 2021, quelque 2,3 milliards de personnes (29,3 % de la population mondiale) étaient en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave. Le changement climatique pourrait conduire à une augmentation du nombre de mal nourris, de 40 à 170 millions. Alors que, selon l’ONU, 5 % des fonds alloués aux dépenses militaires mondiales pendant dix ans suffiraient pour éradiquer la faim et les épidémies dans le monde, et permettraient de développer l’accès à l’eau et l’alphabétisation. Autre facteur aggravant, plus de 80 % de la population mondiale aujourd’hui n’ont pas accès à un système de protection sociale.
Il y a un besoin vital de rupture de pensée en visant à construire le vivre-ensemble, le bien-être de tous dans un libre développement de chacun. Cela nécessite de bâtir des liens d’aide et des coopérations, de s’engager réellement dans un désarmement multilatéral, de répondre aux besoins sociaux et de la nature.
Et puis bien évidemment, encore et toujours, « la souveraineté nationale au peuple ».
Il serait bien de revenir aux origines du concept « moderne » de nation, construit développé en concomitance avec le capitalise national au XVIIIème siècle. La déclaration des droits de l Homme de 1789 puis Constitution « bourgeoise » de 1793 évoque la souveraineté nationale. Pour faire court, la Révolution française a permis à la prise de pouvoir de la bourgeoisie en renversant le pouvoir de la noblesse dans une logique débouchant sur le capitalisme.
Aujourd’hui face notamment à l’UE et au capitalisme mondialisé, la souveraineté nationale est à la mode à gauche comme à droite. Cette expression fait évidemment plus soft que nationalisme, repli sur ses frontières. Mais que recouvre – elle peut dans un monde complexe et tout s’entrecroise ? Quid de la différence entre souveraineté nationale et intérêt national ?
Comment croire que la France seule a les moyens de produire tout ce dont elle a besoin et de résoudre seule les problèmes de ce monde ?
La souveraineté nationale est un concept bien ambiguë dans le débat public d’aujourd’hui et assez étrangement porté par le PCF