L’erreur est humaine, Taylan Coskun*

Dans les pas de l’école soviétique d’échecs

*Taylan Coskun est membre du comité de rédaction de Progressistes

« Le vainqueur de la partie est le joueur qui a fait l’avant-dernière erreur. »
XAVIER TARTAKOVER (1887-1956), champion d’échecs européen.

Sans échecs pas de réussite, sans erreurs pas de vérité, et pas de victoires sans risque de défaite.

Le nom de notre jeu a son origine dans le persan châh, qui signifie « roi ». Le mot figurait dans l’expression châh mat, « le roi est mort ». Au XIe siècle, l’expression entre dans la langue française via l’arabe. À cette époque, on trouvait la graphie eschac ; le son [k] final est probablement dû à l’influence de l’ancien français eschec, qui signifiait « butin », lequel [k] n’existait pas au pluriel : eschas. Un premier groupe de sens s’est développé en français, celui relatif au jeu de plateau. Dans un premier temps, l’interjection « échec et mat » (empruntée au persan) a été employée pour signale à l’adversaire que son roi était en situation d’être pris, ce qui met fin à la partie. Dès le XIIe siècle, le mot « échecs » a aussi désigné le jeu lui-même, puis les pièces avec lesquelles on y joue.

Au XIIIe siècle, le terme donne lieu au surgissement d’abord d’un sens figuré de « obstacle » et « situation délicate », puis celui de « insuccès », de « fait d’échouer » qu’on lui connaît encore aujourd’hui.

Or, bien que leurs formes soient proches, les mots « échecs » et « échouer » n’ont pas la même origine. Mais la forte proximité de sens entre les deux mots, qui provient peut-être de l’influence qu’ils ont exercé l’un sur l’autre, fait qu’on rapproche plus facilement le nom échec (comme antonyme de réussite) du verbe « échouer », plutôt que du nom du jeu, nous apprend Orthodidacte (https://dictionnaire.orthodidacte.com).

Cette ambiguïté étymologique est intéressante et indique une particularité : faire des erreurs, trébucher, manquer, ne pas réussir…, c’est ce qui fait le jeu. Sans échecs pas de réussite, sans erreurs pas de vérité, et pas de victoires sans risque de défaite.

Ainsi, littéralement, l’intelligence artificielle ne joue pas aux échecs. Pas plus que le mur qui renvoie la balle ne joue au squash ou à la pelote basque. Personne n’applaudît ou ne maudit le mur. Ce que fait le mur ou l’intelligence artificielle, ce n’est pas du jeu.

Le match pour le titre de champion du monde des échecs entre le Chinois Ding Liren et le Russe Ian Nepomniachtchi vient de se dérouler. Après une lutte intense, avec de terribles rebondissements, le Chinois est devenu le nouveau champion du monde.

Rappelons que les deux joueurs s’affrontaient car le champion sortant, Magnus Carlsen, avait décidé de se retirer sans remettre en jeu son titre. Connu pour l’exactitude « numérique » de son style Magnus Carlsen, en championnat du monde, épuisait ses adversaires successifs – et les spectateurs – par des longues parties, dont un grand nombre se soldait par la nulle. Ce match a été, à l’inverse, plein de vie, donc d’erreurs réciproques, de prises de risques, voire de bluffs : tout ce dont l’intelligence artificielle est par définition incapable. L’erreur est définitivement humaine ; elle est une source de joie, de créativité et de vie. C’est en un certain sens notre commun patrimoine culturel. Se débrouiller avec les erreurs, apprendre à échouer c’est un savoir indispensable qui nous restitue notre humanité. Il relativise nos victoires comme nos défaites et bouscule notre orgueil comme nos peurs.

Le jeu d’échecs est un exemple typique de ce patrimoine, de ce « butin », comme suggère l’étymologie. Le 10 juillet, proclamée journée internationale du jeu d’échecs par l’UNESCO, sera une belle occasion pour rendre hommage à ce jeu qui met en scène avec tant de justesse cette part d’ombre et de fragilité que l’humanité a du mal à accepter : notre faillibilité.

VOICI DEUX MOMENTS INTENSES DU CHAMPIONNAT DU MONDE

I. Ding Liren (pièces blanches) domine cette position. Son pion est à une case de promotion. Assez vite il aura une Dame de plus. Au bord du précipice, Ian Nepomniachtchi trouve un coup de bluff. Ding Liren marche dans la combine et doit concéder la nulle. Trouvez le coup de bluff.
II. L’un des derniers coups du championnat. Ici, Ian Nepomniachtchi, qui conduit les Blancs, joue Dc7. Erreur! Ding Liren gagnera la partie et sera ainsi le nouveau champion du monde. Pourriez-vous trouver le coup qui aurait permis au Russe d’annuler pour continuer à se battre?

I.
II.

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