Nucléaire et climat, Sylvestre Huet*

L’auteur de cette contribution aborde un certain nombre d’interrogations que suscite fréquemment la production d’énergie nucléaire, et y apporte des réponses en s’appuyant notamment sur les conclusions du GIEC.

*Sylvestre Huet est journaliste scientifique.

Article paru dans le numéro 36 de progressistes (avril-mai-juin 2022)

Tous les scénarios étudiés par le GIEC qui permettent d’atteindre les objectifs de la Convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques prévoient une électrification massive de l’ensemble des activités humaines recourant à de l’énergie : industrie, agriculture, services, transports et logement. À condition, bien sûr, que cette électricité soit bas carbone. Le nucléaire peut en faire partie.

Le nucléaire seul ne permettra pas d’atteindre les objectifs climatiques décidés lors des conférences des parties à la Convention-cadre sur les changements climatiques de l’ONU, mais il peut assurément y contribuer. À quel niveau ? Cela dépend des décisions humaines, sachant que les ressources en uranium et en thorium sont abondantes à l’échelle du siècle avec les technologies actuellement les plus utilisées, plus encore si on les utilise avec des technologies plus efficaces et connues.

L’électronucléaire n’est pas facile d’accès. Il suppose en effet d’importants moyens industriels, techniques, financiers, un système de contrôle sévère pour surveiller sa sûreté et une gestion tout aussi contrôlée et responsable des déchets radioactifs ultimes qu’il produit. C’est dire qu’elle ne peut pas être déployée partout et rapidement.

Or s’en priver à l’échelle mondiale pose problème, parce qu’il est très probable que cela contribuerait à ne pas atteindre les objectifs climatiques. S’en priver à l’échelle d’un pays ou d’un réseau électrique est un problème, dès lors que cela rend difficiles, plus chères, plus lentes, plus nocives pour l’environnement (biodiversité, ressources minérales…) les autres options. C’est moins gênant dès lors que ces options n’ont pas ces défauts ou qu’elles présentent une balance avantages/inconvénients positive, c’est bien sûr le cas pour tous les pays et réseaux qui peuvent s’approvisionner avec l’hydroélectricité ou un mix hydraulique-énergies éolienne, solaire, marine, géothermique, biomasse, voire des combustibles fossiles mais avec capture et stockage géologique du carbone émis. C’est pourquoi, note le dernier rapport du groupe 3 du GIEC « le nucléaire est considéré comme stratégique pour certains pays tandis que d’autres projettent d’atteindre leurs objectifs d’atténuation du changement climatique par d’autres moyens que l’énergie nucléaire »1.

Le nucléaire seul ne permettra pas d’atteindre les objectifs climatiques décidés lors des conférences des parties à la Convention-cadre sur les changements climatiques de l’ONU, mais il peut assurément y contribuer.

Les militants du climat, souvent écologistes de conviction, somment les responsables politiques de « suivre le GIEC ». C’est souvent une très bonne idée. Que dit précisément le GIEC sur l’électricité ? Ceci, tiré du dernier rapport de son groupe 3 : « Réduire les émissions au niveau requis pour ne pas dépasser 2 °C exige une électrification croissante des bâtiments (chauffage, cuisson), des transports et de l’industrie, en conséquence tous les scénarios envisagent une augmentation de la production d’électricité. Dans ces scénarios, presque toute l’électricité est produite par des technologies non carbonées ou bas carbone : nucléaire, biomasse, renouvelables et fossiles avec capture et stockage du carbone. Le secteur électrique doit parvenir au net zéro CO2 avant l’ensemble de l’économie dans les scénarios les moins coûteux financièrement. »

OÙ EN EST-ON À L’ÉCHELLE MONDIALE ?

Redonnons la parole au GIEC2, qui apporte des données documentées : « La production d’électricité bas carbone a augmenté entre 2015 et 2019 : de 170 % pour le solaire, de 70 % pour l’éolien, de 9 % pour le nucléaire et de 10 % pour l’hydraulique. Au total, les technologies bas carbone ont fourni 37 % de l’électricité mondiale en 2019, dont 16 % pour l’hydraulique, 10 % pour le nucléaire, 8 % pour le solaire et l’éolien réunis, 2,4 % pour la bioénergie (bois, déchets). Le nucléaire et l’hydraulique sont des technologies déjà bien établies. La contribution du nucléaire à la décarbonation peut être augmentée par les nouvelles générations de réacteurs (la génération III et les SMR, petits réacteurs modulaires). Dans de nombreux endroits, le solaire photovoltaïque et l’éolien produisent désormais une électricité moins chère que le fossile. La faisabilité politique, économique, sociale et technique de l’énergie solaire et éolienne et du stockage de l’électricité ont vigoureusement augmenté ces dernières années. Par contraste, l’adoption de l’énergie nucléaire et de la capture et stockage du CO2 dans le secteur électrique a été plus lente que dans les scénarios stabilisant la température. Mais la puissance installée en charbon a aussi augmenté de 7,6 % entre 2015 et 2019. »

LE NUCLÉAIRE EST-IL BON POUR LE CLIMAT ?

La réponse à cette question pertinente est oui, parce qu’il produit une électricité nécessaire par un moyen décarboné. Le dossier est simple : un réacteur nucléaire produit une électricité très décarbonée… à condition de produire beaucoup d’électricité, donc d’être exploité durant longtemps. Logique : l’essentiel du carbone émis l’est par la construction de la centrale qui produira ensuite de l’électricité.

Un ensemble de réacteurs nucléaires a-t-il le même niveau de décarbonation ? Cela dépend du carbone émis tout au long du cycle du combustible, de la mine à la gestion des déchets ultimes, ce qui dépend souvent du degré de décarbonation de l’électricité utilisée pour ces opérations. Il convient par ailleurs de signaler que bilan carbone d’un réacteur isolé peut être désastreux s’il ne fonctionne que peu, le cas du Superphénix de la centrale de Creys-Malville en est l’illustration. En conséquence, l’émission de gaz à effet de serre par la technologie nucléaire n’est pas réductible à un chiffre valable en tout temps, en tous lieux et dans n’importe quelle circonstance, pour n’importe quel réacteur ou parc de réacteurs.

En arrière-plan, la centrale nucléaire du Blayais, située dans la commune de Braud-et-Saint-Louis, en bordure de l’estuaire de la Gironde.

Il reste que le rapport du groupe 3 du GIEC citant des chiffres d’émissions par kilowattheure produit, aboutit à une moyenne mondiale de 12 g CO2/kWh, avec des écarts considérables (de 1 à 220 g CO2/kWh) selon les pays. Pour ce qui concerne le parc nucléaire français, la base carbone de l’ADEME3 retient la valeur de 6 g CO2/kWh.

Un réacteur nucléaire produit une électricité très décarbonée… à condition de produire beaucoup d’électricité, donc d’être exploité durant longtemps.

L’étude4 la plus détaillée à ce jour, en cycle de vie complet et tenant compte outre le CO2, des autres gaz à effet de serre, donne un peu moins de 6 g CO2éq/kWh. Les chiffres très souvent cités dans la littérature de propagande écologiste, comme le très régulier 66 g CO2/kWh, proviennent d’études anciennes, voire de méta-analyses. Lors du débat de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), l’ADEME avait tenté d’introduire ce dernier chiffre pour le parc nucléaire français, mais son caractère hautement fantaisiste conduisit à le retirer en prétextant une coquille… Logique puisque, à la même époque, la base carbone de l’ADEME affichait le 6 g CO2/kWh.

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE EST-IL BON POUR LE NUCLÉAIRE ?

On entend souvent, comme un refrain, que le réchauffement du climat menacerait cette technologie. Les principaux arguments ? Le risque de défaut de refroidissement des réacteurs par manque d’eau et la hausse du niveau marin. Ces deux phénomènes existent, mais n’ont rien de rédhibitoire. Le débit nécessaire pour refroidir un réacteur de 1 300 MW en fonctionnement est d’environ 50 m3/s pour les circuits ouverts, mais dans ce cas toute l’eau est remise au fleuve, à la rivière ou à la mer. Ce débit est d’environ 2 m3/s pour les centrales avec tours aéroréfrigérantes ; dans ce cas, 0,8 m3/s est évaporé et le reste est rendu à la rivière avec un échauffement de quelques dixièmes de degrés5.

EDF a mis en place un plan « Grands Chauds » pour parer cette menace, avec des moyens conçus pour résister aux températures futures, supérieures à celles de 2003. La même démarche a été appliquée pour le risque de submersion marine.

À l’échelle de la France, ce problème est pour l’instant proche de zéro (EDF a perdu 0,3 % de sa production nucléaire annuelle possible en raison d’arrêts ou de limitation de puissance due à la réglementation sur la température de rejet de l’eau, à environ 4 °C de plus que le prélèvement). Il se pose pour les centrales sur la Meuse, la Loire, la Vienne et la Garonne, mais pas pour le Rhône ou la Seine ou en bord de mer. À réglementation et pratiques inchangées, RTE estime que ce taux pourrait décupler, donc passer à 3 % de la production annuelle, à l’horizon 2050. Il faut noter que lors de la canicule de l’été 2003 les dérogations aux réglementations, avec un rejet d’eaux plus chaudes à la centrale de Tricastin et à Golfech, n’ont eu aucun effet mesurable sur la faune et la flore aquatiques6.

Lors des années caniculaires, EDF a perdu 0,3 % de sa production nucléaire annuelle possible en raison d’arrêts ou de limitation de puissance due à la règlementation sur la température de rejet de l’eau, à environ 4 °C de plus que le prélèvement. À réglementation et pratiques inchangées, RTE estime que, à l’horizon 2050, ce taux pourrait passer à 3 % de la production annuelle.

EDF a mis en place un plan « Grands Chauds » pour parer cette menace, avec des moyens conçus pour résister aux températures futures, supérieures à celles de 2003. La même démarche a été appliquée pour le risque de submersion marine, en anticipation des hausses du niveau marin. Les équipes d’EDF prennent en compte un niveau marin supérieur de 1 m à l’actuel à l’horizon 2100, auquel sont ajoutés toutes les causes possibles (marées maximales, dépression, vents forts) afin de calculer le niveau de protection. Un tantinet taquin, un ingénieur faisait remarquer que la centrale de Gravelines est résiliente à un niveau marin supérieur de 1 m à l’actuel… mais pas la ville de Gravelines.

1 GIEC, rapport complet du groupe 3, chap. 4, p. 45.

2. La traduction est de l’auteur du présent article, les phrases retenues ici ne sont pas nécessairement contiguës dans le rapport.

3. https://bilans-ges.ademe.fr/fr/basecarbone/donnees-consulter/liste-element/categorie/70/siGras/1

4. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0360544214002035

5. Voir https://www.sfen.org/rgn/adapter-centrales-nucleaires-changement-climatique/

6. À Golfech, un suivi piscicole conduit de 2007 à 2011 a permis d’observer l’absence de lésions ou de parasites ainsi qu’une richesse spécifique et d’abondance identique dans les zones réchauffées par les rejets et les autres.

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