La biodiversité en forêt, Erasyc*

La forêt est, avec l’océan, un réservoir de biodiversité indispensable et d’une richesse insoupçonnée. Loin de la seule mesure de la surface de couvert forestier, la santé des forêts s’apprécie au regard de la présence d’une faune, d’une flore et d’une fonge déterminées. Or les forêts françaises manquent singulièrement de bois mort et de gros arbres, essentiels pour le développement de l’écosystème forestier. Au premier rang des responsables de cet appauvrissement, la gestion industrielle des forêts selon des critères de rentabilité.

*Erasyc est membre du collectif Touche pas à ma forêt-Pyrénées.

DE QUOI PARLE-T-ON ?

Biodiversité, un terme qui claque mieux que « diversité biologique ». Dans le traité international « Convention sur la diversité biologique », adopté sous l’égide de l’ONU lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, elle est définie comme : « La variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes. »

LE CYCLE DE VIE D’UNE FORÊT: Ce cycle s’étale sur des siècles, ce qui est incompatible avec la recherche d’une rentabilité de court terme.

C’est donc l’ensemble des êtres vivants, leurs interactions entre eux et avec leur environnement de vie (sol, air…) ; cela pourrait se synthétiser par « le monde vivant ». L’importance de l’enjeu devrait donc être une évidence et sans appel quant à la nécessité d’en prendre soin.

UNE SITUATION DÉGRADÉE EN FRANCE MÉTROPOLITAINE

Et pourtant la situation est critique. D’après un rapport du Commissariat général au développement durable, « la France figure parmi les dix pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées au monde, avec près de 26 % d’espèces en voie de disparition ou éteintes ». Ces dernières années nombre de sonnettes d’alarme ont été tirées avec le constat de la diminution de 30 % d’espèces d’oiseaux, de 40 % d’insectes. Les forêts, qui abritent plus de 80 % des espèces d’animaux, de plantes et d’insectes que compte la planète d’après l’ONU[1], sont en première ligne, et la France n’échappe pas à ce problème.

L’idée répandue d’une forêt à entretenir, d’une forêt propre, est un contresens écologique, une obsession de l’homme ayant peur de ce qui serait sauvage.

L’essentiel de la biodiversité ne se voit pas ou peu en forêt. Ce ne sont pas les écureuils, les faons et autres mammifères qui sont les plus nombreux en forêt, mais les champignons et les insectes. Ils sont primordiaux pour la bonne santé d’une forêt. En particulier, 25 % de la biodiversité forestière est constituée des cortèges d’espèces saproxyliques, dépendant du bois mort pour leur cycle de vie ; 40 % de ces espèces sont menacées d’extinction au niveau national et européen.

Dans les Pyrénées, le volume moyen de bois mort est de 17 m 3/ha. Une étude indique qu’il en faudrait au moins 50 m 3/ha pour que les insectes saproxyliques trouvent des conditions de vie normales. Près de 50 % des forêts métropolitaines sont monospécifiques, c’est-à-dire avec pratiquement une seule espèce d’arbre. Même s’il y a débat parmi les forestiers, écologues, philosophes sur le sujet, une forêt ne peut être considérée comme telle que lorsqu’elle contient toutes les composantes de son fonctionnement : un sol fonctionnel doté de sa microfaune, des animaux vertébrés, des insectes, des végétaux, des champignons, une diversité d’arbres, de bois mort, le tout constituant un écosystème.

25 % de la biodiversité forestière est constituée des cortèges d’espèces dépendant du bois mort pour leur cycle de vie.

Les plantations d’arbres mettront donc plusieurs décennies avant de devenir une forêt, plusieurs composantes étant soit réduites – le plus souvent une seule essence d’arbre et une faune réduite –, soit absentes – bois mort – de ces plantations.

LA FORÊT HEXAGONALE : JEUNE, APPAUVRIE, TROP SOUVENT

« USINE À BOIS » Si en France il est coutumier d’entendre dire que la forêt se porte bien au motif qu’il y en a de plus en plus, c’est une présentation simpliste, voire manipulatrice, de la réalité du vivant. Si la surface forestière est effectivement en constante augmentation depuis plus de 200 ans, elle est en fait jeune : 80 % a moins de 150 ans, le stade de l’adolescence pour une forêt !

L’amadouvier est un indicateur de bonne ressource en bois mort.

Le cycle naturel de vie d’une forêt, dit cycle sylvigénétique, s’étale sur au moins 400-500 ans et jusqu’à 600- 700 ans. La forêt évolue successivement d’une phase de régénération à une phase de maturité, puis de vieillissement, de senescence, et finalement d’écroulement permettant la régénération et la perpétuation du cycle. Celui-ci s’étale sur plusieurs siècles selon les essences et les zones géographiques.

Depuis plus de trente ans, les différentes politiques forestières des gouvernements français ont eu pour fil rouge de « couper plus ».

Dans les forêts gérées et exploitées, ce cycle est interrompu par la réalisation d’une coupe le plus souvent au stade où les arbres ne sont encore que des adolescents ou de jeunes arbres. Les trois dernières phases d’évolution de la forêt, et leurs cortèges écologiques associés à ce stade, n’existent pas dans les forêts exploitées. Les espèces inféodées aux très gros bois et aux bois morts sont absentes. Selon les essences d’arbres, le cycle est ainsi réduit à 40 ans, comme pour les pins maritimes, ou à 200 ans pour les chênes. Biologiquement, les chênes comme les hêtres peuvent couramment atteindre les 400-500 ans, voire vieillir jusqu’à 800 ans pour certains. Un des plus vieux hêtres des Pyrénées a été mesuré à 478 ans par le laboratoire de chrono-environnement du CNRS à Besançon.

UNE USINE À BOIS DE PLUS EN PLUS INDUSTRIALISÉE

La forêt métropolitaine française est sujette pour sa grande majorité à des coupes depuis des décennies et à l’industrialisation. Depuis plus de trente ans, les différentes politiques forestières des gouvernements français ont eu pour fil rouge de « couper plus », à commencer par les gros bois qui n’intéressent pas la filière bois. Les scieurs et autres transformateurs de bois qui suivent dans la filière se sont pour un grand nombre équipés de machines sur le modèle des pays scandinaves, qui ont essentiellement des forêts de résineux et qui visent des produits standards à partir de bois de diamètre moins élevé qu’en France, où nous avons essentiellement des bois de feuillus.

Si la surface forestière est effectivement en constante augmentation depuis plus de 200 ans, elle est en fait jeune. Le cycle naturel de vie d’une forêt, dit cycle sylvigénétique, s’étale sur au moins 400-500 ans.

La mécanisation en forêt s’est aussi fortement développée avec l’introduction de machines d’exploitation toujours plus grosses, exigeant toujours plus de rendement. Ces machines posent le problème du tassement du sol quand les exploitations ne sont pas faites dans les règles de l’art, ce qui n’est pas rare, au motif d’améliorer les rendements. Des études ont analysé les déplacements de ces machines qui, si elles ne sont pas contraintes par un garde forestier, parcourent 40 à 50 % de la surface de la coupe. C’est alors un tassement majeur du sol qui se produit et qui a des conséquences négatives en matière de qualité de régénération et de fertilité des sols.

PLACE À LA NATURE

Au total, nous avons des forêts jeunes, gérées de plus en plus de manière industrielle, essentiellement pour la récolte de bois, et de moins en moins en préservant l’accueil en forêt et la biodiversité.

La France métropolitaine manque aussi cruellement de forêts en libre évolution, sans exploitation ni intervention humaine. Actuellement, celles-ci ne dépassent pas 1,5 % de la surface forestière. Or ces réservoirs seront les garanties de demain. De plus en plus de forêts dites « gérées durablement » connaissent une dégradation de la qualité de leur biodiversité, particulièrement en lien avec le tassement du sol et le déficit de gros et très gros bois, ainsi que de bois morts en quantité suffisante, qui sont des composantes cruciales. La forêt présente une diversité d’une grande richesse si tous les compartiments la constituant sont présents, avec une multitude d’interactions encore trop méconnues.

Dans de trop nombreuses forêts, les méthodes pour « gérer durablement » ne sont pas compatibles avec le maintien de la biodiversité forestière.

Les études de chercheurs permettent de commencer à lever le voile sur une complexité de fonctionnement dont la grande majorité des mécanismes reste à découvrir. Les plus connus sont les interactions entre les racines des arbres et certains champignons (les mycorhizes) : les champignons apportent des éléments minéraux à l’arbre, qui leur apporte en retour des éléments élaborés (sucres) ; en outre, il est avéré que les champignons constituent aussi un réseau de filaments (mycélium) qui s’étendent sur des kilomètres et mettent en relation les arbres entre eux, leur permettant des échanges de molécules.

L’échange d’information entre les arbres est aussi démontré par voie aérienne, notamment en cas d’agression : lorsque certains arbres sont agressés, par des chenilles ou par un herbivore mangeant leurs feuilles par exemple, ils émettent une substance chimique pour prévenir leurs voisins. Ces derniers vont alors sécréter des tanins rendant leurs feuilles impropres à la consommation, voire toxiques, pour l’agresseur.

Le bois mort est indispensable et pourtant notoirement insuffisant dans les forêts françaises.

Les bois morts sont tout un monde à eux seuls. S’ils sont debout, ils peuvent servir de restaurant à des pics qui viennent chercher des insectes décomposant le bois ; les cavités servent ensuite de nid à des chouettes et autres oiseaux. Ils sont également colonisés par des champignons qui viennent décomposer la lignine contenue dans le bois. Les champignons sont les seuls à avoir la capacité de décomposer cette matière qui rigidifie le végétal et lui permet d’avoir un port droit sur plusieurs mètres.

S’ils sont au sol, ce sont d’autres espèces d’insectes et d’autres champignons qui viendront décomposer le bois, avec une diversité d’espèces qui évolue suivant les stades de décomposition. Il en résulte au final un terreau qui va former l’humus qui reconstituera la richesse du sol et permettra aux végétaux de continuer à trouver leur nourriture.

C’est à partir des bois morts de diamètre de 40 cm que l’on trouve le plus d’espèces « spécialistes », comme l’on dénomme certains champignons tels que l’hydne corail, qui est aussi un indicateur de vieilles forêts. Un champignon comme l’amadouvier (Fomes fomentarius) est un indicateur d’une bonne ressource trophique en gros bois mort. Pionnier, il favorise la succession d’autres espèces saproxyliques, jusqu’aux espèces spécialistes. Par ailleurs, on estime que quelque 600 espèces d’arthropodes peuvent utiliser l’amadouvier pour se nourrir ou comme habitat, selon qu’ils vivent au niveau du chapeau, à l’intérieur du champignon ou dans sa partie basse.

C’est aussi quand les arbres commencent à devenir gros qu’ils acquièrent des dendro-microhabitats, essentiels à la diversité biologique.

L’idée répandue d’une forêt à entretenir, d’une forêt propre, est donc un contresens écologique, une obsession de l’homme ayant peur de ce qui serait sauvage. La forêt vit dans un cercle vertueux où les coopérations et les concurrences entre espèces sont encore trop peu connues, mais qui existent indéniablement.

C’est aussi quand les arbres commencent à devenir gros qu’ils acquièrent des dendro-microhabitats, essentiels à la diversité biologique. Ce terme regroupe les habitats se trouvant sur les arbres qui sont nécessaires à la faune, à la fonge (l’ensemble des champignons) forestière, et même à certains végétaux, notamment les épiphytes, végétaux ne poussant pas dans le sol mais sur des branches d’arbres.

Il s’agit, pour les plus connus :

– des trous faits par les pics et qui servent ensuite de nids ;

– de branches cassées, de blessures qui sont autant de portes d’entrée pour certains champignons ;

– de fentes dans le tronc, d’écorce décollée, qui servent d’abri aux chauves-souris, etc. ;

– de cavités au pied servant d’abri pour des mulots, des chats sauvages…

L’arbre est alors un véritable HLM pour de très nombreuses espèces. Certains de ces dendro-microhabitats, comme une cavité emplie de terreau issu de la décomposition du bois, mettent plusieurs décennies à se former. Il est donc important de pouvoir les repérer et les préserver, car abattre cet arbre revient à détruire en quelques minutes des décennies de travail d’insectes, de champignons.

FORÊT ET CLIMAT

Après les océans, la forêt est le second moyen naturel permettant de stocker le plus de CO2. Elle en stockera d’autant plus qu’elle résistera elle-même au changement climatique et aux risques de sécheresse, d’incendie et autres qui y sont associés.

Un des facteurs lui permettant de s’adapter au mieux est justement la garantie de ce bon fonctionnement. Plus la forêt présentera d’espèces d’arbres mélangées, plus sa diversité biologique lui apportera une diversité génétique, une diversité d’espèces, et plus elle aura de chances d’être résiliente face au changement climatique. Là aussi, la biodiversité est une évidence.

RÉORIENTER LES POLITIQUES FORESTIÈRES

Il est essentiel que les forêts retrouvent beaucoup plus de gros bois (plus de 70 cm de diamètre) et très gros bois (plus de 90 cm de diamètre) ainsi que de bois morts debout et au sol, et notamment de gros bois morts. Il est essentiel qu’il y ait plus de forêts en libre évolution, car elles seront les garantes de la préservation de la biodiversité et alimenteront les forêts plus appauvries. Lorsque seuls des îlots sont préservés, ils doivent représenter au minimum 4 ha.

Dans de trop nombreuses forêts, les méthodes pour « gérer durablement », selon l’expression consacrée, ne sont pas compatibles avec le maintien de la biodiversité forestière. La volonté de tout rationaliser, rentabiliser, maîtriser amène en quelques années à dégrader ce patrimoine, et il faudra ensuite de nombreuses décennies pour qu’il puisse se reconstituer. Il existe pourtant des modes de gestion plus respectueux de la biodiversité. La gestion à couvert continu est un exemple notable.

Parler de biodiversité en forêt amène donc à se questionner sur la place de l’homme dans la nature. Est-il au-dessus de la nature à vouloir la dompter selon la représentation qu’il s’en fait ? Est-il à côté, voire au-dessus, en pensant pouvoir la gérer, la façonner selon l’image qu’il s’en fait ? Ou est-il partie intégrante de la nature et doit-il la respecter pour se respecter ? Est-il dans cet ensemble d’êtres vivants et comment interagit-il avec ?

Mais cela sera l’objet d’autres réflexions et de bien des articles sur le sujet.


[1] https://www.un.org/sustainabledevelopment

Une réflexion sur “La biodiversité en forêt, Erasyc*

  1. Dommage que cet article, qui pose par ailleurs des questions intéressantes sur les modes d’exploitation forestière, ne source quasiment aucune de ses affirmations :
    « Une étude indique qu’il en faudrait au moins 50 m 3/ha » => pas de source, et quid des autres études ?
    « Même s’il y a débat parmi les forestiers, écologues, philosophes sur le sujet, une forêt ne peut être considérée comme telle que […] » => donc il y a débat mais en fait non ? Pas clair (et puis que viennent faire les philosophes ici ?).
    « L’échange d’information entre les arbres est aussi démontré par voie aérienne, notamment en cas d’agression » => là aussi, pas de source… alors que cette façon de présenter les choses (les arbres communiqueraient entre eux pour se prémunir des dangers) semble correspondre à une exagération médiatique et non à un fait scientifiquement établi. Le tout s’insérant à merveille dans une production éditoriale à succès basée sur une vision romantique des plantes, arbres et forêts.

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