Quand le cinéma interroge notre rapport à la science, Jonathan Chenal*

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Voilà une riche réalisation qui pose la question des rapports entre science et société.

Une comète fonce droit sur la Terre ; des scientifiques annoncent une menace existentielle réelle, la société choisit d’ignorer l’alerte, de s’en moquer ou même de la transformer en opportunité dans un paroxysme d’absurdité. Est ainsi mise en scène une incompréhension réciproque : les scientifiques ne comprennent pas que le reste de la société ne prenne pas au sérieux leurs alertes (une métaphore du changement climatique ?), faute d’une culture scientifique suffisante, et la société ne comprend pas la science, faute de reconnaissance de sa place dans la culture générale.

Le film va plus loin : en mettant en lumière le déni du réel, il nous fait penser au réchauffement climatique ou à la pandémie de covid-19, et même à Galilée se heurtant aux autorités qui admettaient pas ce que lui voyait (les satellites de Jupiter qu’il venait de découvrir). Il aborde aussi le cynisme en politique : des hommes se servent du pouvoir pour persuader la partie de la population qui lui est acquise idéologiquement de « ne pas lever les yeux » (pour reprendre le titre du film), de refuser une réalité qui ne serait qu’une invention destinée à remettre en cause l’ordre politique qui leur profite.

Le réalisateur traite subtilement un certain discours pseudo-­progressiste consistant à ne pas nier la menace mais à la transformer en opportunité : il montre ainsi que cette démarche amène à encourager la confiance en la vision d’un homme seul (l’homme d’affaires qui promet monts et merveilles) contre le travail collectif et vérifié de plusieurs personnes bien plus qualifiées que lui ; là aussi on pense au changement climatique et à certains qui envisagent de tirer parti de la disparition de la banquise ou du permafrost pour gagner des jours de fret maritime ou pour cultiver des terres autrefois gelées en permanence. Ces pseudo-solutions s’avèrent catastrophiques car elles amènent à renoncer aux solutions crédibles d’évitement de la catastrophe, sans pour autant répondre aux espoirs suscités. Et, au final, la catastrophe arrive bel et bien, car la société, dans son ensemble, traversée de contradictions, ne s’est pas montrée à la hauteur de l’événement.

On se pose aussi une interrogation fondamentale. Qu’est-ce qui amène à enseigner la science et à financer la recherche ? Pour en tirer opportunément bénéfice quand un ignare croit y trouver un moyen de faire de l’argent ou pour occuper quelques grands esprits ou pour se donner bonne conscience quant à sa propre grandeur ? La folie générale du monde (pouvoirs, médias, marchés, réseaux sociaux…) me laisse à penser que c’est bien pour ces trois raisons. Les scientifiques ne sont considérés que s’ils n’annoncent que des bonnes nouvelles ou s’ils se cantonnent au rôle inoffensif de « professeur foldingue », qui fait rêver ou amuse… à moitié. Mais le film montre bien que les scientifiques ne sont pas à l’abri d’écueils majeurs : leur mépris face à un délire collectif qui peut amener à la dépression, à la colère et à la rupture d’avec la société qu’ils prétendent pourtant éclairer ; ou la corruption, le fait de se laisser happer par le système, de sacrifier l’exigence d’éthique scientifique à des visées extrascientifiques de ceux qui ont des moyens (pouvoir, médias…) assez développés pour acheter des scientifiques à leur main – il s’en est vu qui prétendaient la cigarette inoffensive pour la santé, ou d’autres qui, membres de l’Académie des sciences, niaient purement et simplement le réchauffement climatique…). D’où la question : pourquoi individuellement être scientifique ? Par plaisir, certes. Et, vis-à-vis de la société, pour témoigner que l’humanité n’a pas complètement sombré dans l’irrationalité.

C’est une vue un peu pessimiste, en effet. Mais, si c’est la métaphore de la réception du message des scientifiques sur la question climatique, c’est réaliste aussi. La science, malgré tout, contribue à l’amélioration du bien-être quand elle découvre des choses qui améliorent la condition humaine ; mais il est vrai que lorsqu’elle certifie des mauvaises nouvelles, elle est, hélas, ignorée, ce qui est le plus sûr moyen de ne pas chercher, ni a fortiori trouver, de moyens pour répondre aux problèmes qu’elle soulève.

Il y a bien sûr des exceptions (le trou de la couche d’ozone, avec le protocole de Montréal, qui est globalement appliqué), mais on a le droit de rester sur sa faim quant aux mesures prises, de façon générale, en réponse aux alertes lancées depuis des décennies par les scientifiques sur différents sujets. Le film se conclut sur ce rappel salutaire : il n’y a pas de planète de rechange.

 JONATHAN CHENAL

Article paru dans le numéro 34-35 de progressistes (octobre 2021-mars 2022)

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