Par Amar BELLAL, rédacteur en chef de Progressistes
Quelques mots la gauche, son nécessaire rassemblement sur des contenus. De l’importance aussi de conjuguer les avancées scientifiques et techniques, le monde du travail et l’environnement, et non les opposer.
Il y a différentes approches et conceptions du rassemblement à gauche. Lors de la fête de l’Humanité, il y a eu un événement politique, le rassemblement de plusieurs dizaines de personnalités du monde scientifique, du monde du travail et de la défense de l’écologie, lors de la soirée repas de la revue Progressistes du jeudi soir. Pourquoi donc des membres de l’Académie des sciences, des directeurs de recherche, des dirigeants syndicaux, des acteurs des luttes, des citoyens engagés dans la défense de l’environnement de tout horizon viennent ainsi marquer leur soutien à la revue? Parce qu ils se retrouvent dans notre démarche, dans le contenu que nous proposons, notre attachement à la rationalité quelque soit leurs parcours politiques… c’est donc une autre conception du rassemblement que celle qui prétend la décréter par « le haut » : rassembler par les contenus, par ce que vivent les travailleurs de la science et des entreprises, par le réel, le défi du climat, du développement industriel, de la recherche : c’est notre ADN à Progressistes, et puisse les partis politiques à gauche notamment s’inspirer de cette démarche.
3 enjeux à articuler : science, travail et environnement
La revue Progressistes met en avant trois mots clé : science, travail et environnement. C’est tout l’enjeu du camp du progrès social de réussir à articuler ces 3 enjeux si on veut sortir de la difficulté : celui du monde du travail, de l’emploi, de l’industrie d’une part, avec les enjeux du développement des avancées scientifiques et techniques, ainsi que l’enjeu autour des grandes questions environnementales en premier lieu le défi climatique.
Or aujourd’hui, tout est fait pour les opposer tous les 3 !
Par exemple, on oppose le monde du travail, la production de richesses à l’environnement : la fameuse usine qui pollue mais sans laquelle nous devons importer des produits du bout du monde. Trop souvent on oppose le progrès scientifique et technique aux emplois : la robotisation qui mettrait au chômage les salariés. Ou encore on joue parfois la science contre l’environnement en faisant peur suite à des découvertes ou à de possibles nouvelles technologies qui menaceraient l’environnement.
Si il est si facile d’opposer ces 3 enjeux, science, travail et environnement, c’est parce qu’aujourd’hui tout est piloté par le Capital au service des actionnaires, sans que les citoyens, les salariés aient vraiment leur mots à dire, sans qu’on mette en débat la finalité de la recherche scientifique.
Alors qu’au contraire il faut articuler et conjuguer ces 3 grands sujets, et cela demande à ce que les salariés aient plus de pouvoirs dans les grandes décisions stratégiques dans les entreprises, dans les grands instituts de recherche, cela demande de financer sur d’autre critères le développement économique, notamment sur des critères sociaux et environnementaux. Si on ne fait pas ce travail d’articulation, les discours de la gauche prioriseront la décroissance, la peur, la culpabilisation des gens et la dénonciation du progrès scientifique et technique.
Il se trouve que le PCF, pour être encore le seul parti –hélas- à gauche qui travaille ces sujets en gardant une certaine crédibilité dans la communauté scientifique, doit tenir prochainement son congrès : si ce grand moment d’intelligence collective permettait de faire émerger ne serait-ce que cette idée, ce serait déjà un énorme acquis!
Refuser le populisme climatique
Notre originalité c’est aussi le refus du populisme quelque soit sa forme, comme par exemple le populisme scientifique. Quand la gauche s’aventure dans le populisme, à la fin, le gagnant, c’est toujours l’extrême droite : il suffit de voir les ravages du populisme sanitaire aux Antilles qui porte la gauche très haut au 1er tour des dernières présidentielles, mais cela fini par un vote massif pour Le Pen au 2ème tour ! A la fin, à ce jeu, c’est décidément toujours l’extrême droite qui gagne.
Mais il y a aussi une forme de populisme climatique : je déplore par exemple que dans toute la presse de gauche, l’Humanité compris, dans nos universités d’été, dans les grands débats de la fête de l’Humanité, ait été mis en avant l’idée que 67 milliardaires émettraient autant de CO2 que 30 millions de français et sous-entendre ainsi que cela solutionnerait 50% du problème : c’est absolument faux, et un peu de bon sens permet de comprendre que le chiffre est farfelu, c’est en réalité l’équivalent des émissions d’environ 100 000 français, ce qui est déjà suffisamment scandaleux pour le dénoncer, mais cela reste que l’épaisseur du trait de crayon : le gros du problème est ailleurs. Dénoncer les milliardaires – et il faut le faire, il faut légiférer – ne suffit pas pour résoudre le climat… en effet, au-delà du symbole, on ne parle ici que de 0,1% du problème.
Je pense que si cette idée se répand comme une trainée de poudre à gauche, dans tous nos rdv et discours, c’est parce qu’elle est commode et facile, cela traduit une paresse d’une partie de la gauche qui ne travaille pas assez ce sujet. La démagogie dans ce domaine permettra de se faire applaudir par une salle, ou frapper les esprits en donnant une solution toute trouvée, mais cela provoque aussi de gros dégâts durables : d’abord ceux qui connaissent le sujet penseront qu’on est complètement en retard et on se décrédibilise à leurs yeux, et d’autre part on se retrouve dans les débats et les formations sur les enjeux d’écologie en porte à faux avec des militants persuadés de la véracité de ce chiffre et de la solution toute trouvée, on perd alors du temps à leurs expliquer que ce qu’ils ont entendu est faux. Il faut vraiment sortir de ce populisme climatique, travailler le sujet et faire comprendre la difficulté du problème et donner une image sérieuse de nous.
Climat : travailler sur l’atténuation ET l’adaptation
La revue se propose pour travailler sur des scénarios climatiques pour la France, en incluant fortement les enjeux du monde du travail et en n’éludant pas la question sociale. Ces travaux seront de modestes contributions qui, on l’espère, inspireront les forces politiques de gauche et pourquoi pas même les pouvoirs publics. C’est un sujet qui va grandissant, et il faut répondre à la fois sur le sujet de l’atténuation mais aussi ne pas oublier comme on le fait trop souvent les mesures d’adaptation. En effet l’atténuation, la baisse de nos émissions surtout, aura des effets vers 2040-50, il faut donc agir, mais le réchauffement est déjà là, et dans l’immédiat il s’agit de prendre des mesures fortes d’adaptation.
Energie nucléaire et renouvelable
Et de même que nous avons tenu bon sur nos arguments autour du nucléaire civil et su refuser l’instrumentalisation facile des peurs, il faut répéter que nous aurons besoin d’un développement des énergies renouvelables, je pense par exemple aux parcs éoliens offshore. Biensur ces parcs doivent être développés sous maitrise public et non pour engraisser le privé et servir de cheval de Troie pour démanteler et affaiblir EDF. Mais il faut les construire, et expliquer pourquoi c’est nécessaire : en effet nous devons dès maintenant augmenter notre production d’électricité bas carbone si on veut respecter les trajectoires de baisse des émissions de CO2 et s’affranchir des énergies fossiles. Or les premiers réacteurs qui vont être construits à Penly seront finis et disponibles au plus tôt en 2035 (premier béton prévu autour de 2027 à Penly). On ne peut pas attendre 2035, et seul les énergies renouvelables peuvent nous permettre d’augmenter rapidement dans les prochaines années notre production d’électricité bas carbone. Il faut dire aussi que nous payons aujourd’hui durement des décennies de campagne antinucléaire qui ont freiné et même arrêté son développement, et il est vrai qu’on aurait pu faire autrement avec plus d’anticipation et de responsabilité politique sur cette filière. Mais aujourd’hui nous n’avons plus d’autres choix que de soutenir ces ENR, et il faut faire ce travail d’explication auprès des citoyens au vu des nuisances et inquiétudes que cela provoque sur le littoral.
Nous avons refusé la démagogie pour le nucléaire civil, sachons aussi la refuser pour les énergies renouvelables et soutenir cette filière. (Notons que les opposants aux parcs éoliens les plus actifs sont aussi des antinucléaires : c’est un retour de boomerang, ils découvrent ainsi qu ‘il y a aussi des contraintes et nuisance pour toutes les énergies, y compris pour le renouvelable … )
Re-bonjour,
Que d’eau a coulé depuis que cet excellent texte a été écrit… Dorénavant, les parlementaires PCF votent, à l’unisson avec les plus obscurantistes de leurs collègues, la réintégration des soignants anti-vax. Ainsi, même les « forces de progrès » se retrouvent à savonner la planche du combat pour la science, pour la rationalité et contre les croyances pseudo-scientifiques de tout poil.
Lisez les réactions des soignants et vulgarisateurs qui ont tenu bon face aux vagues de désinformation, de calomnies, d’insultes et de menaces déversées par le camp anti-vax (souvenez-vous de la terreur que ces derniers ont fait régner, notamment en Martinique). Quelles forces vont désormais les défendre ? Ils expriment leur colère et leur dégoût.
Si le PCF, la CGT, et le journal l’HUmanité avait une position plus nuancée voir anti Otan à propose du cnflit Russo-krainien, Fabien Roussel aurait fait un score à 2 chiffre à la Présidentielle, et Mélenchon comme Le Pen s’étant dévoilés comme ultralibéraux hyperatlantistes perdraient beaucoup de plumes.
Idem pour la CGT et le journal l’Humanité.
Deux choses :
1) Vous croyez que si les gens ont voté Mélenchon, c’est par anti-atlantisme ? (alors que la politique étrangère est en général un non-sujet dans les campagnes électorales…)
2) Vous voudriez qu’un parti conditionne ses prises de positions en géopolitique à des préoccupations électoralistes ?
Je passe sur l’idée qu’il faudrait une position « nuancée » sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie… Personnellement, je pense au contraire important d’avoir une position tranchée sur le sujet, et je ne suis certainement pas le seul.
Merci pour cet article qui a le mérite de mettre les pieds dans le plat.
Cependant, s’il y a « différentes conceptions du rassemblement à gauche », ce que ce texte omet de dire, c’est qu’il y a aussi différentes conceptions de « la gauche » elle-même.
La gauche du « rassemblement par le haut » est une gauche purement tactique et électorale, basée sur l’inertie des étiquettes et des perceptions et profitant du désintérêt largement répandu pour le travail de fond. Elle conduit à rassembler des organisations aussi éloignées dans leurs analyses, dans leurs références historiques, et même dans leurs « valeurs », que le PCF et EELV.
La gauche du « rassemblement par le bas façon Progressistes » conduit nécessairement à faire l’économie des organisations qui ne se reconnaissent pas dans les principes énoncés, ou dans leurs conséquences présumées. Soyons clairs : jamais EELV ne se prononcera résolument pour l’utilisation de l’énergie nucléaire, alors même que la simple prolongation de réacteurs existants leur donne de l’urticaire (alors même qu’ils militent contre la soi-disant obsolescence programmée, etc.). Difficile également d’imaginer que la FI change d’avis sur le sujet (même si le caractère attrappe-tout et confusionniste de ce mouvement laisse un peu plus la porte ouverte à un retournement de veste).
Il ne faut donc pas se raconter d’histoires et s’imaginer qu’en prononçant quelques phrases creuses sur le Capital on mettra tout ce beau monde d’accord sur le rationalisme, l’importance de la science, le progrès technique. Notons qu’au même moment, certains affirment que la lutte contre le capitalisme justifierait au contraire… le complotisme (cf. l’inepte « Manifeste conspirationnistes » publié au Seuil et émanant vraisemblablement de Coupat & co, symptomatique de l’état d’esprit d’une fraction de la gauche « radicale » décidée à rompre toute amarre avec la rationalité). Ce n’est pas loin de l’esprit de la FI quand elle alla ratisser les voix des antivax aux Antilles, en pleine recrudescence de l’épidémie.
Une clarification est-elle nécessaire ? Oui, mais elle ne sera pas sans coût à court terme.