La mobilité pour des choix de formation libres et émancipateurs, Chimène Siredey*

Choisir sa formation et avoir le temps de s’y consacrer pleinement est facteur d’émancipation de l’individu et condition de l’efficacité des activités économiques de demain, qui demandent des travailleurs formés en nombre important. La question de la mobilité des jeunes y fait aujourd’hui obstacle.

*CHIMÈNE SIREDEY est secrétaire fédérale des Jeunes communistes de la Vienne.

Article paru dans le numéro 33 de progressistes (juillet-aout-septembre 2021)

«  Pour dépasser le système de bourses qui est clairement insuffisant pour pallier les besoins de la plupart des étudiants, il faut aller vers un revenu étudiant minimum de 850 € »

Alors que des territoires entiers sont privés de leur jeunesse par des mobilités forcées des mobilités voulues sont empêchées par des barrières économiques ou un manque d’infrastructures. La mobilité des jeunes en formation doit être totalement repensée pour qu’ils puissent réaliser leurs aspirations et assurer la satisfaction des besoins de la société de demain.

Chaque année, les bacheliers issus de lycées généraux, technologiques ou professionnels sont des centaines de milliers à intégrer l’enseignement supérieur. En ce qui concerne ces futurs étudiants et étudiantes, près de la moitié d’entre eux vont connaître une mobilité géographique. Qu’entend-on par mobilité géographique ? D’après un document de l’Enseignement supérieur datant de 2015, la mobilité se définit par rapport à l’unité urbaine de l’établissement dans lequel un jeune se trouve scolarisé : est considéré comme mobile un étudiant qui suit une formation dans un établissement implanté dans une autre unité urbaine que celle dans laquelle il était l’année précédente. Dans cette étude, un étudiant qui se déplacerait vers une commune avec laquelle il y a une continuité territoriale (par exemple, un élève d’un lycée de Mérignac qui irait à l’université à Bordeaux) n’est pas considéré comme mobile.

DES MOBILITÉS LIÉES À L’ORIGINE GÉOGRAPHIQUE

Les jeunes bacheliers et bachelières sont donc 53 % chaque année à ne pas connaître de mobilité. Les 47 % restants sont d’abord très nombreux à rester dans la même académie que leur lycée d’origine (33 %), dans le même département (16 %) ou dans un département voisin (17 %). Cependant, il faut savoir que les étudiants ne changent pas forcément leur lieu de résidence : quand bien même ils changent d’unité urbaine, beaucoup continuent de résider chez leurs parents (46 %). Les raisons en sont multiples, mais la situation financière n’est pas absente. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, très peu de lycéens de villes de province vont faire leurs études en région parisienne ; il en est de même pour la mobilité des jeunes d’Île-de-France, qui, disposant de multiples choix académiques, sont moins de 5 % à partir étudier en province. Cela est plutôt logique lorsque l’on sait que plus la ville d’origine de l’étudiant est importante, moins la mobilité de ce dernier est fréquente. Si beaucoup d’écoles sont concentrées en région parisienne, ce qui rend le passage francilien obligatoire au cours de la formation de certains étudiants, celles-ci recrutent encore majoritairement en Île-de-France. Si ces dernières années l’accès aux parcours de formations de la capitale a été facilité par la mise en place de quotas, ceux-ci restent relativement peu fréquentés par les étudiants de province.

L’EFFET DÉTERMINANT DE LA FILIÈRE D’ORIGINE

Il existe aussi une différence de mobilité entre les étudiants ayant des bacs généraux et ceux ayant un bac technologique ou professionnel. Les bacheliers généraux, qui prennent des orientations très différentes, sont beaucoup plus mobiles que les autres (51 %, contre 41 % et 40 %). L’origine socioculturelle joue aussi un rôle dans la mobilité des futurs étudiants puisque, à caractéristiques égales, un jeune dont au moins un des deux parents est diplômé de l’enseignement supérieur a une probabilité de se déplacer pour ses études plus forte qu’un jeune dont les parents n’ont pas eu accès aux études supérieures.

À cela s’ajoute le fait que, à l’heure actuelle, ParcourSup et la sélection à l’entrée de l’université ont incontestablement des conséquences sur la mobilité étudiante.

Nous constatons que, aujourd’hui encore, la majorité des étudiants ne connaît pas de changement d’unité urbaine important, et que ceux qui en connaissent font en majorité des mobilités intra-académiques. Nous remarquons donc que l’option choisie en premier chez les étudiants est l’université ou la formation d’enseignement supérieur la plus proche de leur origine géographique. Et nous sentons déjà les conséquences de la sélection à l’entrée de l’université sur la mobilité géographique des bacheliers. En effet, nombre d’universités ont réduit drastiquement leurs quotas d’admissions, créant pour certains territoires une pénurie de possibilités d’admissions académiques ou régionales. Cela pousse les étudiants soit à postuler plus loin de leur académie ou de leur région, soit à abandonner leur projet de formation pour un projet ne leur convenant pas totalement car faire ses études loin de son territoire d’origine à un prix : transports, logement, possible différence du coût de la vie… Un prix de nature à détourner très facilement les étudiants issus des classes populaires du projet de formation de leur choix.

De plus, la mise en concurrence des élèves et des établissements induite par Parcoursup et la réforme Blanquer est en passe d’instaurer un système d’enseignement supérieur à deux vitesses, avec des pôles d’excellence dans les grandes métropoles et des formations de second choix pour les plus petites agglomérations. Pour accéder à la formation dite la plus qualitative, les étudiants seront pour certains dans l’obligation de quitter leur académie ou leur région.

UN ÉGAL ACCÈS TERRITORIAL À L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Avec l’accroissement du nombre de jeunes accédant à l’enseignement supérieur de ces dernières années se fait sentir la nécessité d’élaborer et de porter un projet qui permettrait à chaque étudiant d’intégrer la formation de son choix au plus près de son territoire d’origine. Pour atteindre ce but, une harmonisation des propositions de formations sur l’ensemble du territoire, un cadrage national des diplômes et la fin de l’autonomie des universités doivent être mis en place. Le ministère de l’Enseignement supérieur doit être en mesure de proposer les mêmes formations, avec le même socle de connaissances (donc la même valeur) et avec des moyens pédagogiques égaux sur l’ensemble du territoire. La fin de la sélection à l’entrée de l’université est aussi un enjeu.

De plus, nous devons porter un projet d’éducation où la question financière n’est pas au centre de l’orientation d’un jeune. Ce sont les aspirations des étudiants qui doivent guider leur orientation. Pour cela, il est nécessaire de dépasser le système de bourses, clairement insuffisant pour pallier les besoins de la plupart des étudiants, pour aller vers un revenu étudiant minimum de 850 € par mois. Enfin, il est plus que nécessaire que les formations deviennent réellement gratuites : la fin des frais d’inscriptions, le développement des services du CROUS ainsi qu’un accès gratuit aux transports en commun pour les étudiants doivent être des priorités. Ainsi, nous pourrions arriver à un système où la mobilité des jeunes en formation ne serait pas subie, mais résulterait bien d’un choix lié aux aspirations de chacun et de chacune.

L’élection présidentielle qui s’annonce doit aussi être le moment de recentrer le débat sur ce que veulent réellement les jeunes en formation, et dans ce cadre la question de la mobilité des jeunes doit être posée.

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