Le numérique et les nouvelles technologies ouvrent un champ considérable dans le domaine de la santé. Cette évolution pourrait être source de progrès social et médical, mais les choix politiques actuels utilisent ces nouveaux outils contre l’hôpital public. Par ailleurs, la gestion des données médicales personnelles par les big data peut être un atout considérable pour les entreprises privées de la santé et des assurances, au détriment de la population.
*Maryse Montangon est analyste de la santé et de la protection sociale
DE MULTIPLES TECHNOLOGIES POUR LA SANTÉ DE DEMAIN
« Dans le domaine de la santé, la technologie et l’innovation sont définies comme l’application de la connaissance à la solution d’un problème clinique ou sanitaire concret, qu’il s’agisse de produits, de procédures ou de nouvelles pratiques modifiant le mode d’administration d’un soin de santé. Une telle définition englobe la technologie biomédicale – médicaments, dispositifs médicaux et outils diagnostiques – ainsi que les technologies génériques que sont par exemple la santé numérique, les big data ou l’innovation de procédé ou encore l’innovation dans la prestation des soins » (OCDE, rapport 2017).
Le paysage des technologies de santé est en perpétuelle évolution, accélérée par les apports de ce qu’il est convenu de nommer « intelligence artificielle » (IA) : télémédecine, télédétection, robotique, impression tridimensionnelle, données massives, génomique, thérapies cellulaires, etc. Il ne fait pas de doute que l’introduction des technologies numériques et de la robotique dans les systèmes de santé vont bouleverser les procédures et les dotations en personnel et en matériel ; de même, il est évident que tous ces outils pourraient modifier les relations médecin-patient et les organisations actuelles de notre système de santé. Et cela dans un contexte de marchandisation galopante de la santé et de réglementations bien en deçà du nécessaire contrôle démocratique qu’exigeraient tous ces bouleversements.
Dans les spécialités comme l’imagerie médicale, l’ophtalmologie, la dermatologie, la chirurgie et bien d’autres domaines, les impacts de l’IA sont déjà visibles : aujourd’hui, ces nouvelles technologies sont utilisées comme aide aux diagnostics et à des traitements plus rapides et plus précis. D’autres bouleversements au sein des établissements de santé et médico-sociaux utilisant la transformation numérique et les technologies modernes sont à l’étude. Ainsi, la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), dans le cadre du programme Action publique 2022, a cherché à analyser,au travers de l’étude « Transformation numérique : dessinons les métiers publics de demain ! » – publiée en deux volumes : le premier en novembre 2018, le second en juin 2019 –, pour seize familles de métiers des sphères étatiques et hospitalières, les potentiels offerts par le numérique et les perspectives d’évolution du métier que son utilisation pourrait développer. Le volume 2 de cette étude s’attache à définir les métiers de la santé présentant des potentiels de transformation profonde. Ainsi sont identifiés les médecins, les infirmières, les aides-soignantes, les agents de bio-nettoyage, et même les chercheurs. Plusieurs pistes sont évoquées, dont le recentrage pour les médecins sur les fonctions de soins avec une communication qui s’appuie sur les outils de télémédecine, la concentration des activités infirmières sur les soins et la relation patient avec un rôle de coordination et de contrôle vis-à-vis du parcours de soins, un allégement des activités pénibles et physiques afin de recentrer le métier d’aide-soignant sur sa relation avec le patient grâce à des robots autonomes effectuant des tâches répétitives, comme la commande et la distribution des repas, enfin l’adoption de chariots connectés pour les métiers d’agents hospitaliers associés à des robots nettoyants.
VERS DES CHOIX POLITIQUES DE DESTRUCTION DU SERVICE PUBLIC
Cette étude, même si elle se défend de tracer un avenir déterministe, a été réalisée dans le cadre du programme Action publique 2022 et de la loi de transformation de la fonction publique promulguée le 7 août 2019 – loi combattue par les syndicats car elle constitue un véritable levier de casse sociale, avec à la clé la destruction du service public, notamment hospitalier. Alors quand la rhétorique de cette étude suggère que le but visé est de construire un service public plus efficace, plus juste, plus adapté aux besoins des usagers ou encore d’offrir au personnel hospitalier, par exemple, la possibilité de se consacrer à des activités plus épanouissantes,nous savons que dans le cadre d’objectifs budgétaires de plus en plus contraints, de sous-effectifs et de sous-investissement chroniques des hôpitaux, ainsi que d’un manque cruel d’interopérabilité entre les systèmes, les promesses technologiques et le numérique sont mises en avant uniquement dans un souci d’économies de personnels.
Une autre étude sur l’impact des nouvelles technologies sur les métiers de la santé, pilotée par le fonds de recherche et innovation de la Fédération hospitalière de France (FHF), consacrée à l’impact de ces technologies sur 241 métiers de la santé, est en cours de réalisation. L’objectif : offrir une approche globale, scientifique et pluridisciplinaire afin d’accompagner au mieux les établissements dans leur évolution numérique et organisationnelle. Il doit en résulter « un calendrier des impacts technologiques actuels et à venir » ainsi que de nouvelles fiches métiers et une réflexion sur les nouvelles organisations sanitaires et médico-sociales ; sans oublier de nouveaux plans de ressources humaines, programmes de formation ou encore une « analyse d’impact sur les statuts de la fonction publique » (Hospimédia, 11 février 2020). Aujourd’hui, ce que revendiquent les salariés hospitaliers, ce sont des embauches massives. Le gouvernement non seulement ne répond pas aux appels de détresse des personnels, mais il continue, en pleine crise sanitaire, à fermer des lits et des services comme celui des urgences à l’Hôtel-Dieu, dont la fermeture est intervenue le 4 novembre 2020.

NE PLUS PENSER LA SANTÉ COMME UN PRODUIT
Dans le contexte de raréfaction des professionnels de santé que nous connaissons, le gouvernement espère-t-il passer en force pour imposer de nouvelles organisations à l’hôpital public et dans les EHPAD en déployant massivement les technologies modernes? Plus que jamais il convient de fixer, avec les professionnels et les citoyens, des objectifs politiques sanitaires vis-à-vis de ces nouvelles technologies et de redéfinir les critères de gestion de l’hôpital pour que l’investissement réponde aux besoins des populations. S’appuyer sur le numérique et l’IA pour donner aux professionnels du temps relationnel avec les patients, pour établir des diagnostics plus rapides et plus précis et administrer des traitements idoines présente sans nul doute des aspects intéressants, à condition de s’appuyer parallèlement sur les conditions de travail, l’emploi du temps, les formations et le sens de l’activité du soin avec les principaux acteurs. Il faut donc être vigilant, car les risques existent bel et bien de technicisation accrue des métiers débouchant sur l’isolement des patients, donc sur une déshumanisation des soins. Vigilant également face aux grands groupes industriels multinationaux qui développent les technologies modernes en échange de bénéfices exorbitants alors que les budgets de nos hôpitaux sont, année après année,inexorablement rognés. C’est forcément la masse salariale qui sera « ajustée ».
Lorsque l’on parle santé et technologies modernes, le champ d’application est vaste et en plein essor, impliquant une multitude d’acteurs, et ne concerne pas uniquement les établissements de santé. Un exemple est fourni par la santé numérique, la e-santé, qui est en pleine évolution : elle recouvre un vaste domaine d’applications des technologies de l’information et de la communication au service de la santé. Les cas d’usage sont de plus en plus nombreux,comme la sollicitation d’un avis spécialisé dans un contexte d’urgence (télé-expertise), l’accès aux soins pour les patients dont les déplacements sont compliqués ou qui se situent dans une zone de désert médical (téléconsultation), le suivi à distance du patient maintenu à son domicile par l’obtention de données de santé à travers des objets connectés (télésurveillance) ou encore l’aide concernant la réalisation d’actes médicaux complexes (téléassistance). Mais cela recouvre également les logiciels des professionnels de santé (avec les logiciels d’aide à la prescription, les dossiers médicaux électroniques), la santé mobile (avec les applications de santé sur téléphone portable). Le marché français de la santé numérique était estimé à 2,7 Md€ en 2014 et devrait atteindre 4 Md€ en 2020 (source : Xerfi). Avec un marché mondial estimé à 94 milliards de dollars en2014 et des investissements qui devraient atteindre 410 milliards en 2022, l’intérêt et le potentiel de ce secteur en pleine croissance sont inégalés.

LE HEALTH DATA HUB, SOURCE D’INQUIÉTUDES
Dans leur ensemble, ces nouvelles technologies associées au numérique génèrent des quantités astronomiques de données, les big data ou données massives.
En juillet 2019 fut adoptée la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé d’Agnès Buzyn ; son article 41 a créé une nouvelle structure, la plateforme des données de santé (le Health Data Hub). Il s’agit d’un hyper-concentrateur de données de santé rassemblant non seulement les données des hôpitaux publics, mais aussi celles de la médecine libérale, de l’Assurance maladie et des pharmacies. Il remplace le SNDS (Système national des données de santé) en élargissant considérablement sa portée. Cette nouvelle plateforme a pour vocation principale de mettre à disposition des entreprises, professionnels de santé ou organismes de recherche toutes les données issues des actes médicaux.
Plusieurs raisons peuvent légitimement nous inquiéter sur le Health Data Hub. D’une part, sa vision foncièrement libérale qui vise à favoriser avant tout les start-up et le fait que des données publiques soient centralisées pour le secteur privé avec un accès facilité. D’autre part, le fait que l’État a choisi pour héberger les données de santé françaises Microsoft Azure, déjà certifié HDS (hébergeur de données de santé) et considéré par le ministre de la Santé Olivier Véran comme seul choix correspondant aux normes fixées en matière de sécurité. Ce choix est très controversé, notamment en termes de souveraineté et particulièrement au regard de la nationalité de cette société,qui la soumet à une loi fédérale états-unienne d’exception, très inquiétante, le Cloud Act. Cette disposition, signée par Donald Trump en juin 2018, permet à l’administration des États-Unis d’obtenir la saisie légale et confidentielle de toutes les données localisées dans les centres de données des entreprises états-uniennes… situées à l’étranger. Dès lors, on est en droit de se demander à qui vont profiter nos données de santé. Vont-elles constituer des enjeux économiques de rentabilité et/ou de pouvoir ou le Health Data Hub sera-t-il considéré comme un outil permettant de mettre la richesse des données de santé financées par la solidarité nationale au service du patient et du système de santé dans le respect de l’éthique et des droits fondamentaux des citoyens ?
Il est urgent de s’approprier le numérique pour construire une société où le développement économique et social permettre de respecter l’humain.