David Ex Machina, auteur de la tribune, réagit à chaud à la sortie du film Hold Up.La tribune Facebook originale est à retrouver ici.
« C’est la faute à BFMTV » (réellement) ou « À système pourri, anti système débile » ou « Tout le monde pense avoir assez d’esprit critique…. vu que c’est avec ça qu’il juge… »
Je ne partirais pas en débunk de la vidéo Hold Up qui comme une trainée de poudre inonde les réseaux sociaux. Des débunks ont été faits, parfois bien faits, partiellement inutile selon moi. Car rien n’y change, le mouvement s’amplifie.
Ce qui change par contre, c’est une forme de qualité dans la réalisation visuelle et cinématographique de l’interprétation complotiste. Et du coup, une capacité à séduire des gens de plus en plus éduqués, et cela crédibilisant de plus en plus ces thèses etc. Une personne de mon entourage pas très lointain : éduquée, équilibrée, pas dans la détresse (alors que c’est je pense le terreau du complotisme, on y tombe quand on est mal, dans une vie triste, seule, morose, dans une impasse sociale ou psychologique…et qu’une autre version du réel donne du sens à la vie. bon je vais vous épargner la psy de comptoir). Eh bien elle a a trouvé que ce reportage lui avait « ouvert les yeux » (!!!!) et que ce qu’ils avancent était « vraiment bien sourcé » (!!!!????!!!… râle de mort…) J’ai lu ça et là que des médecins en activité (!!!) le conseillaient à leurs patients…
On a donc franchi un stade, et prendre avec mépris les croyants n’avance strictement à rien. Moquerie, ton supérieur, ce n’est pas en insultant les gens séduits par ces interprétations qu’on va s’éviter une forme de clivage social dangereux.
Autant je pleure ces gens qui croient à ce documentaire, qui font donc preuve d’une crédulité hallucinante, ce qui est un comble pour des gens qui pensent justement s’éveiller et s’élever en terme d’esprit critique. C’est dramatique, réellement, sincèrement. Autant ceux qui boivent les paroles de BFMTV, sont dans un drame plus ordinaire, mais exactement le même sur le fond. Tellement ordinaire qu’on en parle plus…
Je préfère donc partir à l’inverse, aller dans leur sens des personnes séduites par ce reportage, en parlant de la débilité des médias de masse, BFMTV en étant l’étendard, je le reprends donc.
Mettons nous au préalable d’accord, sur la notion de faits et d’interprétation. Les faits, c’est ce qu’on observe, c’est le réel (tout du moins une forme de réel, le réel n’a a priori pas d’existence en dehors de nos perceptions subjectives. Entendons donc le « réel » comme la somme/moyenne des observations communes à tous). L’interprétation c’est tout ce qu’on va rajouter autour, le but, la cause, la raison etc. Observons donc BFMTV, et leur gestion des faits et interprétations.
Les faits :
– Il se passe un truc en chine : un virus visiblement
– Il y a quelques cas chez nous on dirait
– les hôpitaux voient affluer des gens en nombre
– Mince, qu’est ce qu’il se passe : on confine !!!
Ce sont des faits, sur lesquels ont doit être tous assez d’accord. ça s’est passé indubitablement. Vient ensuite l’interprétation. Pour BFM, c’est « on va tous mourrrrrrir », « restez chez vous sinon pour aurez la mort de mamie sur la conscience !!!! ». C’est grossier, vulgaire, sans discussion, lapidaire…
Cela dit, c’est une interprétation de ce réel. Et d’ailleurs, elle est peut être vrai. Elle se tient. C’est possible disons d’interpréter ainsi. Mais on ne parle pas des autres interprétations possibles. On confine, OK, pour sauver des gens, Mais ce pourrait être plus complexe, légèrement plus complexe, ou carrément plus sournois on ne sait jamais.
On peut confiner car (dans un ordre de probabilité toute personnelle, chercher l’erreur ):
– Le virus est réellement dangereux (plus que les accidents de trottinettes).
– On a peur que le virus soit réellement dangereux, et dans le doute, principe de précaution
– Le politique panique : rien prévu
– Le politique ne sait pas, n’a pas les données, et pour éviter un procès et la culpabilité d’avoir des morts et de ne rien avoir fait, bin… il fait. Ce qui faut, ou trop.
– Le politique confine pour calmer les grognes sociales
– La politique confine pour faire peur et inoculer les puces 5G à travers des vaccins aux nanoparticules injectés par Bill Gates en tutu, pour nous contrôler, ou nous exterminer*, ou nous empêcher de payer en liquide (« nous priver de liquide après nous avoir tué Monique, tu es sûre ? ») à moins que Trump nous sauve (mmm… avec un Vatican pas dupe… humhum….)
Donc voilà, la thèse du film est le dernier point. Celle de BFMTV le premier. Et je pense que le souci c’est le vide laissé entre les deux. Un vide d’interprétations possibles.
Après on peut en trouver d’autre hein. Que les dirigeants du monde sont devenus d’un coup punks et s’amusent à décider n’importe quoi en buvant de la 8.6. Simplement celle là que j’élimine pour des raisons de probabilité presque nulles. La confiance en cette interprétation est ultra faible (même en remplaçant la 8.6 par la Kronenbourg, ça change rien… ou alors trop peu…)
Car voilà notre cerveau est un centre d’arbitrage (cerveau bayésien), qui nous guide, nous aide à trouver des probabilités pour apprécier le réel. Il est important de lui ouvrir un peu le champ des possibles, de disposer de critiques à la fois sur le très probable, mais surtout sur le beaucoup moins probable. Et là il y a un manque ! Vu qu’il est parfois factuel que les médias se trompent, et qu’il n’y a pas grande chose d’accessible facilement pour les gens entre eux et les vidéos de conspiration…
Entre la doxa à l’alarmisme peu discuté de BFM, et le délire rigolo de ce documentaire il y a bien ce grand vide. Donc de faits avérés, un autre interprétation s’offre tout cuit !
Car dans ce documentaire, à part quelques énormités, il y a justement des faits : le confinement est factuel, l’enjeu financier de la santé est factuel, les soucis structurel de la finance sont factuels au plus haut point, l’espoir transhumaniste de certain est factuel etc. Simplement ce film fait des interprétations délirantes (ou plutôt à probabilité ultra faible) de chaque fait, et comment l’en blâmer quand BFM en fait fait aussi des interprétations, ou relaye simplement la parole du pouvoir en place.
Les interprétations de BFM sont peut être moins délirantes (parfois hein, pas toujours, rappelez vous les gilets jaunes ayant « pris d’assaut un hôpital !!!! » . alors qu’ils se cachaient des lacrymogènes.), mais pas non plus objectives, du tout, jamais : c’est humain, un journaliste doit garder son poste, progresser dans la hiérarchie, une chaine info a des financements à trouver, doit faire de l’audience, attirer les annonceurs. Les journalistes sont issu d’un système, sont là pour leur conformité à celui ci, par capacité à s’y insérer. Et pire que tout pour ce qui devrait être quelque chose d’intelligent, car fait par des gens intelligents : pas ou peu de contradictions, d’interprétation différentes, de discussions abordables.
Ce n’est plus de l’info, c’est de l’opinion qui peut potentiellement ne pas valoir plus que les « gens » qui ont fait ce reportage. (inutile de trouver des qualificatifs même si j’en avait des rigolos en stock).
Et c’est justement entre ces deux interprétations du réel qu’on fait société, qu’on fait de la politique, de la vie en commun. Et c’est justement ce qui n’existe pas. Débattre calmement des interprétations, pour éliminer les pires, et éliminer aussi celles qui sont influencées par le pouvoir, ou par les intérêts d’argent.
Notre cerveau est un centre d’arbitrage, qui doit pouvoir considérer un champ plus large que la seule doxa ou que le seul complot YouTube. Il doit se nourrir de faits, et estimer alors les interprétations les plus probables. Sans forcément les éliminer toutes, juste les classer. Sans forcément adopter une certitude.
Car pour y arriver il faut justement bouleverser ses certitudes… dans les deux camps… Savoir dire qu’on ne sait pas… c’est pas si compliqué.
* Monique Pinçon Charlot… je l’ai tant aimée… et la vieillesse est un naufrage…
NB : Merci aux personnes qui auront lu ma prose jusqu’au bout. Je vous aime d’amour (fraternel bien sûr, ou sororal si cela s’applique).
NB 2 : de très bon débunks à chaud (c’est difficile à chaud) chez Loïc Steffan et Jean-Loic Le Quellec.