*Sylvain Delaitre, Jean-François Bolzinger (directeur de la publication de Progressistes) et Michel Vakaloulis sont fondateurs du think-tank « Sécurité Défense Souveraineté »
La 5G est une nouvelle génération des standards pour la téléphonie mobile. Après la 4G qui a amené le web sur nos smartphones, la 5G promet des débits 10 fois plus élevés, une accélération considérable des transmissions de données propre à révolutionner la robotique, ainsi qu’une densité de connexions simultanées de l’ordre d’1 million d’équipements au km2. Opérations chirurgicales à distance, voitures autonomes, tété-conduite de véhicules, usines connectées et automatisées, internet des objets pour gérer l’éclairage public, les flux de véhicules, la collecte des déchets, visionnage en direct de vidéos de très haute qualité… au vu de tant d’atouts et de promesses, on ne peut que s’interroger sur l’ampleur des réticences que suscite l’avènement de la 5G. Que les intégristes scientistes s’enflamment pour une supposée nouvelle révolution technologique traitant ceux qui doutent et s’opposent de retardataires et de demeurés, soit ! Que des intégristes anti-science demandent le rejet, soit ! Que Trump dénigre la technologie chinoise car les américains sont en retard, soit ! Mais tout cela n’explique ni ne lève les réticences fortes qui se font jour. Celles-ci tournent autour de deux aspects : l’impact sur la santé et les conséquences sur la consommation d’énergie. Dès lors, plutôt que s’enfermer dans un débat théorique et paralysant sur « pour ou contre la 5G », pourquoi ne pas faire valoir une autre approche ? Toute technologie résultant de l’action humaine, quels débats et interventions avoir pour assigner à la 5G des objectifs en matière d’impact sur la santé et de maîtrise de consommation d’énergie ? La situation est déjà loin d’être satisfaisante aujourd’hui sur ces deux volets. N’y a-t-il pas dès lors avec la 5G l’opportunité de repenser le modèle de télécoms numériques tel qu’il fonctionne aujourd’hui ? La science ne peut pas tout mais ne peut pas rien
L’impact sur la santé : une exigence fondamentale
L’élément essentiel des réticences des utilisateurs ne vient-elle pas de l’attitude désinvolte des dirigeants industriels qui se désintéressent volontairement d’une question loin d’être anecdotique pour les utilisateurs potentiels à savoir l’impact sur leur santé. Comme à l’accoutumée les dirigeants postulent qu’il n’y aura aucun impact et donc qu’il n’y a pas lieu d’évaluer quoi que ce soit. L’évaluation a un coût qui indispose les actionnaires. La routine consiste à passer en force en ne laissant apparemment aucun choix aux citoyens. Cette attitude perçue comme méprisante suscite une défiance régulièrement croissante liée à la perte de confiance à l’égard du politico-industriel.
On ne peut en rester à la seule surveillance du risque à long terme d’augmentation du taux de gliomes (tumeur cérébrale). Pourquoi ne pas tirer des enseignements de ce qui se passe dans l’industrie de la santé ? Grâce aux lanceurs d’alertes, à des mobilisations sociales et sociétales liées à des scandales à répétition, à des recours juridiques systématiques visant les responsables économiques et politiques impliqués dans des pratiques peu vertueuses, l’industrie du médicament a fortement bougé depuis 20 ans. Obligation légale est faite aux industriels de procéder à une évaluation des nouveaux médicaments avant commercialisation suivie d’une pharmacovigilance après mise sur le marché, exposant l’industriel à se voir retirer son autorisation de mise sur le marché voire à ce que son produit soit déremboursé par la Sécurité sociale en cas d’alerte sérieuse. En deux décennies, la défiance à l’égard des médicaments a eu tendance à chuter au sein les professions de santé et les explications fournies aux patients sont de plus en plus pertinentes : « voici les dangers (certains) de votre maladie, voici le niveau d’action qu’on est en droit d’attendre de tel ou tel médicament et voilà les risques potentiels chiffrés ». L’industrie du médicament a été contrainte sur ce plan de cesser de mépriser les prescripteurs et les patients. Pourquoi l’industrie de télécoms ne modifierait pas elle-aussi son modèle socio-économique ?
La 5G : un enjeu pour produire et consommer autrement
Au plan écologique, les enjeux sont également particulièrement importants. Si la consommation à venir doit s’orienter vers les énergies bas-carbone, il y a aussi nécessité de maîtriser la consommation le plus en amont possible. 80 % de l’impact environnemental des télécoms provient de la consommation électrique. La 5G divise par 10 la consommation d’énergie pour une unité d’informations transportée. La consommation globale risque d’augmenter cependant massivement du fait d’une multiplication des usages et du trafic associé comme l’indique déjà la hausse observée chez les opérateurs ayant déjà lancé la 5G. A l’heure du réchauffement climatique, la maîtrise et la diminution, même relative, de la consommation énergétique ne peuvent être livrées au marché. Sur l’ensemble des volets techniques (système d’antenne, bandes de fréquences, densification du réseau), il est possible d’agir pour baisser cette consommation. Cela suppose une politique volontariste d’intervention sur la conception et l’utilisation des équipements : développement de l’intelligence artificielle pour automatiser les mécanismes d’économie d’énergie sachant qu’ils deviennent individualisés ; intégration des performances énergétiques dès la conception des antennes et des semi-conducteurs (cela n’a jamais été priorisé), remplacement des équipements anciens et mutualisation. Une transition rapide du parc d’utilisateurs vers une 5G économe en énergie est possible en fournissant les nouveaux matériels à bas prix pour faciliter le renouvellement contrairement à aujourd’hui. Saisir l’opportunité de mettre ce progrès technologique au service de l’égalité d’accès et du progrès humain, en maîtrisant collectivement tant les impacts sur la santé que sur l’environnement, demande de s’attaquer à la logique marchande fondée sur le seul profit.
Un cadrage et un pilotage publics fondés sur l’intérêt général
Cela suppose un cadrage précis et un pilotage public du développement de la 5G dans notre pays. Encore faut-il s’en donner les moyens. Il faut sortir d’une attribution de fréquence aux opérateurs les plus offrants avec des vœux pieux de bonnes pratiques, en mettant des contraintes et des obligations privilégiant le développement durable sur le profit. Au plan sanitaire doit être fourni un dossier d’évaluation par l’industriel de tout dispositif local, respectant un cahier des charges qu’il appartient aux agences de santé de rédiger après auditions des usagers. Il ne doit pas y avoir de commercialisation d’une innovation sans évaluation légalement obligatoire des risques sur la santé. Toute innovation comporte obligatoirement des inconvénients potentiels, forcément inconnus a priori. Ils le resteront a fortiori si on ne contraint pas les industriels à faire l’effort financier et scientifique de les mettre en évidence. C’est sans doute le meilleur moyen de réconcilier le progrès technologique avec le principe de précaution qui a depuis 2005 valeur constitutionnelle: «Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage » (Article 5 de la charte de l’environnement) La France doit se fixer par ailleurs l’objectif de maîtriser la conception et la fabrication des semi-conducteurs où se jouent les caractéristiques du produit final. C’est à de tels choix qu’on mesurera si le nouveau commissariat au plan n’est qu’une énième opération de communication ou est porteur d’une réelle stratégie de reconquête technologique et industrielle qui conditionne pour beaucoup notre bien-être. Enfin les décisions ne peuvent être prises dans des cercles restreints où le lobbying marchand ou politicien prime sur l’intérêt général. La question de contre-pouvoirs et d’actions des usagers de la téléphonie mobile est clairement posée, notamment dans les territoires où va se jouer la révolution des transmissions à venir. Non seulement tous les acteurs doivent pouvoir se faire entendre y compris les consommateurs, mais les pressions doivent se multiplier pour aboutir, avec davantage de transparence, à des mesures qui impulsent la nouvelle manière de produire et de consommer à laquelle aspirent majoritairement les salariés et la population.