Photonis ou la souveraineté industrielle en question, Sylvain Delaitre, Jean-François Bolzinger, Michel Vakaloulis*

Sylvain Delaitre, Jean-François Bolzinger (directeur de la publication de Progressistes) et Michel Vakaloulis sont fondateurs du think-tank  « Sécurité Défense Souveraineté »

Photonis est une PME innovante d’un millier de personnes dont la moitié en France avec un site de production à Brive. Le projet de cession à Teledyne, entreprise californienne liée au Pentagone, illustre pleinement les contradictions auxquelles se heurte la politique de la France en matière industrielle et de souveraineté de Défense. Leader en optique militaire, Photonis fournit non seulement l’armée française mais beaucoup d’armées dans le monde. Cette technologie optique équipe aussi bien le télescope Hubble que le grand collisionneur de hadrons du CERN. Si l’entreprise fournit des composants au laser mégajoule (programme « simulation » du CEA) et aux sous-marins nucléaires, elle travaille également pour le civil avec les appareillages de spectrographiques de masse. Ce leader mondial de la vision nocturne est en fait un acteur incontournable dans le domaine de l’instrumentalisation nucléaire, du digital et des détecteurs scientifiques.

Pourquoi cette cession ?

Photonis appartient à Ardian, filiale d’Axa. Celle-ci a mis en vente Photonis en septembre 2019 pour renouveler ses actifs comme tous les cinq ans. Ardian est un gestionnaire de fonds fonctionnant au taux de retour sur investissement et selon la règle de vendre au prix le plus élevé le plus rapidement possible.

Photonis rencontre un vrai problème d’insuffisance de capacités en recherche et développement et a besoin de financement pour cela. La vente et l’adossement à un groupe sont censés répondre à ce problème.

L’acquéreur potentiel, Teledyne, propose un prix de 550 millions de dollars très supérieur à ce que Safran ou Thalès seraient prêts à payer. Pour ces deux entreprises sollicitées par le ministère de la défense, affirmant vouloir trouver une solution française, Photonis n’entre pas de surcroît dans leur périmètre de spécialisation.

Le choix de l’Élysée

Après plusieurs mois de discours ministériels sur l’industrie nationale et la souveraineté, ainsi qu’un rapport du Sénat s’offusquant de laisser partir « une telle pépite » à l’étranger, l’Élysée vient de signifier une acceptation de la cession sous conditions.

En plus d’engagement non chiffrés pour l’emploi et les investissements en recherche et développement, les conditions émises par l’Élysée et soumise à Teledyne stipulent une entrée de la banque publique d’investissement Bpifrance au capital avec droit de veto en cas de revente, ainsi qu’un comité de sécurité interne pour garder la main sur les contrats spécifiques et échapper ainsi à ITAR, le dispositif réglementaire permettant aux États-Unis d’avoir un contrôle sur les composants américains. S’y ajoute la confidentialité pour ce qui relève des aspects militaires français. Ce comité de sécurité interne est similaire au « Proxy Board » qu’exige le Pentagone quand un de ses fournisseurs se fait racheter par un groupe étranger.

Il reste que la France n’est pas les États-Unis en terme de rapport de force. Ces conditions ont toutes les chances d’être un leurre. Les actionnaires de Teledyne et le gouvernement américain primeront toujours en cas de conflit. BPI France se trouve par ailleurs instrumentalisée pour donner une caution de couverture nationale à une mise sous dépendance américaine. Les Américains semblent eux prêts à toutes les concessions pour récupérer Photonis.

Des précédents fâcheux

Cette affaire s’ajoute aux abandons de souveraineté intervenus récemment au profit d’acquéreurs étrangers essentiellement américains :

–la vente de Souriau, spécialiste de l’interconnexion pour la défense, à Eaton (États-Unis)

–la vente de HGH, expert des technologies infrarouges à Carlyle

–la montée au capital de Searchlight dans Latécoère.

Cette liste non exhaustive s’ajoute aux deux précédents qu’ont été la perte de deux joyaux pour notre pays : Alstom Power racheté par Général Electric et Technip par FMC.

Quelle alternative ?

Le rapport du Sénat a relevé l’incapacité de l’économie française à proposer à Photonis un financement français de son développement. Il en ressort le besoin d’opérateurs publics capables de lever des fonds suffisants pour acheter et investir dans la Défense. Aujourd’hui par exemple Definvest (fond commun à la BPI et au ministère des armées) a un budget très insuffisant de 50 millions

Si la France et l’Europe veulent exister et se développer, il faut qu’elles puissent sortir des seules règles de la libre concurrence pour ce qu’elles estiment stratégique. Le droit de souveraineté en matière de Défense doit primer sur les règles financières. Au plan économique le ratio du retour sur investissement à court terme comme seule boussole est plus mortifère que le Covid.

Reste que reconstruire une industrie aujourd’hui en lambeaux suppose de redéfinir les priorités stratégiques pour le pays à l’aide d’un organisme planificateur définissant les noeuds technologiques et de production à maîtriser, intégrant une BPI dotée de moyens conséquents. Cette dernière doit passer du stade expérimental à industriel.

L’opposition entre production et conception des technologies doit être résolument combattue. On ne maîtrisera les technologies critiques que si elles s’accompagnent des capacités de production, en matière de composants par exemple.

 Si la formule du commissariat au plan d’antan est aujourd’hui datée, son esprit pourrait inspirer la mise en place d’un organisme plus souple adapté aux enjeux actuels mais qui ait les moyens d’impulser une ligne claire en matière de développement technologique et industriel, civil et militaire.

Ne pas laisser le tissu industriel se détricoter davantage est la priorité de l’heure passant par la sauvegarde des emplois et des savoir-faire. Ceci va de pair avec un contenu de stratégie industrielle programmée.

Les banques et assurances doivent clairement être mise à contribution pour oeuvrer à cette reconstruction à un moment où les éléments disruptifs liés au numérique et aux enjeux écologiques ouvrent des opportunités réelles.

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