Nous reproduisons, avec l’amicale autorisation de l’auteur et du journal, un article publié initialement dans Le Travailleur Parisien, journal de l’UD CGT
Par Yann Flecher – infirmier, responsable de l’USAP CGT et élu du personnel de l’AP-HP
La pandémie qui nous affecte aujourd’hui est exceptionnelle, tant par son ampleur que par sa forme.
Comment un telle situation est-elle devenue possible ? Pour comprendre, il faut regarder en arrière et analyser les politiques menées en matière d’offre publique de soins à Paris : les choix pris par les dirigeants successifs vont tous dans le sens de la sacro-sainte « maîtrise comptable des dépenses de santé ».
Dans la sixième puissance mondiale, on est incapable d’équiper son personnel soignant de masques médicaux et de surblouses. Et ce n’est pas tout. Rapidement, le manque de respirateurs et de lits de réanimation est devenu criant, au point d’expédier des patients par TGV vers Brest, Bordeaux ou Poitiers. Le personnel manque également, si bien que des solidarités se font jour, des collègues de toute la France venant en renfort, comme les étudiant-es en médecine ou en soins infirmiers. Mais c’est encore insuffisant. Pour répondre à ce virus inconnu qui frappe le monde entier, une modification profonde de nos hôpitaux est nécessaire. Il faut créer des unités de soins particulières n’accueillant que des patients symptomatiques, multiplier les lits de soins critiques et de réanimation, créer une filière particulière d’accueil en isolant les patients dits Covid+ des autres afin de ne pas les contaminer, protéger les agents de l’hôpital public, infirmières, aides-soignantes, médecins ainsi que tous ceux et celles qui interviennent auprès des patients.
Silence, on ferme !
Chaque année passée voit son lot de fermetures d’hôpitaux, de services, de lits, des restructurations, des regroupements, ce qui se traduit en France par la disparition de plus de cent mille lits en dix ans, ou encore, à Paris, par la fermeture de l’Hôtel-Dieu ou du Val-de-Grâce. Des lits qui ont cruellement manqué pour hospitaliser les patients victimes du coronavirus. N’aurait-il pas mieux valu rouvrir l’Hôtel-Dieu et le Val-de-Grâce plutôt que transférer des patients en TGV ? Le manque de moyens allié aux plans d’économies ont conduit à la situation que l’on connaît aujourd’hui. Malgré les alertes de l’USAP-CGT et les luttes menées pour défendre l’Hôtel-Dieu, la direction générale de l’AP-HP et les ministres de la Santé successifs ont fait le choix de continuer cette politique de casse, en supprimant plusieurs milliers d’emplois et plusieurs milliers de lits. La crise du Covid-19 est loin d’être terminée mais d’ores et déjà le « plus jamais ça » entre dans les discours. Évidemment qu’il ne faut pas que ça se reproduise, mais, pour cela, il faudra non pas refonder mais reconquérir l’hôpital public et gagner la satisfaction des revendications que nous portons depuis plusieurs années. La lutte contre la fermeture de l’Hôtel-Dieu, puis les grèves des urgences, et la lutte globale de l’hôpital ont exprimé des revendications identiques, en premier lieu l’augmentation des salaires, le dégel du point d’indice ainsi que la refonte des grilles de la fonction publique hospitalière. Nos conditions de travail sont aussi au cœur des préoccupations, l’embauche d’agents titulaires et statutaires est impératif pour permettre une prise en charge optimale des patients. Il faut également arrêter les plans d’économies et mener un redéploiement de lits à la hauteur des besoins en investissant massivement dans
l’hôpital public, en fixant par la loi de financement de la Sécurité Sociale un Ondam à 4,5 %.
La direction est sourde
Cette crise a permis de mettre en lumière la situation d’un hôpital public essoré par des mesures d’économies qui ne lui permettent plus de jouer son rôle de pivot dans le secteur de la santé. Oui, il faudra opérer un véritable virage à 180° afin de reconquérir notre hôpital public. Une reconquête qui passe par la mise en place d’une réelle démocratie sociale permettant à tou-te-s de participer à la vie de l’hôpital.
Aujourd’hui, les représentants du personnel, malgré leur statut d’élus, ne sont pas écoutés, parfois même méprisés par des directions autocratiques qui ne veulent rien savoir. Juste avant le début de la crise, le directeur général, par une énième réforme, réduisait encore le nombre d’élus du personnel. Quand la crise sera terminée, il faudra les écouter, car ils n’oublieront pas les sacrifices consentis pour sauver des milliers de patients.
Une réflexion sur “Reconquérir l’hôpital public”