Affronter la pandémie du COVID-19 (3): un défi pour l’humanité…et une exigence de soutien aux hôpitaux publics, Jean-Jacques Pik

Docteur Jean-Jacques PIK – 29/03/2020

Médecin Hospitalier, actuellement en fonction à l’Unité COVID-ambulatoire du GHPSO-site de Creil)

Cet article fait suite à deux précédentes publications en ligne sous l’égide de la revue « Progressistes », en date du 1er mars et 24 mars 2020 sous le même titre. Le lecteur pourra aisément s’y référer pour éviter les redites (mais certaines sont inévitables) :

texte du 1er mars : cliquez ici

texte du 24 mars : cliquez ici

Au point où nous en sommes, c’est-à-dire au stade d’épidémie confirmée (stade 3), il paraît inutile de revenir sur la genèse de l’épidémie et de s’attarder sur le rapport actuel de situation sinon pour mentionner les chiffres ministériels du 27 mars 2020 et la progression de l’infection à SARS-CoV-2qui reste extrêmement élevée (comparer avec les chiffres de la version précédente)

– Au plan national, un peu moins de 33000 cas déclarés, 1995 décès dont 85% au-delà de 70 ans. 3800 personnes en service de réanimation, dont 34% ont moins de 60 ans.

– Au plan mondial (OMS, 28 mars) 571 000 cas déclarés, 26500 décès, l’Europe est donc devenue l’épicentre de la pandémie et la vague atteint désormais largement le continent nord-américain. Comme évoqué la semaine passée, il existe des disparités importantes au sein du continent européen sur lesquelles il semble imprudent de conclure trop vite, la progression des nouveaux cas en Allemagne semblant plus rapide qu’en France

L’objet de cette chronique est de faire le point sur les questions les plus débattues à la fois dans les médias, les réseaux sociaux et les milieux scientifiques. Elle n’engage évidemment que l’auteur de ces lignes.

On précisera qu’une fois de plus, tout est dans tout (…et réciproquement). Les politiques des gouvernements successifs de ces deux dernières décennies ont conduit à la fragilisation des hôpitaux publics, la fermeture de lits de réanimation et de médecine se paie aujourd’hui, la faible disponibilité des réactifs et des masques de toutes sorte découle de choix stratégiques des années passées. Dès lors, les mesures prises ces jours-ci sont obligées de prendre en compte la réalité du moment et les responsabilités du pouvoir sont énormes dans la gestion de cette crise.

La situation dans les Hôpitaux est de plus en plus critique, au-delà de la saturation maximale et continue à croître, alors même que presque toutes les autres activités médico-chirugicales sont à l’arrêt et que les structures privées à but non lucratif prennent des patients en transfert de l’hôpital. C’est dans les services de réanimation que les choses sont les plus difficiles car tous les les unités sont saturées et les transferts éloignés et le tri permanent sont une réalité permanente, très mal vécues par les équipes.

Le confinement est pour l’instant l’arme essentiel dont nous disposons pour freiner la circulation du virus. Il faudra encore quelques semaines (4 à 6) pour en comprendre l’efficacité. Encore faut-il que les autorités entendent la demande des syndicats de stopper toutes les activités non essentielles, ce qui est loin d’être le cas.

La pénurie de masques est certainement le point le plus sensible de tous. De nombreux soignants, médecins, infirmières ont été contaminés lors des premières phases de l’épidémie fin février/début mars où la disponibilité des masques était très faible. A l’heure actuelle, le stock est tendu, il faut faire la journée dans une unité COVID avec au mieux deux masques FFP2, parfois un seul, parfois pas du tout et seulement un masque chirurgical.

Dans les établissements médico-sociaux, EHPAD, foyers, la situation est ces jours-ci encore pire, les masques de protection sont la plupart du temps absents alors que le virus est présent et que les personnels font un effort désespéré pour continuer à travailler afin que les patients confinés et isolés de leurs proches ne se sentent pas seuls. Les dégâts psychologiques liées aux situations d’isolement s’ajoutent aux dégâts physiques, ces patients des EHPAD n’étant quasiment jamais hospitalisés.

Sur les tests

On se souvient qu’il s’agit de tests de biologie moléculaire qui identifient l’ARN viral par méthode de Polymerase Chain Reaction (PCR). Ce sont des tests de technologie très fine, relativement coûteux (55 euros par unité), sujets à quelques erreurs possibles dans un sens ou dans l’autre, surtout des faux négatifs (si le prélèvement nasal est trop superficiel par exemple). Leur utilisation à très grande échelle est malaisée, elle demande une très grande quantité de réactifs. Le test expose la personne qui prélève à un risque élevé de transmission. Elle aurait nécessité la mobilisation de tout le réseau des laboratoires de biologie. Sans parler de dépistage généralisé, une enquête épidémiologique plus poussée aurait probablement été utile dans les zones-cibles de février 2020 (Oise, Haut-Rhin) pour comprendre la progression souterraine de l’épidémie et mieux anticiper certaines décisions.

En pleine épidémie et période de confinement, le dépistage des personnes asymptomatiques n’a plus forcément de justification. Il est trop tard pour l’épidémiologie descriptive. Le dépistage des personnes symptomatiques, même les personnes qui n’ont que des symptômes mineurs, paraît essentielle en revanche, pour continuer à tracer l’épidémie et leur permettre de protéger leur entourage.

Dans certains cas, il est considéré dans les consultations avancées COVID, que la présence de signes-clés tels la perte brutale du goût et de l’odorat ou bien la présence de lésions typiques sur le scanner thoracique, permet de se passer du test. Gardons toutefois en mémoire que si l’infection est ultérieurement reconnue comme maladie professionnelle chez les soignants, ce qui paraît la moindre des choses contrairement aux déclarations du Ministre de la Santé, il demeure essentiel qu’un test soit réalisé et documenté.

L’étape suivante comportera la réalisation de tests sérologiques, non disponibles actuellement. Ces tests dépistent, non le virus, mais les anticorps élaborés par l’organisme lors de l’infection, qu’elle soit apparente ou non. La technique classique de séro-diagnostic ELISA est beaucoup plus simple et moins coûteuse que la recherche d’ARN viral par PCR et elle permettra des diagnostics rétrospectifs. Lorsque ces tests seront disponibles, il sera essentiel de les généraliser pour connaître l’extension de l’épidémie dans la population générale et on pourra alors calculer tous les taux sur lesquels nous spéculons tous depuis des semaines : morbidité, mortalité, hospitalisation, etc… L’observation de la littérature scientifique de ces dernières semaines montre que les publications ne se bousculent pas dans ce domaine, y compris en Chine. Toutefois de nombreuses équipes travaillent dessus de par le monde et en France.

Quid des modes de transmission ?

Le mode de transmission ultra majoritaire est la transmission « gouttelettes », celle qui se fait par les particules de salive et mucosités pleines de virus émises lors de la parole, la toux et l’éternuement. Ces gouttelettes, relativement lourdes, retombent assez vite sur le sol ou les surfaces planes. Ce dogme actuel valide l’essentiel des mesures-barrières bien connues. Le second mode « contact » découle du premier car si les gens ne toussent plus dans leurs mains et ne se serrent plus la main, la transmission diminue. Restent les questions qui agitent beaucoup les esprits :

Existe-t-il une transmission « air » par micro-gouttelettes persistant beaucoup plus longtemps dans l’air et pouvant être inhalées secondairement, au modèle de la tuberculose ou de la rougeole ? L’opinion qui prévaut chez les virologues est que la concentration virale qui persistent dans de telles micro-gouttelettes est insuffisante pour transmettre l’affection. Cela reste néanmoins un point non résolu.

Qu’en est-il de la survie du virus sur surfaces inertes ? De nombreux travaux sont en cours et les médias ont largement relayé la présence de particules virales sur le « Diamond Princess» 17 jours après le départ des passagers. Il faut rappeler que les virus ne sont pas des substances vivantes au sens des bactéries ou des protozoaires et que la présence de matériel viral ne signifie pas qu’il soit encore réplicatif et infectant. Il semble certain que la survie « active « du virus soit dépendante des conditions, il semble moins réplicatif avec la chaleur, les climats humides (nos collègues Guyanais espèrent beaucoup de ces conditions pour limiter la diffusion virale dans leur région), probablement plus stable sur les surfaces inertes, plastiques, métaux. Le lavage des mains et la désinfection régulière des surfaces restent les meilleures barrières possibles.

Quid des traitements à la date du 29 mars 2020 ?

L’actualité des derniers a été dominée par la controverse autour des travaux de l’IHU de Marseille et l’annonce tonitruante par le Professeur RAOULT de l’efficacité de l’association Hydroxychloroquine/Azithromycine publiée sur Youtube d’abord, sur une revue médicale ensuite. On se référera à l’édition précédente de cette chronique. Redisons ici que cette piste est suffisamment étayée pour mériter de plus amples investigations, mais pas suffisamment pour être généralisée d’emblée pour plusieurs raisons :

Modèle virologique déjà envisagé pour d’autres affections virales avec efficacité virologique mais échec clinique (MERS-CoV, dengue, chikungunya)

Essai thérapeutique trop restreint en effectifs, sans groupe contrôle apparié. Il en existe un dont on ne sait rien.

Association médicamenteuse justifiant une surveillance rapprochée des patients pour des raisons de contre-indications, précautions d’emploi et interactions médicamenteuses, difficiles à mettre en œuvre en urgence. Pour l’HYDROXYCHLOROQUINE les effets secondaires aux doses préconisées par l’étude, plus élevées que dans les autres indications ne sont pas connues, même si les patients inclus n’ont pas semblé présenter d’effets secondaires notables.

Quant au fond, il sera ardu de mettre au point un essai s’adressant aux patients « non graves » puisque 80% vont guérir sans traitement et les effectifs à enrôler dans un tel essai seraient trop grands pour espérer une réalisation rapide. En revanche, l’administration sur une population hospitalisée plus facile à surveiller, mais plus grave, prend tout son sens dans le contexte de ces jours-ci, en attendant le retour des grands essais cliniques en cours.

En premier l’essai Discovery du groupe REACTing (voir semaine dernière) qui comporte :

-Un bras « contrôle » avec les soins de support les plus complets possibles

-Un bras REMDESIVIR, analogue nucléotidique antiviral du laboratoire états-unien GILEAD, qui a montré une activité sur d’autres virus à ARN (Ebola, Marburg). Dans le cadre de l’essai, le médicament est évidemment fourni gracieusement par l’industriel. On peut imaginer que la stratégie commerciale de GILEAD les poussera à ne pas proposer un prix élevé ensuite le cas échéant.

-Un bras LOPINAVIR/RITONAVIR, anti viral antiprotéase largement utilisé contre le VIH. Ce médicament, donné par voie orale, est issu du laboratoire ABBOTT/ABBvie mais génériqué depuis des années.

-Un bras associant LOPI/RITO à un immunomodulateur, l’Interféron dont on attend l’effacement de la réaction immunitaire violente survenant chez les malades les plus graves.

En annexe a été ajouté un bras utilisant l’HYDROXYCHLOROQUINE dont le rationnel a été discuté plus haut.

Les épidémiologistes et statisticiens travaillent jour et nuit pour que les données de cet essai soient utilisables au plus vite. La taille de l’essai (3200 patients) et la dimension multicentrique devraient lui donner une puissance considérable.

D’autres essais sont en cours ou des observatoires de patients recevant d’autres immunomodulateurs (TOCILIZUMAB notamment) pour explorer cette piste de la réponse immunitaire exubérante.

Dans la pratique ordinaire de ces derniers jours :

Aucun traitement chez les patients suivis à domicile en attendant les données à venir hormis le PARACETAMOL

Les patients hospitalisés hors essais, oxygéno-dépendants, bénéficient du traitement de support classique auquel le médecin peut rajouter après discussion collégiale soit du LOIP/RITO soit de l’HYDROXYCHLOROQUINE (seule)

En réanimation, la ventilation assistée prolongée sous sédation est le pivot du traitement L’antiviral utilisé par la majorité des services est le LOPI/RITO.

La dernière édition des recommandations du Haut Conseil de Santé Publique remonte au 23 mars 2020, accessible à tous sur le site du HCSP, susceptible de modifications rapides. L’utilisation hospitalière de l’HYDROXYCHLOROQUINE est encadrée par un décret ministériel spécifique, n° 2020-324, sorti le 25 mars 2020.

Quid du vaccin ?

Le SARS-CoV 2 est un virus à ARN, par définition moins stable que les virus à ADN. Cela signifie que les « erreurs de recopiage » de son génome sont fréquentes, la plupart du temps sans conséquences pour sa virulence mais peuvent gêner considérablement la conception d’un vaccin si des zones significatives de son génome sont modifiées. C’est ce qui coince depuis 40 ans la recherche d’un vaccin contre le VIH, a empêché la synthèse d’un vaccin contre le VHC et gêné considérablement le développement des vaccins contre la dengue.

Dans de nombreux cas, les mutations successives font perdre de la virulence au virus et la maladie résiduelle devient trop bénigne pour justifier un vaccin (cas du rhume). Mais un scénario diabolique est également envisageable, au moins au plan théorique, avec un regain de virulence, justifiant la poursuite des recherches.

Dès lors plusieurs scénarios restent possibles, sachant qu’en aucun cas un vaccin puisse être espéré pour contrer l’épidémie en cours.

Soit en sortie de pandémie, les tests sérologiques permettent d’isoler une partie indemne (séronégative) de la population qui serait vaccinée ultérieurement (à condition d’avoir vérifié que la maladie est bien immunisante, ce sur quoi nous n’avons pas encore de données).

Dans un autre scénario, le virus muterait de façon régulière sur des zones significatives du génome auquel cas, de nouveaux vaccins annuels seraient à créer, comme dans le cas de la grippe.

Répétons que la recherche fondamentale sur les coronavirus a perdu beaucoup de temps depuis l’épidémie SRAS de 2003, car considérée comme non prioritaire par les dirigeants des pays occidentaux, les nôtres en particulier.

Perte de temps sur la recherche, mauvais choix sur les masques, mauvaise prévision du besoin en tests, étranglement de l’hôpital public, restriction des libertés publiques et démocratiques (que l’on dit provisoire, mais sait-on jamais…), atteintes au droit du travail avec mise en danger des salariés, ça commence à faire beaucoup…

Une réflexion sur “Affronter la pandémie du COVID-19 (3): un défi pour l’humanité…et une exigence de soutien aux hôpitaux publics, Jean-Jacques Pik

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