À quoi sert l’écologie politique ? Jean-Claude Cheinet*

L’écologie politique est à distinguer de l’étude des écosystèmes, une discipline dont les spécialistes ont préféré changer de nom : écologues, et non écologistes. L’écologie politique invoque les techniques, mais ses têtes d’affiche sont essentiellement des spécialistes de la posture politique.

*Jean-Claude Cheinet est géographe, ancien adjoint au maire de Martigues.

L’écologie politique est à distinguer de l’étude des écosystèmes, une discipline dont les spécialistes ont préféré changer de nom : écologues, et non écologistes. L’écologie politique invoque les techniques, mais ses têtes d’affiche sont essentiellement des spécialistes de la posture politique.

Ce courant de pensée est apparu au grand jour dans les années 1970- 1980 avec la candidature à la présidentielle de René Dumont, puis s’est structuré autour de la FRAPNA (Fédération Rhône- Alpes de protection de la nature), société d’enseignants naturalistes devenue FNE; celle-ci a porté les « verts » sur les fonts baptismaux, et il en est resté une culture de la « protection » de l’environnement, de sa « mise sous cocon » en l’état. Néanmoins, les verts sont une collection de chapelles à l’action contradictoire (pour les EnR et éoliennes ici, contre là au nom du paysage, etc.), mais ce qui les rassemble, toutes chapelles confondues, c’est être contre le nucléaire – curieusement surtout le nucléaire civil : d’un point de vue géographique, ils ont un tropisme alsacien fixé sur Fessenheim, ou normand sur Flamanville.

LE MOUVEMENT DU CAPITAL ET L’ÉCOLOGIE

Une analyse en lien avec la structuration en classes de la société française montre que l’essor du nucléaire en France s’est produit dans la phase des Trente Glorieuses avec un État fort. Il a coïncidé avec la conjonction d’intérêts de Schneider-Creusot- Loire ou de Wendel (construction des réacteurs), les restes de la volonté gaullienne d’indépendance énergétique et la crise du pétrole de 1973 (« On n’a pas de pétrole, on a des idées » !). Ces monopoles se sont fait payer un maximum ces grands travaux (capitalisme monopoliste d’État) par EDF nationalisé, donc par l’État. Mais dans ce secteur le retour sur investissements est très long! Nous sommes donc passés à une autre phase. D’autres secteurs du capital mettent en avant les EnR photovoltaïque et éolien avec des groupes financiers actifs (banque Rothschild, Compagnie du vent…) ; c’est un businessà taux de profit élevé, rapide, à débouché garanti et payé grâce aux taxes versées par les usagers de l’électricité (CSPE).

Parallèlement, financiers et industriels ont flairé un filon et développent un secteur à profit avec les produits « verts, bons pour ma planète » dont les acheteurs acceptent un prix assez élevé. Le capitalisme tente ainsi de se « verdir ». Pour susciter une augmentation de la demande – et des profits ! –, ces firmes promeuvent et soutiennent par divers biais le courant écologiste (médias dominés, aides à diverses actions, quand ce n’est pas une aide directe en embauchant les dirigeants…) et le valorisent dans l’opinion jusqu’à en faire un sujet dominant. Certaines fondations (fondation Hulot) font de la « communication » – et diminuent leurs impôts –, des « associations » (Greenpeace, Oxfam, WWF, etc.) sont des firmes qui vendent leurs services et en créent le besoin par leur action de lobbys ; elles relaient aussi les « verts » grâce à des actions spectacles vite médiatisées. Suivent alors les rapports – assez légers – de l’ADEME, la dissimulation calculée des transports et de l’industrie pour focaliser sur l’électricité et le nucléaire la capitulation politicienne des gouvernements (cf. accord Jospin-Voynet sur Creys-Malville) puis les lois de programmation énergétique qui conduisent à faire accepter ces choix industriels.
Ce mouvement de la société est accompagné par une montée des peurs dans une société effrayante et polluée, un retour en force de l’obscurantisme, un reflux du rationalisme et de l’idée que l’homme peut gérer de façon solidaire la production et la concilier selon les besoins avec une certaine sobriété et la préservation de la nature. Irrationalisme et obscurantisme sont de retour, comme l’attestent le refus des vaccins ou certaines modes alimentaires (véganisme…), au mépris du bon sens et des connaissances.

PROJET DE SOCIÉTÉ POUR LES UNS, PLAN DE CARRIÈRE POUR LES AUTRES

Le contexte (réchauffement climatique, manifestations des jeunes, programmes scolaires depuis vingt-cinq ans) a construit, et c’est bien, une sensibilité à ces questions. Mais cette sensibilité assez vague ne remonte que rarement aux causes et reste dans le cadre de l’idéologie dominante libérale considérant comme « naturelle » l’économie capitaliste. Le vote « écologiste » est pour une part un non-choix – ni gauche ni droite – mais traduit souvent cette nouvelle sensibilité et la volonté d’agir en fonction d’idées généreuses. Il tient parfois lieu de projet de société et d’aspiration assez vague à un autre mode de vie ; l’idée de décider localement rejoint même une aspiration générale à la démocratie.

Il y a là un potentiel pour un rassemblement progressiste à gauche pour peu que naisse une distance critique envers les logiques capitalistes.
En revanche, les dirigeants « verts » sont des arrivistes politiciens, changeant de boutique et d’alliances au gré des conjonctures électorales ; ils passent du domaine politique à des fondations ou à des firmes comme d’autres « pantouflent ». Certains cumulent la propriété d’une agence de communication ou de vente de produits « verts » avec des responsabilités politiques qui leur permettent de promouvoir leurs ventes… Les conflits d’intérêts sont proches… Pétris de l’idéologie dominante libérale, pour eux le « ni droite ni gauche » va avec l’acceptation du libéralisme austéritaire. Cela dit, ils ont réussi le tour de force de présenter leurs ambitions comme un projet alternatif de société. OEuvrant à un simple aménagement du capitalisme, il est « naturel » qu’ils aient cultivé des alliances tantôt avec le PS, tantôt avec des libéraux assumés. Finalement, ils jouent le même rôle que l’Église au XIXe siècle ou la social-démocratie au XXe : à la fois expression du malaise social et détournement des luttes transformatrices réelles.

DE L’ANALYSE DE LA CRISE ÉCOLOGIQUE ET SOCIALE À L’ACTION DES MILITANTS SUR CE TERRAIN

Le capitalisme comme d’autres modes de production auparavant (esclavagiste avec l’Empire romain, féodal avec l’Empire carolingien ou ensuite le Saint Empire romain germanique) cherche à se consolider en s’étendant par les conquêtes (empire napoléonien) qui profitent du développement inégal (colonies). Or à présent le capitalisme domine la planète, laquelle est finie : difficile d’aller dans l’immédiat exploiter la Lune ou Mars. L’heure est aux pays « émergents » que l’on a plus de mal à piller – il est plus difficile d’aller chercher en Chine les terres rares pour la Silicon Valley – et la croissance démographique de la planète jointe au productivisme des firmes et de la « société de consommation » nous projettent à la figure le réchauffement climatique, la raréfaction des matières premières et l’effondrement de la biodiversité. La nouvelle présentation de l’impérialisme atteint vraiment un stade ultime !

Les communistes ont depuis longtemps abordé ces questions, mais l’action de la masse des militants a eu du mal à suivre. Ancrés sur les questions sociales et refusant que les sociaux-libéraux y substituent les questions sociétales, ils ont pendant des années considéré dans leur masse que les questions écologiques sont celles de « bobos » plus ou moins gauchistes. Ce n’est que récemment que nous avons collectivement analysé la crise sociale et écologique et leurs aspects liés. Il faut donc dépasser au plus vite les réticences de cadres sur des questions qui leur semblent marginales, répondre à l’intérêt de nombreux militants et faire mieux connaître analyses et propositions qui définissent une écologie de construction rationnelle et citoyenne en rupture avec l’écologie des refus cumulés ou du capitalisme « vert ». Du reste, les sondages se suivent et se ressemblent : parmi les premières préoccupations, le niveau de vie et l’environnement ; témoignage de la perte des repères de classe et de la culture politique, le service public; des politiques sectorielles nettes ne viennent qu’ensuite. Mais parler aux gens pour rassembler demande de partir de leurs préoccupations, et donc de l’écologie.

Un des enjeux est de savoir dépasser aussi la façon dont l’écologie politique met en avant les attitudes individuelles, soit pour culpabiliser le citoyen pollueur, soit pour renvoyer à l’impossibilité supposée de changer; bien loin de nous de refuser ce qui est éducation à consommer autrement pour aller ensuite au produire autrement, de nier la responsabilité de chacun, mais cela n’est acceptable que conjugué à des mesures d’ensemble qui lui donnent sens et efficacité. D’où nos propositions. Lever ces blocages est urgent, et nous avons besoin de faire connaître les liens entre environnement et luttes des classes comme passerelle entre nos actions « traditionnelles » et les réponses nouvelles. Il est urgent que dans ces aspects nouveaux des luttes idéologiques nous nous donnions les moyens de répondre à l’urgence écologique.

Une réflexion sur “À quoi sert l’écologie politique ? Jean-Claude Cheinet*

  1. À quoi sert l’écologie politique ?
    Ma réponse , commentaire, ici, vient du monde des « Gens de mer » :

    Le genre humain doit d’urgence construire son « arche salvatrice » :
    Ce vaisseau du futur devra l’embarquer tel l’Arche de Noé mythique, et prendre le bon cap vers un « autre monde », car le monde capitaliste n’est plus viable au stade ultime qu’il a désormais atteint.
    Cette mise en chantier s’impose bel et bien « globalement », et tous les « fantasmes d’un chantier naval » passés doivent alimenter l’imaginaire commun , sans lequel « l’ingénierie rationnelle la plus savante » serait vain gaspillage « technique »…Il s’agit bien d’une « conscience collective » , historiquement « conscience de classe », aujourd’hui nécessairement aboutie à ce stade ultime sollicitant le développement des « personnes humaines » comme jamais aucune idéologie du passé ne le fit.

    Alain Guillou , auteur du poème “Fantasmes d’un chantier naval”, édité chez EDILIVRE, 2019
    https://www.edilivre.com/librairie/fantasmes-d-un-chantier-naval-2c5b1c7098.html/

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