Nous reproduisons ici le texte de la tribune libre de notre ami Jean-Claude Cheinet, qui a Ă©tĂ© publiĂ©e dans le journal l’HumanitĂ© le mardi 29 Octobre dernier.
*Jean Claude CHEINET est ancien maire adjoint de Martigues, ancien président du CYPRES1 et aussi responsable de la rubrique « Environnement et Société » de notre revue Progressistes.
Lâincendie de lâusine Lubrizol a amenĂ© la ministre Buzyn Ă reconnaĂźtre quâil sâagit de lâaccident industriel le plus grave depuis celui de lâexplosion de AZF Toulouse en 2001. En avait on alors tirĂ© les leçons ?

En apparence oui
Les inspecteurs des installations classĂ©es sont maintenus, les directives Seveso servent de rĂ©fĂ©rence ⊠La loi de 2003 avait mis en place des CSS (comitĂ©s de suivi de sites) rĂ©unissant Ă©tat, Ă©lus locaux, industriels, salariĂ©s et riverains pour envisager en commun la «prĂ©vention des risques » ; lâinformation de la population Ă©tait prĂ©vue…
Mais la « CLIS2 expĂ©rimentale » créée auparavant Ă Martigues comme ouverte au public et Ă la presse, prĂ©sidĂ©e par un Ă©lu, vĂ©ritable appel dâair dĂ©mocratique a Ă©tĂ© remplacĂ©e dans la loi par des CSS prĂ©sidĂ©s par le prĂ©fet, non publics, avec des reprĂ©sentants des riverains nommĂ©s par celui-ci, aux moyens Ă©triquĂ©s ou nuls, et rĂ©unis une fois par an âŠ.
Les inspecteurs des DREAL3 ont Ă©tĂ© rĂ©duits en nombre et ne peuvent exercer leur mĂ©tier dans de bonnes conditions, leurs moyens pour contrĂŽler les Ă©tudes de dangers financĂ©es et lancĂ©es par les industriels en sont limitĂ©s, tandis que la mĂ©thode de calcul du danger a changĂ© pour devenir « probabiliste » (dite MMR4). Ainsi, suite Ă lâaccident de 2013 Ă Lubrizol, une Ă©tude de danger envisageait un incendie avec une probabilitĂ© de 1/10.000 ans (!),  pour 6 ans, hĂ©las, dans le rĂ©el. Et le prĂ©fet a autorisĂ© une augmentation du stockage sur le site sans avoir diligentĂ© une Ă©tude environnementale.
Lâhypocrisie est Ă son comble sur la question de lâalerte des populations. A cĂŽtĂ© des sirĂšnes dâalerte de lâusine elle-mĂȘme, la sĂ©curitĂ© civile a un systĂšme dâalerte par sirĂšnes (celles dâun mercredi par mois) mais ce systĂšme date pour lâessentiel des annĂ©es 1940 ! et lâĂ©tat a refusĂ© jusquâici de moderniser rĂ©ellement par mesure dâĂ©conomieâŠ.

Les blocages et arguments
DerriĂšre les apparences, câest totalement insuffisant pour une rĂ©flexion collective sur la sĂ»retĂ© des installations complexes. « Lâassouplissement de la rĂšglementation » accompagnĂ© de « lâautocontrĂŽle » par les industriels et du « relĂšvement des seuils » ne sont que lâexpression Ă©lĂ©gante de lâaffaissement de lâĂ©tat pourtant responsable de la sĂ©curitĂ© comme lâindustriel lâest de la maĂźtrise des risques de son usine.
PoussĂ© par lâobsession de la dĂ©fense du « secret de fabrication » cĂŽtĂ© industriels, lâĂ©tat cautionne ces refus dâinformation et est revenu lui-mĂȘme Ă une pratique dâopacitĂ© et de silence. Les atermoiements du prĂ©fet pour dĂ©voiler la liste des produits brĂ»lĂ©s Ă Rouen en tĂ©moignent. Mais construire lâignorance provoque la panique en cas dâaccident.
DĂ©s lors comment sâĂ©tonner si la confiance dans la sĂ»retĂ© des installations et la parole de lâĂ©tat a disparu ? RĂ©clamer Ă juste titre la transparence absolue sur les causes et les consĂ©quences immĂ©diates et Ă terme est une revendication Ă©lĂ©mentaire que lâon retrouve partout.
Cependant le concert mĂ©diatique met en avant un courant « écologiste » qui sâindigne de lâaccident ; des avocats en quĂȘte de notoriĂ©tĂ© se prĂ©cipitent pour assister des plaignants⊠mais qui ne voit quâen rester lĂ ne sert quâĂ alimenter des peurs qui trĂšs vite aboutissent Ă lâirrationnel ? Pour en arriver Ă supprimer des industries produisant des matiĂšres dont nous avons besoin tous les jours ?
Des axes de luttes
A lâinverse, la confiance se construit tous les jours et surtout bien en amont de lâĂ©ventuel accident. En Ă©coutant les salariĂ©s qui vivent les installations dâabord ; leurs droits de regard sur la gestion de lâusine doit ĂȘtre renforcĂ© au premier chef. Renforcer le nombre des ingĂ©nieurs DREAL de contrĂŽle des ICPE5 (usine dangereuses) et conforter leur rĂŽle est nĂ©cessaire ; ils doivent avoir mieux les moyens de contrĂŽler les EDD (Ă©tudes de dangers) et y compris lâorganisation du travail (sous-traitance).
Pour les populations, transparence, responsabilitĂ©, dĂ©mocratie sont des axes indispensables. Mais aussi renforcer les CSS, leur donner des moyens et des pouvoirs nouveaux ainsi que accroĂźtre leur reprĂ©sentativitĂ© par lâĂ©lection notamment des reprĂ©sentants des riverains et une protection renforcĂ©e pour les reprĂ©sentants des salariĂ©s. Un suivi rĂ©gulier de lâĂ©volution des installations et des risques dans la clartĂ© permet dĂ©tection et correction des dĂ©rives et diffuse plus de confiance dans la population vis-Ă -vis de lâindustrie et des institutions.
Câest par lĂ mĂȘme rendre lâindustrie acceptable voire dĂ©sirable car plus sĂ»re, câest un chemin responsable pour rĂ©industrialiser le pays. Construire un environnement de qualitĂ© se fait donc contre les intĂ©rĂȘts privĂ©s dominants et les politiques ultralibĂ©rales qui les appuient.
1- CYPRES: Centre d’Information pour la PrĂ©vention des Risques Majeurs
2- CLIS: ComitĂ© Local d’Information et de Suivi
3- DREAL: Direction RĂ©gionale de lâEnvironnement, de lâAmĂ©nagement et du Logement
4-MMR: Mesures de Maitrise des Risques
5-ICPE: Installations ClassĂ©es pour la Protection de l’Environnement