La démocratie comme levier pour penser l’industrie de demain, Aymeric Seassau*

Plus d’un demi-million d’emplois industriels ont été détruits entre 2007 et 2015. Il est grand temps de reprendre le contrôle du secteur industriel, secteur stratégique pour l’emploi, notre balance commerciale et l’écologie.

*Aymeric Seassau est responsable du secteur Industrie au PCF.


« La désindustrialisation en France est arrivée à un point si critique que le pays court le risque d’être entraîné dans une régression et une austérité sans fin, d’être coupé de son avenir. Est-ce cela, son programme? ». Ainsi se conclut un long article de Mediapart du 31 mai 2019 très justement intitulé « Macron en naufrageur de l’industrie »1. Le bilan des années Ghosn chez Renault est limpide à cet égard : aujourd’hui, seuls 19 % des véhicules particuliers de Renault sont désormais produits en France, contre 53 % auparavant. Autant d’emplois perdus sur le territoire national.
Le constat est pourtant connu, en trente ans la part de l’industrie dans le PIB est passée de 20 à 12 %, alors que ce secteur représente les trois quarts de la balance commerciale et 80 % de la R&D. Ainsi, comme le soulignait la syndicaliste Marie- Claire Cailletaud dans un rapport remis au CESE en mars 2018,« La thèse développée depuis trente ans d’une société post-industrielle en devenir, dans laquelle la prospérité de notre pays pourrait se passer d’industrie et ses entreprises se passer d’usines, est infirmée par la réalité. Quel que soit par ailleurs le poids des services dans l’économie, la nécessité de faire évoluer les modes de production et de consommation appelle des réponses industrielles »2. En effet, la question de l’avenir de nos filières est au cœur des enjeux qui traversent notre pays, qu’il s’agisse de l’emploi (le secteur industriel est le seul à générer 3 à 4 emplois induits pour un emploi industriel) ou de la transition écologique. Commandé en 2012 par le nouveau pouvoir Hollande, dans un pays où la crise financière n’a pas épargné l’industrie (environ 1 emploi sur 2 détruits durant la crise financière de 2007-2010 concernait le secteur industriel), le rapport Gallois3 reconnaît le « décrochage industriel » et la nécessité du renforcement des filières stratégiques. Mais plutôt que de s’attaquer au problème, ce rapport a donné naissance au « pacte de compétitivité » et au fameux CICE, dont l’inefficacité est patente.

La politique d’Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir aggrave ce phénomène. Qu’il s’agisse des projets suspendus Alstom-Siemens et Renault-Fiat ou de l’absorption du « navire amiral » de la filière navale française avec la prise de contrôle des chantiers de Saint-Nazaire par Fincantieri, la cangue idéologique du pouvoir en place le pousse à ne penser l’industrie qu’au travers d’un prisme néolibéral exclusivement tournée vers le marché. Plus dangereux : la question de la gouvernance industrielle comme de la démocratie à l’entreprise restent trop souvent dans l’angle mort des grands débats politiques, alors qu’ il y aurait beaucoup à dire.

Retrouver un Etat stratège : conditionner et contrôler les aides

Pour le Parti communiste, il faut mettre en oeuvre de toute urgence un nouveau mode de développement. Celui-ci doit inclure des circuits courts de production et répondre aux besoins de la transition écologique. La mise en place de ce nouveau mode de développement nécessite ainsi des relocalisations industrielles et la maîtrise de l’appareil productif. Hélas ! depuis des années, nous prenons le chemin inverse. En effet, comment prétendre engager la transition écologique sans capacité de production au plus près des besoins ? La France importe 60 % de ses produits industriels et ne produit pas plus de biens manufacturés qu’en 1996, alors que la consommation de ces produits a augmenté de plus de 60 % depuis cette date. Du reste, le dossier General Electric est là pour rappeler un élément simple : la question se pose dans les mêmes termes dans le domaine des transports (Alstom-Siemens, STX-Fincantieri) puisque, en termes d’émissions de polluants, à la tonne transportée la combinaison maritime et fluvial et/ou ferré est sans commune mesure avec le désastre du tout-camion. Face aux fermetures de sites, aux délocalisations, aux fusions, toutes au détriment de l’emploi et de l’ambition industrielle, les dispositifs légaux sont aujourd’hui insuffisants. Qu’il s’agisse de la loi Florange, qui oblige seulement à rechercher un repreneur en cas de fermeture de site, ou encore du décret Montebourg, qui encadre les prises de participation de capitaux étrangers dans des entreprises jugées stratégiques. Cette faible ambition du législateur aggrave le sentiment que les gouvernants non seulement laissent faire les destructions d’emploi, mais également qu’ils sont incapables de faire face aux exigences de la crise écologique. Il y a donc besoin d’un État stratège qui empêche les fermetures de sites utiles et viables et n’hésite pas à revenir au capital lorsque nécessaire pour adapter notre appareil productif aux enjeux du siècle.

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De nouveaux pouvoirs pour les travailleurs et les citoyens

Penser un nouveau mode de développement et agir pour le mettre en oeuvre, c’est aussi redonner du sens à une société qui en a besoin pour sortir de la crise. La question de la maîtrise de la production demeure incontournable pour qui prétend agir pour transformer la société ; elle est également un levier pour recréer du commun, car elle fait appel à l’intelligence collective pour organiser ensemble une transition nécessaire. Les solutions existent ; leur mise en oeuvre nécessite un essor démocratique à tous les niveaux afin de peser sur les critères de gestion des entreprises pour les mettre au service de l’intérêt collectif. Il faut à cet égard être particulièrement attentif aux développements des luttes portées par les salariés. Que ce soit celle des salariés de la centrale thermique de Cordemais, qui défendent de nouveaux projets pour leur outil de travail, ou celles des salariés de la SNCF, de plus en plus souvent ces luttes portent tout autant sur le maintien de l’emploi et l’amélioration des conditions de travail que sur des propositions concrètes pour organiser la transition écologique. De plus en plus durement confrontés à la finance prédatrice et au court-termisme destructeur, les travailleurs qui développent des luttes dans l’industrie défendent bien souvent une vision de l’intérêt général intégrant l’urgence écologique. Pour le Parti communiste, faire entendre la voix des salariés, leur donner plus de droits au sein de l’entreprise et leur permettre de peser sur les grands choix qui les concernent en premier lieu permettrait non seulement d’éviter bien des désastres, mais aussi de mettre en oeuvre des expérimentations, des solutions d’avenir. D’ailleurs, lorsqu’ils prennent en main les rênes de leur entreprise via une SCOP, ils montrent qu’ils savent gérer, le fait qu’à cinq ans le taux de survie d’une SCOP est de 65 %, contre 50 % pour l’ensemble des entreprises françaises, l’atteste. Voilà pourquoi les communistes proposent un droit de veto suspensif des représentants des salariés pour faire prendre en compte des propositions alternatives aux licenciements et de nouveaux pouvoirs de décision des représentants du personnel (sur les heures supplémentaires, le temps partiel, les contrats précaires, la sous-traitance, les plans de formation…).

Encore faut-il protéger les salariés eux-mêmes pour leur permettre notamment d’assumer des pouvoirs nouveaux. Or les ordonnances Macron sont venues prolonger un cycle de quatre réformes (ANI en 2013, lois Macron et Rebsamen en 2015, loi El Khomri en 2016) et affaiblir tout ce qui encadre la vie au travail de 17 millions de salariés de droit privé… jusqu’aux instances de décisions elles-mêmes avec le nouveau CSE (comité social et économique) qui remplace le CE (comité d’entreprise) et les CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). À l’inverse, la loi de sécurité d’emploi et de formation proposée par les députés communistes à l’Assemblée nationale en 2017 permettrait un droit nouveau à la mobilité dans la sécurité, avec un revenu, c’est-à-dire une société sans chômage. À la mise en place d’une véritable démocratie d’entreprise il faut également ajouter la participation active des citoyens dans l’organisation industrielle de leur territoire. En ce sens, le Parti communiste n’a de cesse de pousser à l’organisation de conférences régionales pour l’emploi et la formation. Celles-ci permettraient le contrôle citoyen en associant aux dirigeants d’entreprises les représentants des salariés, des pouvoirs publics, des élus locaux pour penser un développement industriel régional répondant aux besoins des populations du territoire. Dans le même ordre d’idées, il nous apparaît urgent de mettre en place une grande conférence nationale sur la reconquête industrielle avec un nouveau mode de développement réunissant patronat, syndicats, scientifiques, associations et élus. La construction d’un nouveau modèle de développement implique également de remettre la main sur les leviers de financement. Ainsi, il faut impérativement nationaliser le secteur bancaire de manière à pouvoir orienter l’argent, en le conditionnant, vers l’investissement, l’emploi, la recherche, la transition écologique. Pour le Parti communiste, faire face aux enjeux de la crise écologique passe nécessairement par ouvrir en grand la porte des entreprises. La démocratie ne doit pas s’arrêter à la porte des entreprises, elle doit en être son cœur battant. Contre la résignation et le fatalisme, il nous faut construire collectivement un modèle productif nouveau, porteur d’émancipation et d’avenir.

1. https://www.mediapart.fr/journal/france/310519/macron-en-naufrageur-de-l-industrie?onglet=full

2. https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Rapports/2018/2018_07_industrie_croissance_avenir.pdf

3. https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000591.pdf

Une réflexion sur “La démocratie comme levier pour penser l’industrie de demain, Aymeric Seassau*

  1. Toujours notre vieux tabou de la remise en cause des “rapports de propriété”….
    A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les RAPPORTS DE PROPRIETE au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale.

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