En 2019, les androïdes ne rêvent toujours pas de moutons électriques, Sébastien Elka

*Sébastien Elka est rédacteur en chef adjoint de Progressistes.


 

L’intelligence artificielle est à la mode… à nouveau. Il y a cinquante ans déjà, le roman Dune nous plaçait dans le futur d’une humanité qui avait créé des machines reproduisant les facultés mentales humaines… avant de se rendre compte que c’était une erreur et de suivre plutôt la voie du plein développement des capacités humaines. Une dialectique de maîtrise progressive des techniques, au service du progrès humain, dont l’exemple est précieux si l’on veut dépasser l’alternative stérile, dans laquelle nous semblons aujourd’hui piégés, entre asservissement technologique inéluctable, façon Blade Runner ou Matrix, et fantasme barjavélien – on dirait aujourd’hui collapsologique – de l’effondrement salutaire.
Car les énormes masses de données numériques et capacités de calcul actuelles permettent aux ordinateurs de réaliser de plus en plus de tâches complexes jusqu’ici réservées au cerveau humain. Le capital – toujours à la recherche de voies de destruction créatrice permettant la relance d’un cycle long de croissance profitable – investit massivement ces technologies en promettant prospérité économique, sauvetage de l’environnement ou guérison des maladies chroniques. Et réussit surtout à tracer le chemin d’une exploitation accrue, de destructions d’emploi massives ou de démocratie sécuritaire et manipulée. À ce jeu, on se trouvera vite piégés entre le meilleur des mondes transhumaniste et technophobie réactionnaire impuissante à faire autre chose qu’accélérer l’effondrement qu’elle déclare redouter.
Depuis dix-huit mois, les gouvernements européens se ruent sur l’IA en promettant d’en faire un usage « éthique ». Le rapport Villani, « Donner un sens à l’intelligence artificielle », a été présenté par Macron lors de la conférence AI for Humanity. Gouvernements français et canadien ont appelé en décembre 2018 à la mise en place d’un G2IA, « GIEC de l’IA responsable ». Ne soyons pas dupes, il s’agit surtout pour l’Europe d’exister dans un match qui oppose l’empire états-unien des GAFAM aux outsiders chinois des BATX. Car ne disposant pas des grands volumes de données agrégés par ces plates-formes, l’Europe et le Canada n’ont trouvé qu’à se cacher derrière des considérations éthiques pour défendre leurs intérêts. Mais les entreprises suivent, et l’on voit par exemple Thales annoncer s’interdire de construire des robots tueurs. Terminator ne sera pas made in France.
En 1966, pour Radovan Richta et les économistes tchèques du socialisme à visage humain la révolution scientifique et technique – rencontre de la cybernétique et des technologies numériques naissantes – permettait d’envisager enfin un renversement des rapports sujet/objet dans la production, de faire en sorte que l’humain ne soit plus simplement opérateur des machines et force de travail au service de logiques productivistes aliénantes, et puisse déployer pleinement son intelligence à mettre les capacités techniques au service réel des besoins et aspirations humains. Le socialisme devenait envisageable… Cinquante ans plus tard, ce potentiel émancipateur de la cyber-révolution numérique reste à conquérir.
Pour cela, et face aux défis auxquels est aujourd’hui confrontée l’humanité, la mobilisation du meilleur des différentes formes d’intelligence non artificielle, irréductiblement humaine et socialement construite, est indispensable. Comme pour les Mentats1 de Dune, il s’agit de voir l’IA comme un miroir pour mieux nous connaître et progresser sur ce chemin.

  1. Humains maîtrisant parfaitement leurs perceptions, émotions et pensées au point de penser comme des ordinateurs.

Une réflexion sur “En 2019, les androïdes ne rêvent toujours pas de moutons électriques, Sébastien Elka

  1. Bonjour,
    Les Académies des Sciences des 7 pays du G7 ont rédigé ensemble un jeu de 3 recommandations en vue de la réunion du G7 prévue du 25 au 27 Août prochain à Biarritz.

    Les 3 textes sont les suivants -on peut les trouver sur le site de notre Académie des Sciences:
    Science et confiance https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/Science_and_trust_G7_2019_FR.pdf
    Intelligence et Artificielle et Société https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/AI_G7_2019_FR.pdf
    Science citoyenne à l’heure de l’Internet https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/Citizen_G7_2019_FR.pdf

    Que vous inspire le second texte en relation avec votre dossier de ce numéro 23 très intéressant?

    Bien entendu, vos réactions sont aussi attendues pour les 2 autres textes qui recommandent notamment d’améliorer l’enseignement de la démarche scientifique dès le plus jeune âge, ce que l’association « Les Savanturiers » tente non seulement de promouvoir mais aussi de faire avec des projets menés autour d’un partenariat entre les instituteurs et les professeurs de collège d’un côté et des référents scientifiques de l’autre côté, montrant des résultats étonnants (comme des enfants de maternelle qui philosophent!)

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