Enjeux environnementaux des cryptomonnaies, Samuel Sigg*

Des monnaies comme le bitcoin nécessitent des instruments puissants et énergivores. Aussi, plus qu’une question de législation, leur fonctionnement pose une véritable problématique environnementale: la consommation énergétique des cryptomonnaies sera-t-elle pérenne? La question énergétique est-elle le cœur même d’une contradiction majeure à laquelle ces monnaies vont devoir faire face? 
*Samuel Sigg est étudiant à Toulouse, membre de l’UEC.

UNE CONSOMMATION ÉNERGÉTIQUE EXPONENTIELLE…
À l’heure où les monnaies virtuelles sont décriées ou encensées, les critiques visent souvent nombre d’aspects bien spécifiques : anonymat, spéculation, financement du terrorisme…, et elles se concentrent quasi exclusivement sur leur prétention à justement « faire monnaie », oubliant souvent leur côté « virtuel ». Le caractère numérique du bitcoin, de l’ether, du ripple et autres cryptomonnaies est en effet souvent omis dans les analyses, qui privilégient une approche traditionnelle de la monnaie, sans que sa nature même soit interrogée. Or les contradictions de ces monnaies numériques sont à chercher non seulement dans leur formation, mais aussi dans leurs usages.
Les cryptomonnaies sont un type de monnaie numérique, utilisant un contrôle décentralisé et ne dépendant pas d’une autorité centrale. Sans entrer dans des considérations techniques, il est important de noter qu’elles sont produites par des « mineurs », soit un ordinateur ou un groupe d’ordinateurs qui vérifient et valident les transactions avec la monnaie virtuelle. En échange de quoi, ils reçoivent des cryptomonnaies en récompense. Théoriquement, chaque individu peut prendre part à leur production, même si la réalité est assez différente. En tant que monnaie numérique, elle est donc produite à l’aide d’ordinateurs, qui font des calculs de plus en plus complexes à mesure qu’elle se développe, et qui consomment de l’énergie en proportion de la complexité de leurs calculs.
En l’état actuel de la technologie, les cryptomonnaies soulèvent de plus en plus de préoccupations sur les questions écologiques, notamment en raison de leur consommation d’énergie. En novembre 2017, selon le Bitcoin Energy Consumption Index, le protocole Bitcoin avait besoin de 29,05 TWh d’électricité, soit plus que la consommation de 159 pays dans le monde, pour répondre à ses besoins en énergie. À titre de comparaison, la même année la consommation de la République d’Irlande était égale à 27 TWh d’électricité (Agence internationale de l’énergie, 2017). Un peu plus de six mois plus tard, en août 2018, la consommation d’électricité annuelle de Bitcoin était d’environ 73,12 TWh (Digiconomist, 3 août 2018), plus que ce qu’un pays comme l’Autriche consomme en un an. Si Bitcoin était un pays, il serait ainsi le 40e consommateur mondial d’électricité, et la croissance de sa demande énergétique ne s’interrompt pas. En outre, la production de bitcoins et de bitcoins cash (une sous-catégorie de bitcoins) représentait un peu moins de 50 % de la capitalisation boursière totale des cryptomonnaies en août 2018 (48,66 % au 2 août). La consommation d’énergie semble plus que proportionnelle (la consommation d’Ethereum est de 20,72 TWh et sa monnaie, l’ether, représente 15,59 % de la capitalisation: par un simple produit croisé, on constate que la consommation de Bitcoin devrait être de l’ordre de 64,6 TWh), et l’on peut donc supposer que la consommation agrégée des différentes cryptomonnaies est de plus de 130 TWh par an, soit l’équivalent de la consommation de la Suède.
À défaut d’avancées technologiques au niveau du matériel, des algorithmes ou de logiciel, cette consommation va continuer à augmenter: plus un nombre important de bitcoins est extrait, et plus les calculs sont complexes et énergivores. En conséquence, le risque que cet usage particulier de l’électricité ait un impact sur les réseaux électriques se développe, et le bien-être social pourrait ainsi être en jeu. … 
ET SES CONSÉQUENCES POTENTIELLEMENT DRAMATIQUES
La quantité d’énergie étant limitée dans un pays à un moment donné, le « minage » pourrait ainsi affecter la consommation des ménages, voire l’approvisionnement industriel et médical. Si ce scénario ne semble être encore qu’une prévision, quel ques exemples existent déjà: au Venezuela, de plus en plus de gens sont attirés par le minage de monnaies virtuelles pour gagner rapidement de l’argent avec un faible investissement, l’électricité étant subventionnée par le gouvernement. De nombreuses pannes d’électricité y ont déjà été signalées, et des procès ont été engagés par l’État contre la consommation abusive d’énergie. Si l’« exploitation minière » menace la fourniture d’électricité aux particuliers, de plus graves conséquences peuvent être envisagées : si une « ferme » produisant des bitcoins se trouve à proximité d’un hôpital ou de tout autre infrastructure pour laquelle une rupture d’approvisionnement en électricité pourrait représenter un danger pour les citoyens, la question devient vitale.
D’un point de vue géopolitique, une augmentation de la consommation d’électricité conduirait de fait certains pays à être davantage dépendants d’autres. En effet, tous les pays de l’Union européenne étaient des importateurs nets d’énergie en 2015; une dépendance énergétique accrue placerait la souveraineté de ces États en porte-à-faux, les laissant à la merci des pays ayant le contrôle des ressources énergétiques.
En plus de cet argument de guerre économique, le fonctionnement des monnaies numériques est susceptible d’avoir un impact sur les températures locales. Si des études n’ont pas encore été menées sur un éventuel réchauffement des zones autour des « exploitations minières », la chaleur rejetée dans l’atmosphère par des fermes rassemblant parfois plus de six cents ordinateurs est importante. Des pays comme l’Islande ou le Kazakhstan sont considérés comme les nouveaux Eldorados pour les mineurs : l’électricité y est relativement bon marché, et les températures basses permettent de refroidir naturellement les ordinateurs. À cet égard, on comprend que d’autres pays sont désavantagés. En effet, dans les pays où le climat est plus chaud, les entreprises sont obligées de maintenir les machines à basse température, ce qui induit une consommation d’électricité d’autant plus importante. Véritable cercle vicieux, plus la consommation d’énergie augmente pour produire des monnaies virtuelles, plus les besoins en énergie pour refroidir les machines vont augmenter, conduisant à une consommation énergétique disproportionnée pour la production d’une monnaie qui n’a pas de valeur garantie par un État ou un matériau comme l’or.
Enfin, la production de cryptomonnaies nécessite des ordinateurs puissants, tournant à plein régime à longueur de journée, et ayant donc une durée de vie limitée. Si la production de ces ordinateurs et des matériaux qui les composent (métaux, terres rares, etc.) n’est souvent pas prise en compte dans le bilan écologique des monnaies numériques, elle constitue néanmoins un enjeu majeur, notamment en termes de protection de l’environnement.
Si ces considérations énergétiques ne sont pas propres aux monnaies virtuelles et concernent d’autres activités humaines, il n’en demeure pas moins que les monnaies virtuelles se révèlent ainsi extrêmement énergivores. Cette consommation semble ne pouvoir qu’augmenter dans les mois à venir, du fait de la complexification croissante des calculs pour vérifier les transactions. Or, contrairement aux monnaies garanties par les banques centrales des États, ou indexées sur le dollar ou des réserves de matériaux précieux, les cryptomonnaies n’ont pour prix que l’énergie qui a été consommée pour les « produire ». Cette énergie ne peut bien évidemment pas être restituée, et le cours de ces monnaies numériques ne repose que sur la confiance des investisseurs et des utilisateurs, qui attribuent une valeur à une monnaie sans garantie aucune. En outre, chaque transaction réalisée par Visa, par exemple, est moins énergivore que les transactions en bitcoins ou ethers1 : l’intérêt de monnaies privées parallèles est donc une question qui soulève de nombreux doutes, car consommant une très grande quantité d’énergie sans remettre en cause la nature privée des entreprises certifiant les échanges d’argent des citoyens.
À la différence des cryptomonnaies, la monnaie «physique» dépend d’une autorité centrale, qui en garantit la stabilité.
QUE FAIRE?
Le minage de cryptomonnaies apparaît donc comme un gaspillage pur d’énergie, dans un monde où celle-ci est un enjeu de plus en plus crucial. Face aux enjeux climatiques qui entourent la production et la consommation d’énergie (rejets de CO2 par les centrales thermiques, extraction de minéraux et d’hydrocarbures peut soucieuse de l’environnement, gaspillage énergétique…) surgit la question de l’utilité sociale des monnaies numériques. Monnaies indépendantes des États, dont seules quelques grandes entreprises contrôlent la quasi-totalité de la production, et qui permettent d’échapper aux contrôles fiscaux, elles s’inscrivent dans la visée libertarienne – et capitaliste – de leurs promoteurs, qui ne va aucunement dans le sens du plus grand nombre. Pis, ces monnaies permettent une spéculation effrénée, ce qui encourage dans des pays en voie de développement à y chercher une source de profit rapide2. Ces pays ayant souvent des problèmes d’approvisionnement en électricité, le minage des cryptomonnaies conduit à une aggravation de leurs difficultés, au détriment bien sûr des plus pauvres. Deux options d’évolution apparaissent donc à creuser.
La première, qu’expérimente progressivement la Chine, est l’interdiction pure et simple des cryptomonnaies. Alors que plus de 50 % des bitcoins sont minés par quatre grandes entreprises chinoises, la Chine, soucieuse de sa souveraineté tant monétaire qu’écologique et énergétique, est en passe de bannir les cryptomonnaies. En effet, l’objectif de réduction de 15 % de la consommation d’énergie par unité de PIB d’ici à 2020, fixé par le XIIIe plan quinquennal, apparaît aujourd’hui contradictoire avec un développement des monnaies virtuelles. Face aux défis de la décarbonation de son énergie, cette solution, radicale sans aucun doute, paraît néanmoins la mieux adaptée pour mettre un terme au plus vite à ce gaspillage d’une énergie précieuse pour le développement du pays.
L’autre option est développée par la République bolivarienne du Venezuela: celle-ci a lancé sa propre cryptomonnaie, le petro, au printemps 2018. Indexée sur le prix du baril de pétrole et garanti par les réserves de pétrole du pays, cette monnaie numérique « étatique » ne peut être produite qu’au travers d’une inscription sur un registre étatique et échappe théoriquement à la spéculation. Si la consommation d’énergie demeure (de façon bien moins importante que celle du bitcoin néanmoins), celle-ci est inhérente à la production de monnaies, qu’elles soient matérielles ou immatérielles.
Face à ces nouvelles monnaies, si un conservatisme refusant la nouveauté n’est pas la solution, un positivisme sans borne est dangereux: utiliser chaque année autant d’énergie que la Suède pour des monnaies n’ayant aucune valeur intrinsèque pour la seule raison que les cryptomonnaies « sont l’avenir » est une pure perte de ressources pour la société au nom du progrès.
La piste de monnaies digitales étatiques semble intéressante, et plusieurs États, dont notamment la République populaire de Chine, envisagent ainsi de lancer leur propre cryptomonnaie. Les cryptomonnaies étatiques, qui n’existent pour l’instant qu’au Venezuela, apparaissent en effet comme beaucoup plus traditionnelles. Si la technologie du blockchain est un point commun majeur dans la formation de ces monnaies, l’idée sous-jacente est diamétralement opposée : souveraineté étatique et monnaie comme outil d’échange commun d’un côté, privatisation, profits et bénéfices individuels de l’autre.
Simple lubie ou début d’un phénomène qui s’inscrira dans la durée ? Il est encore tôt pour le dire, mais la question écologique soulevée par les cryptomonnaies se pose actuellement, et les États devront y faire face dans le cadre tout autant de leurs politiques environnementales que de leurs politiques économiques et financières.

2 réflexions sur “Enjeux environnementaux des cryptomonnaies, Samuel Sigg*

  1. Bonjour,amis Sigg et Revelli,
    1) je suis abonne chez vous et je reçois votre littérature pour la premiere fois.
    Jamais trop tard pour bien faire.
    2)Une ambiguïté apparait pour savoir qui fait quoi de Sigg et de Revelli.
    3) j’ apprecie beaucoup cette analyse.
    4) voir ce phenomene sous l’ angle de la depense d’ énergie c’ est inédit et parait vrai.
    5) je ne suis pas specialiste ni competent de ces questions votre angle parait pertinent.
    6) A mon avis intuitivement, le bitcoin correspond au parasitisme financier de la mondialisation et releve pour analyse d’ une extrapolation théorique se referant aux pages du Capital sur le role de la monnaie en economie capitaliste .développée, c’ est a dire lmperialisme putrefie. Le bitcoin etant a la monnaie ce que les  » produits pourris »( vocable de la finance) sont.
    Intuitif. A travailler.
    7) j’ adhère des ce jour a L’ UEC de Toulouse.
    8) je salue le marxisme fute de ses impetrants.
    9) et vous adresse mes meilleures sautations communistes.
    Gil Ben Aych.
    P.S.La derniere fois que j’ ai lu un toulousain,c’ etait l’ ouvrage d’ Alcouf sur les manuscrits mathematiques de Marx.

    1. Bonjour Simon,

      Bienvenue dans la communauté de Progressistes et à l’UEC à laquelle j’ai été moi-même adhérent pendant mes études d’ingénieur entre 1975 et 1977 (aujourd’hui je suis en retraite).

      Samuel Sigg est l’auteur de l’article qui a attiré votre attention.
      Je suis un bénévole qui met en ligne sur le Blog de la revue les articles des numéros déjà parus.

      Etes-vous abonné à la version papier (payante) ou au Blog de la revue (gratuit), si bien que vous recevez un courriel à la mise en ligne de chaque nouvel article du blog?

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      Bonne continuation

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