Sylvestre Huet, journaliste scientifique, revient sur son blog sur les enjeux et l’avenir de la production d’électricité à partir d’énergie solaire.
Article paru le 11 mai 2017 sur le blog {Sciences²} du site lemonde.fr, et publié avec l’autorisation de son auteur.
*SYLVESTRE HUET est journaliste scientifique.
Quelle place pourrait prendre le solaire dans la production d’électricité? Voici quelques éléments de réponse – qui ne font pas le tour de la question, mais en abordent certains aspects. La technologie photovoltaïque a fortement progressé ces trente dernières années, soulignaient, lors d’une rencontre organisée le 11 mai 2017 à Paris par l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI), deux chercheurs du CNRS, Abdelilah Slaoui du laboratoire des sciences de l’ingénieur, de l’informatique et de l’imagerie, UMR CNRS-université de Strasbourg, qui dirige la cellule Énergie du CNRS, et Jean- François Guillemoles, directeur adjoint de l’Institut de recherche et développement sur l’énergie photovoltaïque (IRDEP), CNRSEDF- Chimie ParisTech.
DU LABORATOIRE À L’INDUSTRIE
Selon les deux chercheurs, les progrès accomplis en termes de rendement des cellules photovoltaïques et de coût de fabrication des panneaux solaires complets permettent de parler de maturité technologique. C’est le résultat d’une recherche paradoxalement « conservatrice », qui a procédé surtout par petits pas. Mais, au total, ces petits pas ont permis que les rendements actuels de conversion de l’énergie solaire en électricité des systèmes industrialisés soient ceux des laboratoires d’il y a trente ans. Une durée de transfert qui n’a rien d’original. Quant à l’industrialisation des fabrications, elle a permis de bénéficier de la R&D privée et de l’effet d’échelle permettant de diminuer drastiquement les coûts.

Le potentiel théorique de l’énergie solaire est bien sûr immense, au point qu’une utilisation d’une fraction même petite de cette énergie pourrait couvrir, en principe, tous les besoins en électricité des populations. Aussi, même si aujourd’hui elle ne couvre que 2 % de l’électricité mondiale, cette source d’énergie est appelée à croître rapidement, sous la forme actuelle de panneaux solaires ou sous d’autres formes qui sont encore à l’état de recherches scientifiques, comme les revêtements de vitres ou ce concept très futuriste de centrale solaire atmosphérique (dessin ci-contre) sur lequel travaille Jean-François Guillemoles dans le cadre du Laboratoire international associé CNRS université de Tokyo, le NextPV. D’autres sujets de recherche progressent vite, comme les « pérovskites » ces structures cristallines où l’on trouve du plomb, de l’iode et d’autres matériaux dont les propriétés intéressantes pour la conversion de l’énergie solaire en électricité n’ont été découvertes qu’en 2012. Des structures énigmatiques puisque la physique en jeu demeure mystérieuse, même si le plomb semble y jouer un rôle important : toute tentative d’y substituer un autre élément, comme l’étain, fait chuter le rendement de la conversion. Cela dit, en laboratoire les rendements sont déjà très élevés. En outre, la mise en oeuvre du matériau se fait à température presque ambiante, contre les 1400 °C exigés par celle du silicium. Mais les problèmes de stabilité sont loin d’être résolus, comme celui de la présence du plomb sous une forme métabolisable par les humains.

Le déploiement massif de l’électricité solaire dans les systèmes électriques destinés à alimenter la population urbaine et les centres industriels des pays développés va-t-il se faire à grande vitesse désormais ? Il est clairement engagé dans certains pays. Il propose en effet toute une série d’avantages de sécurité d’approvisionnement et de faible pollution locale (la fabrication, comme toute activité industrielle, pollue nécessairement). Sa marge de progression est phénoménale, puisqu’il représente aujourd’hui moins de 2 % de la production d’électricité, laquelle croît à grande vitesse.
LE POIDS DES SUBVENTIONS
Jusqu’à présent, l’introduction de photovoltaïque dans les systèmes électriques s’est opérée à l’aide de subventions publiques massives, souvent prélevées sur les factures d’électricité, comme en Europe. Ainsi, en France, les consommateurs d’électricité acquittent une CSPE (contribution au service public de l’électricité) qui devrait être de 8 milliards d’euros en 2017, dont plus de 1,5 milliard pour la subvention à l’éolien et, surtout, 2,8 milliards pour le photovoltaïque. Autrement dit, les consommateurs ont payé leur électricité solaire 0,40 €le kilowattheure, soit huit fois le prix moyen de la production en France, guidé pour l’essentiel par le nucléaire et l’hydraulique. En 2016, l’électricité éolienne a représenté 4,3 % pour l’éolien (21 TWh) et 1,7 % pour le photovoltaïque (8,3 TWh). Le parc éolien continue de progresser et atteint 11670 MW installés fin décembre 2016, tandis que le parc solaire grimpe à 6 672 MW en puissance maximale théorique. En Allemagne, la majorité des 300 milliards d’euros de subventions publiques consacrés aux énergies renouvelables (EnR) depuis vingt ans sont allés à l’éolien et au photovoltaïque. Ces chiffres montrent l’énorme écart qui subsiste entre les prix de production du kilowattheure solaire ou éolien annoncés par les industriels pour leurs systèmes récents et la réalité économique fondée sur ces subventions massives.

Les coûts de l’introduction massive d’électricité intermittente dans le système électrique français sont en outre systématiquement sous-estimés. Les raccordements des panneaux solaires en mode autoconsommation ne sont pas comptés. Le bras de fer qui avait opposé l’alors ministre Ségolène Royal et la commission de régulation de l’électricité sur le TURPE (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité; soit le coût de l’acheminement de l’électricité) relève du même problème : atteindre 40 % d’EnR dans la production d’électricité en 2030 comme le stipule la loi de transition énergétique supposerait des centaines de millions d’euros d’investissements dans des lignes de transport qui n’ont pas d’autres justifications. Il est urgent de les compter comme coût systémique de l’éolien et du photovoltaïque et d’anticiper cette évolution.
L’INTERMITTENCE DEMEURE LE PROBLÈME MAJEUR
Le principal frein à une pénétration massive du solaire dans les systèmes électriques provient toutefois de son caractère intermittent, une caractéristique partagée avec l’autre grande source d’électricité nouvelle renouvelable, l’éolien. En voici une illustration avec la production photovoltaïque en mars 2017 en France (voir graph. 1).

Cette caractéristique pèse toutefois d’une manière souvent contre-intuitive. De façon légère tant que l’apport à la production électrique totale reste marginal, elle pèse de plus en plus au fur et à mesure que cette part augmente. Il ne s’agit pas là seulement des coûts d’introduction dans le système de tout équipement nouveau (connexion au réseau), il s’agit surtout de la nécessaire compensation de l’intermittence par la disponibilité de moyens de production ou de stockage d’électricité, auxquels il sera fait appel en cas de manque de vent ou de soleil. Cette disponibilité peut alors représenter un coût croissant qu’il faut calculer pour chaque système électrique et qui peut être soit faible, soit très, en fonction des caractéristiques techniques dudit système.
Voici une illustration de ce phénomène avec la comparaison des productions en France, en mars 2017, d’électricité d’origine éolienne et des centrales à gaz. Elles évoluent souvent en anti-corrélation, signe que les centrales à gaz sont utilisées pour compenser l’absence de vent (voir graph. 2).

Le problème provient bien sûr de l’équilibre économique final. Si les centrales à gaz deviennent non rentables car utilisées trop peu de temps par an, aucun producteur d’électricité ne voudra en exploiter… à moins d’être subventionné pour le faire. Il faudra donc choisir entre « couper le jus » ou décider d’une nouvelle subvention massive. L’exemple allemand est là pour nous alerter. Il peut s’illustrer à l’aide des seize premiers jours de décembre 2016. Le graphique 3 montre la production du système électrique allemand durant cette période.

Ce graphique permet de visualiser les caractéristiques principales de l’intermittence solaire et éolienne. Pour le solaire, le pic de production journalier varie sans rapport avec les évolutions de la consommation. Quant à la production éolienne, elle montre une grande variabilité, elle aussi complètement déconnectée de la consommation. Les deux premiers jours du mois, ainsi que la période du 8 au 12 affichent de bons résultats éoliens, avec une puissance qui varie entre 10 et 15 GW, à rapporter à une consommation qui varie entre 60 et 80 GW. Mais pour les périodes du 3 au 7 et du 13 au 16 les résultats sont très faibles. Ainsi, le 14 décembre à midi, pour une consommation de 70 GW, le solaire apporte 4 GW et l’éolien 1,3 GW. Au-delà des progrès techniques qui ont rendu possible l’introduction de l’éolien et du photovoltaïque dans les systèmes électriques demeure donc la question de leur part dans un mix raisonnable. Les problèmes de stabilité du réseau, de coût et, surtout, de compensation de leur intermittence semblent les plafonner à un apport d’environ 30 % avec les technologies actuelles pour un pays de la taille de la France. En Europe, seul le Danemark fait plus (environ 40 % d’éolien), mais avec un recours massif aux échanges électriques avec ses puissants voisins, une solution impossible pour l’Allemagne ou la France. Seule une baisse drastique des coûts de stockage semble en mesure de leur permettre de dépasser ce stade pour devenir un socle majoritaire de la production, sauf à accepter une augmentation considérable des coûts de l’électricité.