Le pétrole? Comment ça se trouve?, Peppino Terpolilli*

L’énergie est nécessaire à pratiquement toutes les activités humaines : l’industrie, les déplacements, le chauffage. Le pétrole et son industrie y jouent encore un rôle majeur.

*Peppino Terpolilli est mathématicien et chercheur à Total.


Le développement économique s’appuie sur un accès à des sources d’énergie suffisantes ; cet accès est donc un marqueur du développement humain. Mais les questions écologiques s’imposent dans les agendas politiques. Depuis le dernier rapport du GIEC, en 2013, et la COP 21 à Paris, fin 2015, la question climatique est devenue centrale : toutes les parties ont reconnu la responsabilité des activités humaines dans le réchauffement climatique et la nécessité de limiter les émissions de GES – en particulier le CO2 – pour parvenir à limiter le réchauffement de la planète à 2 °C à l’horizon 2 100. Cela questionne bien sûr notre modèle de développement et toutes les productions d’énergies fossiles, qui représentent plus de 80 % de l’énergie primaire consommée et 65 % des émissions de GES mondiales. Nous allons dans cet article présenter plus précisément ce qu’est l’industrie pétrolière en nous focalisant sur l’amont pétrolier, peu connu du public.

LE PÉTROLE

L’activité pétrolière est mal connue et traîne une mauvaise réputation pour diverses raisons : même si elle est reconnue comme nécessaire, elle est parfois l’objet d’enjeux géopolitiques pouvant conduire à la guerre ou bien être l’objectif de politiques (post)coloniales, ou encore source de pollutions en mer (naufrage de l’Exxon-Valdez et de l’Erika, explosion de la plate-forme Macondo…) ou sur terre (Nigeria, Équateur…). Il ne reste pas moins qu’elle a été le vecteur principal du développement de ces cinquante dernières années : c’est dans les années 1950 que la consommation mondiale de pétrole a dépassé celle du charbon. Cela est dû à son efficacité énergétique et à la facilité de transport. Mais on ignore que l’exploration pétrolière est une activité de haute technologie. Pour découvrir et exploiter des gisements d’hydrocarbures, il faut une maîtrise scientifique de haut niveau en géosciences (géologie, géophysique et réservoir) ainsi qu’en de nombreux domaines d’ingénierie de pointe. De nombreuses problématiques pétrolières donnent lieu à des programmes de recherche où sont requises les mathématiques, la physique, la chimie, etc., et bien sûr un usage intensif de l’informatique : plusieurs opérateurs pétroliers utilisent les architectures et les ordinateurs les plus puissants au monde (ceux dont la puissance de calcul se mesure en pétaflops).

GENÈSE DES HYDROCARBURES

Lorsque l’on recherche des hydrocarbures, il n’est pas raisonnable de le faire au hasard. On cherche en fait des objectifs offrant une certaine probabilité de succès, et pour cela il faut que la géologie soit propice. Voyons rapidement ce que les géologues dénomment un « système pétrolier ». Il y a plusieurs millions d’années, les sédiments charriés par les fleuves se déposent dans la mer. La biomasse marine animale, formée essentiellement de petits crustacés et de zooplancton, et le phytoplancton se déposent en fin de vie au fond des océans. Le pétrole et le gaz se forment à partir de cette matière organique contenue dans certains sédiments et transformée au cours du temps. Sous l’effet de la pression et de la température, elle donne d’abord le kérogène dans des dépôts, généralement des argiles riches en matière organique qui constituent les roches mères. Puis, sous l’effet d’une température et d’une pression supérieures, le pétrole et le gaz se forment et migrent vers la surface au travers de roches poreuses saturées d’eau. Si rien n’arrête ce mouvement au long de millions d’années, on retrouve des traces, suintements ou lacs, en surface. Mais la migration des hydrocarbures peut s’arrêter dans des pièges avec des roches couvertures assurant l’étanchéité des réservoirs. Nous avons alors un système pétrolier donnant lieu à des gisements pétroliers. Il existe maintenant des programmes informatiques qui modélisent cette évolution des bassins sédimentaires et qui permettent d’obtenir des probabilités d’existence de systèmes pétroliers. Ces programmes intègrent la géologie, les lois physiques de conservation de masse, moment et énergie, ainsi que les schémas numériques nécessaires à la discrétisation des équations pour pouvoir utiliser l’outil informatique. Ces programmes peuvent aider le géologue à établir le potentiel pétrolier d’un bassin. Précisons ce que sont les fameux shales exploités aux États-Unis. Ces ressources correspondent aux hydrocarbures piégés dans la roche mère, absorbés dans la roche. La roche mère étant très peu poreuse, il faut la briser (par le fracking) afin de permettre l’écoulement des hydro carbures piégés. Les appellations françaises correspondantes, « hydrocarbures de roches mères » ou encore « hydrocarbures de gisement compact », désignent plus généralement tout gisement de très faible perméabilité.

EXPLORATION ET PRODUCTION

Source et ruisseau bitumeux du Puy de la Poix, sur le territoire de la commune de Clermont-Ferrand.

Lorsque l’on reconnaît le potentiel positif d’un bassin sédimentaire, on peut décider de lancer une phase d’exploration après accord avec le propriétaire, en général un État. La méthode standard pour explorer un bassin est de faire des puits d’exploration dans des zones bien choisies par le géologue. Mais pour diminuer les coûts de forages (le prix d’un puits de forage varie entre 10 millions de dollars et plusieurs centaines de millions de dollars) on utilise la sismique. Cette technique géophysique permet d’ausculter le sous-sol comme le médecin peut le faire avec le corps d’un patient par tomographie. Le principe est d’envoyer des ondes dans le sous-sol et de mesurer les échos qui reviennent en surface. Développée depuis les années 1950, elle est proche de la sismologie, qui cherche à déterminer la structure interne de la terre. Il y a bien sûr une différence d’échelle. Les échos mesurés forment des images sismiques, appelées « sections », dans lesquelles la profondeur est mesurée en temps de parcours. Il faut alors les transformer en profondeur géologique pour que le géologue puisse interpréter les sections sismiques. Le traitement le plus courant la migration, ainsi nommé car on modifie le positionnement des interfaces en utilisant un modèle de vitesse de propagation dans les roches. La migration est en fait une première étape d’un processus d’inversion qui cherche à déterminer les propriétés physiques du sous-sol à partir de la mesure des échos : ce qui est une instance d’un problème d’identification des coefficients d’une équation aux dérivées partielles ayant des informations sur la solution. Ce problème est posé depuis plus de quarante ans, et les progrès sont réels, bien que lents. Un ingrédient essentiel en sismique est la modélisation de la propagation des ondes sismiques dans le sous-sol. Au départ, on a utilisé simplement les lois de l’optique géométrique puis l’équation des ondes acoustiques, désormais se développent des modèles physiques plus complexes tels les modèles élasto-dynamiques. Les discrétisations de ces équations ont donné lieu à de nombreuses thèses de mathématiques appliquées et trouvent leurs utilisations dans l’implémentation informatique utilisant le HPC (high performance computing). Cette imagerie sismique, nécessaire en phase d’exploration pour améliorer notablement le taux de succès des forages, est aussi très utile pour améliorer les taux de récupération de certains gisements. En effet, dans des situations favorables, on répète les campagnes sismiques à quelques années d’intervalle pour identifier si les écoulements n’ont pas délaissé des zones du réservoir, et donc pour détecter des réserves non mobilisées par les écoulements : on peut alors chercher le meilleur moyen pour récupérer ces éventuelles réserves. Cette technique s’appelle « sismique 4D », car la dimension temps s’ajoute aux trois dimensions d’espace. Elle peut améliorer notablement l’économie d’un gisement, surtout en deep offshore (par plus de 1 000 m sous l’eau).

LE RÉSERVOIR

Lorsque la découverte est validée, il s’agit d’estimer le potentiel de récupération des hydrocarbures en place. La tâche en revient à l’ingénieur réservoir qui, au moment de la découverte, doit évaluer l’économie du champ et définir le schéma de développement permettant la meilleure récupération des hydrocarbures : en effet, les meilleurs rendements sont autour de 30 % pour le pétrole et de 90 % pour le gaz. Il utilise pour cela des programmes informatiques qui modélisent le mouvement des fluides dans le sous-sol. Ces programmes sont similaires à ceux qui sont utilisés pour la prévision météo et/ou climatique. Au fil des années, on effectue d’autres études en « assimilant » les données de productions afin de préciser le modèle du réservoir, et ainsi avoir des prévisions plus fiables pour la suite de l’exploitation. Nous terminons ce survol de quelques techniques pétrolières en soulignant que les investissements pétroliers sont colossaux : pour les campagnes sismiques, c’est de l’ordre de plusieurs centaines de millions de dollars, et pour le développement des champs pétroliers ce sont plusieurs milliards de dollars selon le type de champs à développer.

Ci-dessus, différents types de pétrole suivant leur provenance géographique.

INDUSTRIE PÉTROLIÈRE EN FRANCE

Il est à signaler que la France possède une industrie pétrolière très développée. Elle résulte d’un effort national qui a commencé par la prise de conscience, après la Première Guerre mondiale, de l’importance de l’approvisionnement en essence et en énergie pour la sécurité nationale. Les principales étapes en sont la création de Total dans les années 1920 et des premières entreprises, qui formeront à terme Elf Aquitaine, dans les années 1940. Puis ce sera la privatisation complète des compagnies pétrolières françaises en 1994. Suivra en 2000 la fusion de ces groupes auxquels s’ajoutera Fina. L’industrie parapétrolière sera aussi développée après la Seconde Guerre mondiale : CGG, Technip, etc., ainsi que le centre de recherche IFPEN qui formera de nombreux cadres de l’industrie pétrolière française et étrangère.

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