Après la signature à New York de l’Accord de Paris (COP21), l’engagement affiché de réduction « conjoint et solidaire » de l’Union européenne et de ses États membres est loin d’être exemplaire.
*FRANCIS COMBROUZE est syndicaliste, adjoint PCF au maire du XIIIe arrondissement de Paris.
QUE PÈSE L’UE DANS L’APPLICATION DE L’ACCORD DE PARIS?
Les émissions européennes des gaz à effet de serre (GES) représentent en 2015 un peu moins de 10 % du total mondial. Nous pensons que cette part va diminuer à l’avenir, ce pour deux raisons. D’abord, à court terme, par la poursuite de la réduction entreprise depuis le Protocole de Kyoto, de 1997. Pour l’échéance de sa seconde période d’engagement, s’achevant en 2020, l’engagement de l’UE est une réduction de 20 % au regard de 1990. Ce résultat sera très certainement atteint. En effet, la baisse réalisée des émissions est évaluée en 2015 à 23 % depuis 1990, avec une augmentation du PIB total des États membres de l’UE de 46 % sur la période. Cela établit que la déconnexion est réalisable entre croissance économique et trajectoire des émissions de GES, certes avec les indicateurs classiques du produit intérieur brut. La trajectoire 2020 est estimée à – 24 % par rapport à 1990 (niveau de référence, en agrégeant les émissions des États membres ayant adhéré à l’UE, soit 28 pays en 2015). Ensuite, à moyen terme, cette part va surtout diminuer du fait de la croissance du poids des émissions de pays tels le Brésil, la Chine, l’Inde ou la Russie. Cela dit, relevons qu’à l’échelle de la planète, à ce jour, 1,5 milliard de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité et que 2,5 milliards utilisent la biomasse pour faire cuire les aliments.
ÉMISSIONS « NATIONALES » ET EMPREINTE CARBONE: DES TRAJECTOIRES BIEN DIFFÉRENTES
Ces trajectoires de réduction des émissions territorialisées– émises dans les frontières des pays membres – masquent plusieurs phénomènes. Le raisonnement en empreinte carbone, c’est-à-dire ce que représente la réalité des émissions du cycle de vie des produits et services consommés dans les pays de l’UE, est beaucoup moins flatteur. Ainsi, pour la France, les émissions ont, au choix, baissé de 11 % depuis 1990 selon l’approche territoriale, ou augmenté de 10 % selon l’approche empreinte carbone! La part des émissions de l’industrie manufacturière dans le total national passe de 28 % en 1990 à 18 % en 2015. Et cela ne relève pas majoritairement, malheureusement, d’une progression équivalente des progrès de l’efficacité énergétique dans les procédés de production ou des conversions vers des énergies moins carbonées. Les fermetures d’activités industrielles dans toutes les régions et l’importation des produits manufacturés jouent tout leur rôle dans ce décalage entre baisse des émissions et augmentation de l’empreinte carbone. On sait par ailleurs que les émissions du secteur des transports ont explosé sur la période 1990-2015 (28 % du total national, contre 22 % en 1990), et ce malgré les progrès obtenus sur les émissions de CO2 unitaires des voitures particulières ; c’est donc l’explosion du transport routier de marchandises qui est en cause. Pourtant, que ce soit par habitant ou point de PIB, le niveau des émissions en France est l’un des moins élevés des pays développés.
LA RÉPARTITION DE L’EFFORT DE RÉDUCTION ENTRE ÉTATS MEMBRES
La répartition de l’effort de réduction fixée par le Conseil UE s’avère cependant fort instructive pour tenir une réduction de 10 % d’ici à 2020 par rapport à 2005. Elle porte sur 55 % des émissions totales, les 45 % restant relevant des secteurs industriels soumis au système européen dit « ETS » (cf. infra). 15 États réduisent ainsi leurs émissions : Danemark, – 20 % ; Suède, – 17 % ; Royaume Uni, – 16 % ; Allemagne et France, – 14 %; Italie, – 13 %) ; Espagne, – 10 % ; Grèce, – 4 %. À l’inverse, 13 autres États pourront augmenter leurs émissions d’ici à 2020, modestement : Portugal, + 1 % ; et entre + 4 et + 20 % selon les pays de l’Est membres de l’UE (par exemple, Hongrie, + 10 %; Pologne, + 14 %; Bulgarie, + 20 %). Cette répartition relève d’un savant marchandage de répartition de la moyenne de – 10 %. Elle est dosée selon le PIB de chaque État membre, en admettant la nécessité d’augmenter les émissions des États de l’UE les « moins riches », tout en les contenant en deçà de ce que donnerait un scénario d’augmentation « business as usual ». Elle pose aussi problème vis-à-vis de tous les pays parties à la Convention qui ont un niveau économique et d’émission de CO2 par habitant/PIB comparable à ces 13 États membres, et qui ont remis à la COP21 leur contribution nationale de trajectoire d’émissions pour la période 2020-2030. Les appels de l’UE à amplifier les réductions en faisant jouer la clause de révision des engagements et à agir pour des réductions sans attendre 2020 (plan d’actions Paris-Lima) perdent une partie de leur crédibilité en raison de l’augmentation assumée des émissions dans une grande partie de l’Union. Autrement dit, la démonstration européenne du découplage entre croissance économique et croissance des émissions de GES rencontrera des lacunes pour 13 États membres, au moins jusqu’en 2020… En outre, remarquons que les fermetures d’activités industrielles intervenues depuis 1990 dans une série de pays d’Europe centrale et orientale ayant adhéré à l’UE postérieurement ont « facilité » d’autant plus les baisses d’émissions de l’UE dans son ensemble en raison de la référence commune du niveau de 1990. Elles ont aussi permis, et permettent encore, des ventes d’« air chaud », c’est-à-dire la valorisation financière de crédits de réduction d’émissions.
LE SYSTÈME EUROPÉEN DE PERMIS NÉGOCIABLES: QUELLE ÉVOLUTION POSSIBLE?
45 % des émissions de GES échappent à la répartition entre États membres, et relèvent du système européen de permis négociables dit « ETS » (emissions trade system), correspondant à environ 12 000 entreprises des secteurs industriels et à une partie des vols des compagnies aériennes. Dans leur totalité, elles devront réduire leurs émissions de 21 % en 2020 et de 43 % en 2030 par rapport à 2005, contribuant ainsi au respect de l’engagement global de réduction des émissions de l’UE d’au moins 20 % en 2020 et de 40 % en 2030 par rapport à la référence 1990. Le développement du système ETS a suivi trois phases : une mise en place (2005-2008) reposant largement sur une déclinaison dans les États; une montée en charge (2008-2012) avec des défaillances d’efficacité constatées, y compris par les promoteurs du système ; des ajustements en cours (2013- 2020) avec une harmonisation européenne plus poussée, faisant appel à des effets planifiés dans le temps et à un élargissement à d’autres pays associés (Islande, Liechtenstein, Norvège, Suisse [en cours]). Ce système repose sur une régulation à plusieurs leviers : par les quantités allouées aux entreprises (permis), par les prix (avec la montée tardive et très timide de la partie des quantités vendues aux enchères au regard des quantités allouées gratuitement). Il dépend aussi des cours du marché des tonnes d’unités librement achetées ou vendues… Les dysfonctionnements frauduleux, les profits dégagés et la faible efficacité de ce système ont été dénoncés. Nous nous risquons à penser que l’essentiel, pour le rendre plus efficace, n’est pas de s’attaquer à la moralité de ces principes. Il s’agit plutôt de rendre décroissantes et payantes annuellement les quantités allouées, de l’associer et non de l’opposer à une augmentation de la fiscalité des énergies carbonées. Mais il faut aussi prévenir les « mises en réserve de crédits d’émissions », comme l’échange sans contrôle de « crédits » avec des pays dits « en développement ». Autant dire revoir en profondeur ce système pour ne pas se contenter de déplorer, tour à tour, le faible prix du cours du marché de la tonne carbone, les spéculations, les fraudes à la TVA, la vente et l’achat d’« air chaud » à l’échelle mondiale. Enfin, notons que la lutte contre le changement climatique va connaître deux rendez-vous importants en lien avec la COP22 de décembre. Les décisions de l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale) et celles de l’OMI (Organisation maritime internationale) pour décider du suivi et de la réduction des émissions de GES de l’aviation et du transport maritime sont attendues depuis des années… Nous devrons les juger aux actes posés avec un risque élevé de mauvais compromis!