Un documentaire qui a fait beaucoup réagir et a suscité beaucoup d’espoir. Hervé Nifenecker, fin connaisseur des problématiques liées à l’énergie nucléaire, nous éclaire sur ce qu’il est permis d’attendre de cette forme d’énergie nucléaire à base de thorium abordée dans l’émission.
Présentation de Arte : « Une énergie nucléaire sans danger ni déchets, c’est la promesse, longtemps sabotée par les lobbies de l’énergie et de la défense, que brandissent les partisans du thorium. Ce combustible alternatif, […] représente-t-il une piste sérieuse pour échapper aux dangers et à la pollution induits par l’utilisation du plutonium par l’industrie atomique ? »
*HERVÉ NIFENECKER est président d’honneur de l’association “Sauvons le climat”.
Cette émission est intéressante. Je partage tout à fait le point de vue de James Hansen et d’au moins un des participants affirmant que la priorité est de lutter contre le réchauffement climatique et qu’il serait absurde et criminel de se passer d’un moyen efficace pour le faire : la production d’électricité par le nucléaire, l’exemple de l’Allemagne montrant que l’éolien et le solaire ne sont pas à la hauteur du défi. Par ailleurs, là encore, comme le rappelle James Hansen, le nucléaire, depuis sa mise en oeuvre, y compris en tenant compte de Tchernobyl et Fukushima, est à l’origine de beaucoup moins de décès que les fossiles, et même que la plupart des renouvelables si on compte aussi les décès dans le processus de construction et d’extraction de matières premières (analyse en cycle de vie). Le magazine Forbes donne les nombres de décès pour produire 1 000 TWh (soit 2 fois la consommation française): charbon 170 000 morts, gaz 4 000, biomasse 24 000, solaire 440, nucléaire 90. La peur inspirée par le nucléaire est sans commune mesure avec sa réelle dangerosité.
Dans l’émission, il faudrait distinguer nettement deux problématiques : les réacteurs à sels fondus, d’une part ; le cycle thorium, d’autre part.
Les avantages de sûreté des réacteurs à sels fondus me paraissent indiscutables. Il faudra toutefois gérer le devenir des produits de fission, même si la production d’actinides mineurs est clairement réduite. La nécessité d’un stockage de longue durée ne disparaîtra pas, et, si on retient un stockage géologique, il faut noter que les actinides mineurs sont très peu solubles dans l’eau et très peu mobiles dans des milieux comme l’argile. Les radionucléides qui remonteraient éventuellement en surface sont des corps solubles comme l’iode et le césium, et non des actinides. Par ailleurs, comme il est nécessaire de retraiter les sels pour en extraire les poisons neutroniques, les opérateurs pourraient quand même être accidentellement exposés à des doses de radiations élevées. Si on désire un nucléaire durable, il est nécessaire que les réacteurs produisent plus de noyaux fissiles qu’ils n’en consomment. Cette condition est actuellement remplie par des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium (comme l’étaient les réacteurs Phénix et Super-Phénix). Les réacteurs à sels fondus devront donc être au moins régénérateurs, qu’ils fonctionnent avec le cycle uranium-plutonium ou avec le cycle thorium-uranium. Dans le premier cas, l’utilisation de réacteurs à neutrons rapides est obligatoire. Dans le second cas, il est possible de faire appel à des neutrons lents, et c’est bien ce qu’a fait l’expérience d’Oak Ridge. Mais l’équipe de Daniel Heuer a montré que, là aussi, l’utilisation de neutrons rapides était beaucoup plus intéressante. À terme, on voit donc que la vraie concurrence s’exercera entre réacteurs à neutrons rapides classiques et réacteurs à neutrons rapides à sels fondus.
En ce qui concerne le thorium, l’émission passe sous silence le fait qu’un noyau fissile doit absolument être ajouté au thorium, que ce soit de l’uranium 235 ou du plutonium 239. L’autre possibilité est de disposer d’uranium 233, qui est lui-même produit par irradiation du thorium. Il n’y a pas de réserve d’uranium 233, et donc il faudra produire les premières charges. Actuellement, cette production ne peut se faire qu’en irradiant du thorium dans des réacteurs classiques. Lorsque les premiers réacteurs à sels fondus-thorium fonctionneront grâce à de l’uranium 235 ou à du plutonium 239, il faudra extraire les produits de fission qui capturent des neutrons, et empoisonnent donc le réacteur. Pour assurer une croissance du parc de réacteurs au thorium, il faudra aussi extraire l’uranium 233 des réacteurs existants pour en construire de nouveaux.
En résumé, les choses ne seront pas aussi simples que l’on pourrait le penser en voyant le documentaire. Il reste que les réacteurs à sels fondus pourraient avoir de grands avantages et qu’il est nécessaire de disposer de quelques maquettes (réacteurs d’une puissance de quelques dizaines de mégawatts). Les Chinois sont sur cette voie. Il est temps que les Européens s’y mettent s’ils ne veulent pas manquer un tournant qui pourrait s’avérer fondamental. La question du financement se pose. Daniel Heuer avance un besoin de financement de 100 millions d’euros (10 millions par an pendant dix ans). Or le soutien au développement de l’éolien et du solaire coûte environ 5 milliards d’euros chaque année aux Français (la CSPE prélevée sur la facture d’électricité des consommateurs). Il suffirait de réaffecter 2 ‰ de la CSPE au développement des recherches sur le nucléaire sûr et durable.
La confirmation expérimentale des qualités annoncées des réacteurs à sels fondus permettrait sans aucun doute de se lancer dans la construction d’un démonstrateur commercial.
Bonjour
Ci-dessous le lien du nouveau documentaire de Myriam Tonelotto, passé hier sur FR3
https://www.dropbox.com/s/vwht6jt17e1hsqc/REVES FONDUS MASTER VF H264.mp4?dl=0
Cette question du développement d’un réacteur souple, capable de faire du suivi de charge, pour répondre à l’intermittence de l’éolien et solaire, est très importante. Or il semble que la France n’en prend pas le chemin. On préfère tout miser sur l’EPR et l’équipement d’un réseau connecté (Linky, smart grid) afin de pouvoir assurer l’équilibre du réseau. Outre l’aspect intrusif dans la vie privée et du coût de ces réseaux connectés, on peut aussi aborder les choses sous l’angle de la réponse aux besoins en tout temps, tout lieu qui est la valeur d’un service public EDF créé en 1947. L’équilibre du réseau se faisant par l’investissement nécessaire en moyens de production pour répondre aux besoins. Avec ce réseau connecté, place au marché de l’électricité au niveau de chaque client. Les clients qui n’ont pas beaucoup de ressource s’effaceront pendant les pics de consommation et les autres paieront le prix fort. Terminé la réponse aux besoins et la péréquation tarifaire. Tout benef pour les actionnaires.
Nous avons autre chose à faire que cette gabegie de dépenses (argent, matière rares mais aussi énergie avec la masse d’information à collecter).
Gérard Miroux (ancien secrétaire du syndicat UGICT-CGT de la centrale nucléaire de Gravelines et militant communiste)