*Aurélie Biancarelli-Lopes, membre du comité de rédaction de Progressistes, est docteur en sciences des matériaux et nanosciences.
C’est avec une immense tristesse que nous avons appris le décès de l’astrophysicien André Brahic. Planétologue de renommée mondiale, il a consacré une partie de sa carrière à l’étude des anneaux des planètes géantes et du système solaire, dont il était l’un des spécialistes mondiaux. Il s’était également beaucoup investi dans la préparation et l’exploitation de la mission Cassini-Huygens qui explore actuellement l’environnement de Saturne. Il est en particulier le découvreur des anneaux de Neptune et des arcs de l’un d’entre eux. Les anneaux de Neptune sont au nombre de cinq, dont les noms sont du centre vers l’extérieur : Galle, Le Verrier, Lassell, Arago et Adams. Adams se décompose en quatre arcs, dont les trois premiers ont été découverts par André Brahic, qui les baptisa Liberté, Égalité et Fraternité, d’après la devise française héritée de la Révolution. Un quatrième arc, découvert par la suite par l’une de ses collaboratrices, a été nommé Courage.

Ce n’est pas courant dans le monde de l’astrophysique de nommer des objets d’après des références politiques. Qu’à cela ne tienne, cela donne l’acronyme CLEF (une référence à la musique), ce qui a fait taire les mauvaises langues.
André était également connu pour son travail de passeur de science. Passionné par son métier, il était un infatigable conteur : il pouvait passer des heures à parler de l’Univers aussi bien à des adultes qu’à des jeunes. Il a écrit plusieurs ouvrages grand public, publiés chez Odile Jacob, dont le dernier, Terres d’ailleurs : à la recherche de la vie dans l’Univers, est cosigné avec Bradford Smith. À tous ceux qui s’interrogent sur la vie dans l’Univers, les deux astrophysiciens apportent à travers ce livre merveilleusement illustré les dernières réponses de la science. En six chapitres, les deux chercheurs font le point sur les connaissances scientifiques dans le domaine, depuis l’origine de l’Univers jusqu’aux dernières découvertes sur l’origine de la vie. Du mythe à la réalité, on découvre l’histoire de ces questions qui traversent les siècles et les civilisations.
Nous avions eu la chance de le recevoir à l’université d’été du PCF en 2014. Il nous avait fait part, avec son enthousiasme habituel, des dernières nouvelles de l’Univers. Autour de magnifiques photos, du système solaire et de sa « banlieue », de la Galaxie, de l’Univers, ce fabuleux passeur de science nous a fait partager sa passion. Dans une tempête de mots, d’idées, de concepts et devant un auditoire sous le charme, pendant près de deux heures nous avons échangé autour des questions qui ont traversé la salle, parfois naïves, parfois très pointues. Il a pris le temps de répondre à chacun en étant compréhensible de tous. Il nous a fait voyager à travers l’Univers, la Galaxie et le système. Il nous a présenté les derniers clichés des anneaux de Saturne. Il nous a fait rêver à une France où la culture scientifique aurait toute sa place et où la recherche ne serait pas rongée par la bureaucratie et la paperasse. Il nous avait, juste après la conférence, livré cette réflexion : « La moitié des chercheurs passe son temps à remplir des demandes que l’autre moitié perd beaucoup de temps à lire. »
Il nous a confié ne pas avoir le temps de se présenter aux élections présidentielles, alors qu’il avait un programme pour la France. Son programme peut être indéniablement qualifié de progressiste : « La culture, la recherche et l’éducation ». Autour de trois axes, il construisait la France, mais aussi l’Europe et le monde de demain, parce que le chercheur international qu’il était ne pouvait pas s’arrêter aux frontières.
La culture parce qu’elle est vecteur de paix, de compréhension, et qu’en cela elle est la base de la démocratie. La recherche parce qu’elle construit le monde de demain ; toute la recherche, des sciences dites « dures » aux humanités. Et l’éducation parce qu’elle construit les citoyens de demain. Avec la fougue qui le caractérisait, il nous avait dit « Dans les banlieues en crise, n’envoyez pas la police, envoyez les scientifiques parler de science ». S’il n’avait pas eu un train à prendre, cette université d’été aurait bien pu tourner au colloque scientifique, pour notre plus grand bonheur. Après la conférence, nous l’avons raccompagné jusqu’à la gare. Durant une heure supplémentaire nous avons eu la chance d’échanger encore avec lui sur la place de la recherche, de la science, de la culture… Fils unique d’une famille modeste – ses ancêtres étaient mineurs –, il avait une conscience aiguë de l’apport positif de la science et de la technique dans le quotidien des gens.
Durant ces derniers mois, nous avons continué à échanger régulièrement avec lui, qui prenait le temps de lire le dernier numéro de notre revue. Il y a un an, il nous confiait avoir vécu une vie merveilleuse et être persuadé que les forces de progrès l’emporteront sur les obscurantismes.
Nous avons perdu un ami, un humaniste, un progressiste, un scientifique et un passeur de science lumineux. C’est en s’inspirant de son exemple que les progressistes lui rendront le meilleur des hommages.