La COP21 a été un sommet de la diplomatie internationale, un événement planétaire. Mais au-delà de l’effervescence médiatique, qu’en restera-t-il ? Les États ont signé un document. Que va-t-il en advenir sur le plan des actions concrètes ? Derrière la façade, les acteurs ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
*Jean-Claude Cheinet est responsable associatif et membre de la commission Ecologie du PCF
UN SUCCÈS UNANIMEMENT RECONNU
Les négociateurs étaient encore sous le choc de l’échec de la COP de Copenhague. Pour des raisons de prestige international et national, François Hollande et Laurent Fabius étaient contraints au succès; ils s’y sont employés avec énergie durant plusieurs mois. Cette lenteur, malgré l’urgence climatique, témoigne des difficultés de la diplomatie internationale à faire avancer une négociation. La diplomatie française a déployé son art du compromis , satisfaisant à la fois les pays les moins avancés (PMA)1, qui ont obtenu l’objectif des + 1,5 °C, et les États- Unis, qui ne voulaient pas d’objectifs chiffrés et contraignants. Un texte de consensus a été trouvé entre les 195 pays (plus l’Union européenne) présents.
Certes, un processus international est mis en place avec la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui sera au centre du suivi des contributions. Les États doivent se revoir pour adapter les mesures prises aux évolutions du climat. Ils ont reconnu une responsabilité commune, mais différenciée en fonction de la responsabilité passée de chacun. Ils contribueront de façon volontaire à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Les États semblent en première ligne pour agir.
L’OMBRE D’UN DOUTE
Mais la réunion de Paris a aussi été accompagnée d’une série de manifestations révélatrices : celles prévues par les mouvements citoyens ou partis politiques ont été interdites au prétexte de l’état d’urgence, ou cantonnées dans des endroits clos, pendant qu’une grande foire aux procédés industriels de dépollution se déroulait en plusieurs lieux, au Grand Palais, au Bourget.
Les firmes, dont certaines polluent sans vergogne, sponsorisaient l’événement, proposant des contrats aux visiteurs. Plus encore, les représentants des firmes industrielles n’ont cessé d’influencer les négociations via leurs contributions d’« experts », ce qui jette le doute sur certaines « avancées ».
« TOUT EST ÉVOQUÉ, MAIS TOUT EST À REPRENDRE »
Dès le début, la négociation a été bordée, limitée, par des préalables contraignants. Ainsi, ni l’aviation civile ni la marine marchande, dont l’activité représente de 8 à 10 % des émissions de GES, n’ont été abordées par la conférence. Rien ne devant contrarier le libre-échange, l’accord obtenu est inférieur à un traité de commerce.
Les engagements des États restent de pure forme : les contraintes et objectifs n’étant pas chiffrés, les contributions des États à la réduction des émissions se font sur la base du volontariat. Aucun mécanisme international de vérification ou de contrainte n’est mis en place. Le « fonds vert » destiné à aider les pays pauvres à s’adapter est certes confirmé, mais il reste fixé à 100 milliards de dollars quand 150 seraient nécessaires. Rien ne précise vers qui iront ces fonds : vers les États ou vers les firmes présentes sur place ? Seront-ils réellement utilisés pour le climat ou dévoyés par la corruption?
Ce n’est qu’en 2023 que les États se retrouveront pour réviser l’accord actuel, ce qui repousse encore la mise en place de mesures efficaces.
LE CHAMP LIBRE AUX FIRMES
Ce vide, derrière la façade de l’accord entre États, laisse le champ libre au lobbying des firmes, à la vente de procédés de géo-ingénierie (dont chacun sait que ces technologies immatures ne seront pas suffisantes), aux transports polluants des échanges entre pays-ateliers (Chine…) et pays consommateurs. Les subventions des États à l’extraction des énergies fossiles carbonées, d’un niveau de 450 milliards de dollars, peuvent continuer, alors que celles aux renouvelables ne sont que de 120 milliards.
À noter que, à rebours de la plupart des pays de la planète et malgré l’échec patent du «modèle allemand », la France s’apprête à réduire la part du nucléaire dans sa production électrique, fragilisant ainsi son image de bon élève de la décarbonisation des émissions.
Dans ce contexte, la forêt brésilienne ou indonésienne recule, l’Australie développe ses mines au détriment de la Grande Barrière de corail, l’Allemagne relance ses mines de lignite et la France compromet la gestion de ses communs en privatisant barrages, eau potable et assainissement – même des forêts! – au détriment de l’environnement.
PARTOUT UN PILOTAGE ULTRALIBÉRAL
Les pays pauvres ne peuvent pas substituer rapidement une économie à une autre alors que les couches moyennes des pays développés sont attachées à leur mode de vie : tout pousse à l’immobilisme. Des lobbys industriels et financiers sont plus puissants que bon nombre d’États, aussi peuvent-ils leur imposer leur vision de l’économie et leurs « solutions ».
Or, dans le flou de l’accord de la COP21, aucun outil juridique et financier n’a été créé qui redonne l’initiative aux États. En revanche, les mécanismes financiers déjà en place sont consacrés : quotas carbone et marché du CO2, dérivés climatiques et cat-bonds. Nous savons que ces mécanismes ont des effets pervers, et que l’effondrement du prix de la tonne de CO2 émis encourage plus à racheter des droits à polluer qu’à investir en de nouveaux procédés moins polluants. Les cat-bonds sont, au mieux, une façon de répartir les risques climatiques, et non de les réduire.
COLLUSION ENTRE ÉTATS ET MULTINATIONALES
Le système des «compensations vertes », pour racheter un excès d’émission, reste en place aussi. De ce fait, la bonne idée de départ de l’agro-écologie – préserver des terres pour replanter des arbres qui captent les GES – est détournée par l’agrobusiness pour spéculer : achats de terres pour y replanter une forêt dont on vendra le bois, monocultures subventionnées pour ensuite produire du méthane et de l’énergie carbonée, « bio-banques » récoltant des fonds de compensation pour des actions largement surévaluées. L’influence de cette étroite frange dirigeante (1 % du capital mondialisé) est considérable sur les décisions des États. Elle va jusqu’à rédiger elle-même des règles au cours des négociations, à orienter des crédits de recherche, à appuyer des solutions de géo-ingénierie, à établir des normes et des contrôles. La modification de la norme de l’UE pour que le logiciel truqueur de Volkswagen soit pénalisé a minima en est un exemple. La collusion est telle que, lors de négociations internationales sur des fuels marine moins polluants, la France a été représentée par un employé de Total. Plus grave, la COP21 a consacré la plate-forme d’action Lima- Paris (LPAA), qui est un plan d’action reposant sur des acteurs non étatiques (collectivités locales, ONG, secteur privé) où les entreprises valorisent officiellement leurs fausses solutions.
Par ailleurs les firmes pratiquent en grand le greenwashing2 avec l’aide des États. Ainsi, Total réduit considérablement l’activité de sa raffinerie de La Mède (et l’emploi) mais le présente comme une reconversion vers les biodiesels… à base d’huile de palme (!). De même, l’implantation à marche forcée d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques est autant un progrès vers des énergies renouvelables qu’une source de profits sur le dos des usagers (par le truchement de la contribution au service public de l’énergie (CSPE).
En revanche, la taxe sur les transactions financières (TTF) promise en 2010 par les pays européens et destinée à aider les pays pauvres à s’adapter au changement climatique, examinée dans une autre instance au même moment, n’a pas été adoptée. La COP21 a résolument conforté le capitalisme «vert» et les milieux financiers au détriment du mouvement citoyen, qui pourtant existe.
« CHANGER LE SYSTÈME, PAS LE CLIMAT ! »
Comment penser enrayer le réchauffement climatique sinon en affrontant d’abord les immenses inégalités qui rongent notre monde? La misère, la malnutrition, les guerres empêchent même de penser au-delà de la survie quotidienne, et donc aux moyens de maîtriser le climat. Cela pour les pays pauvres comme pour des pans entiers de notre société, confrontés aux coupures d’eau ou d’électricité. Dans ces conditions, défendre les droits élémentaires aux communs est une façon de contribuer à la prise de conscience des questions sur la finalité de nos sociétés et le devenir de l’humanité.
Le système de production est aussi à remettre sur ses pieds : relocalisation des productions, économie circulaire, fin de l’obsolescence programmée ne sont pas des lubies dogmatiques mais des nécessités rationnelles pour réduire les émissions de GES dans les transports et la production elle-même. C’est bien un changement des finalités de la société qu’il s’agit d’imposer. Le mouvement citoyen qui s’est manifesté à l’occasion de la COP21 a certes posé cette problématique, mais n’a pas réussi à la faire triompher. La COP21 a-t-elle au moins ouvert une voie pour avancer?
Parmi les engagements des États, on trouve la publicité des mesures prises pour réduire leurs émissions et la communication de leurs résultats à la CCNUCC. Il y a là une porte entrouverte pour exercer des pressions entre États, et surtout pour une vigilance accrue de la part des opinions publiques.
Mais l’essentiel est à chercher hors des résultats de la COP21. La défense des communs (eau, énergie, etc., avec des droits attachés à leur accès grâce à des services publics qui prennent en compte la durabilité de leurs usages) est un élément de luttes de portée globale, à travers des objectifs immédiats et proches. Plus généralement, comment répercuter les coûts de l’adaptation au réchauffement climatique? Sur les 1 % les plus riches de la planète ou sur les 99 % de la population mondiale ? Par le marché ou en s’appuyant sur des réglementations ? Le principe pollueur-payeur n’a-t-il pas des effets pervers ?
Le caractère erratique du prix de la tonne de CO2 émis, l’impossibilité d’établir un prix mondial unique du fait des différents niveaux de développement, les accords entre firmes pour des échanges de droits à polluer, les fraudes massives à la TVA sur le marché carbone, tout cela disqualifie le marché quand l’on veut réellement être efficace dans la maîtrise du climat. Par là même, l’intervention régulatrice des États et de l’ONU est nécessaire, avec des contrôles internationaux. Les peuples devront l’imposer.
Comment, enfin, ne pas aborder la question centrale : un système de production/consommation maîtrisé par un capital privé consubstantiel de la recherche d’un profit maximal, quelles qu’en soient les conditions, ne peut pas prendre en compte la longue durée nécessaire à une gestion durable et respectueuse des équilibres naturels. Le devenir de l’humanité est donc en grande partie lié à l’adoption d’autres logiques de gestion pour la production des biens nécessaires à sa survie dans des conditions de sociabilité admissibles.
Hélas, la COP21 ne s’est pas placée dans la perspective d’un dépassement de ces contradictions. Les négociateurs, sous la surveillance des firmes et des institutions financières, ont eu à coeur de sauver plutôt le capitalisme que le climat. Comment s’étonner alors que les décisions concrètes de réduction des émissions dépendent des décisions des actionnaires des firmes pour lesquels le climat est le cadet de leurs soucis ? Sur cet aspect des choses, les États présents à la COP, à l’exception de l’Équateur, comme naguère du Venezuela avec Hugo Chavez, ont capitulé devant la finance, qui se retrouve maître du jeu. Pour réellement maîtriser le climat, nous avons du pain sur la planche!