Impact du patriarcat sur les études supérieures des femmes, par Aurélie BIANCARELLI-LOPES*

« Tu lis des thèses indigestes ? Tu fais du calcul formel ? Mais tu es une fille ! C’est dingue ! ». Je suis une fille, j’aime la science et ma chambre était décorée avec des posters de Iouri Gagarine, de Valentina Terechkova et d’un décollage d’Ariane à Kourou. Je rêvais de devenir astrophysicienne, médecin ou ingénieur pour comprendre le monde, et même le rendre meilleur. Bref, de ces rêves de petites filles souvent en opposition avec l’idée que l’on se fait de leur avenir.  

*Aurélie Biancarelli-Lopes, membre du Comité de Rédaction de Progressistes, est docteure en science des matériaux et nanosciences.


L’ORIENTATION GENRÉE AVANT L’ENTRÉE DANS LES ÉTUDES SUPÉRIEURES 
Les filles représentent un peu plus de 54 % des inscrits dans les lycées généraux et technologiques, mais sont très mal réparties dans les différentes filières. Elles sont surreprésentées dans les filières littéraires, sanitaires et sociales. Alors qu’elles ont plus souvent de meilleurs résultats que les garçons, les filles choisissent des filières perçues comme moins prestigieuses. Un exemple flagrant de ce phénomène est le choix d’orientation fait par les adolescents à la fin du collège. Lorsque les garçons se jugent très bons en français, 62 % choisissent la filière scientifique et seuls 10 % la filière littéraire. Pour les filles se jugeant très bonnes en français, 30 % opteront pour une filière littéraire et seules 38 % d’entre elles choisiront la filière scientifique. Si, maintenant, on s’intéresse aux choix d’orientation des élèves se jugeant très bons en mathématiques, on constate que 78 % des garçons choisissent la filière scientifique, contre seulement 64 % de filles. C’est respectivement 9 % et 20 % d’entre eux qui choisiront la filière générale économique et sociale. Si aujourd’hui la parité est quasi atteinte dans les classes de terminale S, il y a cependant des différences importantes entre les spécialités du bac S : les jeunes filles représentent 57 % des inscrits en spécialité sciences de la vie et de la Terre, contre 46 % en physique-chimie, 38 % en mathématiques et 13 % en sciences de l’ingénieur.

ET APRÈS LE BACCALAURÉAT? 
Dans les classes préparatoires scientifiques, économiques et littéraires, on retrouve le déséquilibre rencontré dans le secondaire. Si près de 42% des inscrits sont des filles, 30 % le sont en sciences, 54 % en économie et 73 % en lettres. Le même phénomène s’observe dans les inscriptions en licence (cursus LMD). Pour les sections de techniciens supérieurs, si la parité est atteinte dans l’ensemble, avec 51 % d’inscrites, les femmes sont sous-représentées dans les filières industrielles, étant à l’inverse très présentes dans le secteur tertiaire. Mais le phénomène ne s’arrête pas à l’inscription : il perdure tout au long de nos études !
Si les femmes sont majoritaires en licence et master (sauf dans les filières scientifiques), ce n’est souvent plus le cas lors de l’inscription en doctorat. Même dans les filières où elles sont fortement représentées, le pourcentage de femmes inscrites en doctorat est toujours plus faible qu’en master. Mais si 56 % des docteurs sont des docteures, seuls 39 % des docteurs en sciences sont des femmes, avec les différences que l’on connaît selon les disciplines.

LE MONDE DE LA RECHERCHE GENRÉE
Le rapport de 2013 sur la parité dans les métiers du CNRS met en avant les différences dans l’accession aux différents métiers. Parmi les personnels permanents du CNRS, les femmes représentent moins de 50 % des chercheurs et des ingénieurs (30 % et 40 % respectivement). En revanche, elles occupent plus de 60 % des emplois de techniciens. Ces chiffres sont à peu près stables depuis 1999. Les carrières des femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) sont également confrontées au « plafond de verre ». Au CNRS, si 37 % des chargés de recherche (CR) sont des femmes, elles ne sont plus que 27% à être directrices de recherche (DR). De surcroît, plus l’avancement en grade se fait, plus le pourcentage de femmes présentes diminue. L’indice d’avantage masculin permet d’évaluer sur plusieurs années l’évolution de la situation. On peut constater (voir encadré) que, s’il diminue régulièrement depuis quelques années, la parité n’est toujours pas atteinte et n’est pas près de l’être ! À ce rythme-là, elle ne le sera que dans cinquante ans.
La faible proportion de femmes dans l’ESR n’est pas qu’un symptôme de l’orientation des jeunes femmes. C’est aussi une des causes de cette orientation : sans modèle féminin, il est souvent plus compliqué de s’engager dans ces carrières difficiles où le mode de pensée masculin domine. Il faut donc aussi repenser les modes de fonctionnement de l’enseignement supérieur et de la recherche pour laisser toute leur place aux femmes.

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L’INFLUENCE DES STÉRÉOTYPES SOCIAUX
S’il existe des femmes scientifiques célèbres, il faut reconnaître qu’elles ne sont pas majoritaires. Il est plutôt largement admis que les femmes ne sont pas destinées aux carrières scientifiques : c’est là un stéréotype social, c’est-à-dire une croyance partagée à propos de caractéristiques associées à certains groupes ou catégories sociales (rapport hommes/femmes, Noirs/ Blancs…). Au-delà des discriminations qui y sont associées, le stéréotype une fois intériorisé par les individus concernés va induire une baisse de leur estime et de leurs performances. Sur cet aspect, les travaux de Pascal Huguet et alii (publiés en 2007 dans le Journal of Educational Psychology) sont intéressants ; on retient en particulier un exercice présenté comme un test de géométrie ou de dessin à deux groupes d’adolescents équivalents : dans le groupe auquel l’exercice est présenté comme un test de géométrie les garçons réussissent mieux ; à l’inverse, les filles réussissent mieux là où l’exercice est présenté comme un test de dessin. C’est donc dès le plus jeune âge que l’on doit lutter contre ces stéréotypes pour que les filles et les garçons puissent faire leurs choix d’orientation en s’émancipant de ces préjugés. C’est un combat pour toutes et tous pour l’égalité. Si la science a largement contribué à battre en brèche la contribution des femmes… C’est un travail de fond qui est engagé pour que tous les rêves des petites filles puissent se réaliser.

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