Egalité Homme-Femme et Recherche scientifique: l’exemple de la Physique, Entretien avec Véronique PIERRON-BOHNES*

Les jeunes filles brillent au bac scientifique, et disparaissent au fur et à mesure que le niveau d’études augmente. Dans les congrès et les distinctions, elles sont pratiquement absentes.  

*Véronique Pierron-Bohnes est responsable de la commission Femmes et Physique de la Société Française de Physique.

Entretien réalisé par Aurélie Biancarelli-Lopes et Hugo Pompougnac.


Progressistes: Pourquoi une commission Femmes et Physique à la Société française de physique ? 


Notre commission a pour objectif d’attirer, d’encourager et de promouvoir les femmes dans les métiers de la physique. Son action est complémentaire de celles des autres associations qui s’occupent des femmes dans les sciences : Femmes & Sciences, Femmes et Mathématiques, Association des femmes ingénieurs.
La proportion de femmes chercheuses, enseignantes-chercheuses ou ingénieures reste encore faible en physique, même au niveau des candidatures. Cette démotivation pour la physique a de multiples causes. Pour attirer plus de filles dans nos métiers, il faut leur faire rencontrer des physiciennes accomplies et enthousiastes dans leur métier. Or les promotions, nominations à des postes de responsabilité, invitations à des congrès et nominations à des prix favorisent encore souvent les hommes. Cette constatation est vraie dans toutes les disciplines scientifiques et dans tous les établissements, mais surtout en physique (voir encadré). Le « plafond de verre »1, invisible mais résistant, qui empêche les femmes d’atteindre des postes élevés, est bien connu dans toutes les disciplines, mais il a un effet encore plus désastreux dans les disciplines réputées difficiles et abstraites, comme la physique.

Progressistes: Quelle est selon vous, l’origine de ce déséquilibre ? 


Les facteurs à l’origine de cet état de fait sont variés. Certains sont plutôt psychologiques, comme les stéréotypes de genre qui jouent sur le comportement des femmes (elles se mettent moins en avant et sont moins sûres d’elles) et celui des collègues hommes, qui « oublient » les femmes quand ils mettent en place des comités de sélection – pour les embauches, promotions, financements, conférences –, puis les comités aussi « oublient » les femmes lors de la sélection de personnalités. De plus, les choix sont faits sur des critères adaptés au mode de travail des hommes: nombre de participations et d’invitations à des congrès, nombre de publications et leur facteur d’impact, chiffres qui sont tous reliés à la visibilité. C’est un cercle vicieux : moins de visibilité, donc moins d’invitations et de financements, donc encore moins de visibilité.
Depuis quelques années, en partie sous l’impulsion des différentes entités qui s’occupent de la place des femmes, les règlements des différents organismes prônent une proportion minimale des genres dans les instances scientifiques, comme dans le monde politique, ce qui devrait permettre d’améliorer progressivement l’équilibre.
D’autres facteurs sont plutôt sociétaux : la répartition des tâches domestiques, par exemple, évolue très lentement, et donc les femmes vont en moyenne moins en congrès puisqu’elles ont en moyenne plus de responsabilités dans l’organisation matérielle au sein du couple, auprès des enfants ou de parents âgés. Un autre exemple : le fait que les femmes ressentent de manière plus aigüe le compte à rebours de la fertilité les fait renoncer à se lancer dans une carrière où il est actuellement presque impossible d’avoir un poste stable avant 35 ans. En effet, fonder une famille, prendre des congés de maternité et être en charge d’enfants en bas âge est difficilement compatible avec un emploi intérimaire durant lequel il faut prouver sa compétitivité avant des concours extrêmement sélectifs. La prise en compte récente des naissances dans certaines compétitions (pour les European Research Council) est un progrès intéressant.  

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Progressistes: Quels sont les moyens mis en oeuvre par votre commission pour changer les choses ?


Nos actions ont pour but d’améliorer la visibilité des femmes en physique, de susciter la réflexion sur le sujet et de former un réseau de femmes physiciennes. Elles visent, notamment, à :
– inciter les femmes, notamment dans le cadre des contacts existants avec les rectorats, universités et associations proches de la SFP, à donner des conférences dans les collèges et les lycées pour inciter les jeunes (filles et garçons) à faire de la physique ;
– collecter une base de données de conférencières pour les différents types de conférences : conférences de spécialistes, conférences « grand public de physicien(ne)s », conférences « grand public » et « public de collégien(ne)s et lycéen(ne)s » (pour l’obtenir, écrire à sfpfemmes@ sfpnet.fr) ;
– proposer des femmes pour les prix de la SFP ;
– augmenter la proportion de femmes dans les différents conseils et comités de sélection (SFP, CoNRS, CNU, ANR2, Europe…) en encourageant les femmes à se présenter aux élections et à s’inscrire dans les bases de données d’expert(e)s ;
– demander aux différentes instances de prendre plus largement en compte dans les critères de sélection pour les embauches, les prix ou les promotions, les travaux de vulgarisation (vers les scolaires ou le grand public), les actions au service de la collectivité, etc., souvent plus présents dans les CV des femmes ;
– représenter la SFP à différentes conférences et structures internationales sur l’égalité des genres (Women in Physics de l’ International Union of Pure and Applied Physics, commission Femmes de l’European Physical Society, etc.) ;
– mettre en place un système de mentorat (mettre en contact les femmes qui le demandent avec une interlocutrice plus expérimentée pour les aider lors de leurs évaluations, candidatures et reprises d’activité après un congé de maternité ou de maladie, ainsi que pour les inciter à demander et/ou à accepter des responsabilités…) ;
– aider les femmes à se déplacer pour participer à des conférences : encourager les organisateurs de conférences à prévoir des modes de garde d’enfants accessibles aux congressistes et/ou à créer une ligne budgétaire dédiée aux frais de garde – ce qui a été obtenu pour certaines manifestations aux États-Unis et en Europe, mais ce n’est qu’un début,
– suggérer aux employeurs de prendre en compte ces frais dans les frais de mission, mettre en place des bourses pour les femmes pour participer à des congrès internationaux ;
– organiser des colloques « Femmes et Physique » d’une demi-journée pendant les conférences SFP. Ces colloques débutent par une conférence donnée par une spécialiste du genre (psychologue3, sociologue4, par exemple) puis une table ronde permet à tous et à toutes de s’exprimer sur une thématique en rapport avec la conférence. Ces actions sont un travail de longue haleine. Nos actions sont concertées avec les entités au sein des organismes : mission pour la place des femmes au CNRS, Conférence permanente des chargé(e)s de mission Égalité Diversité des établissements d’enseignement supérieur et de recherche (CPED) et réseau Parité Diversité Femmes (PDF) au CEA. Des actions sont mises en place dans les organismes: plan Égalité professionnelle femmes-hommes au CNRS, la parité dans le mode de scrutin des élections des conseils des universités de la loi Feltesse, et d’autres encore. Espérons que les évolutions seront plus rapides que jusqu’à présent, sinon il faudra cinquante ans pour arriver à la parité dans la recherche en physique !

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