Cigéo : vers un stockage profond pour les déchets nucléaires de forte radioactivité, par Francis Sorin*

Le projet national de stockage définitif des déchets nucléaires les plus dangereux – dénommé Cigéo, (Centre industriel de stockage géologique) – entame, en ce début d’année 2016 la dernière ligne droite devant mener à l’engagement de sa réalisation.

*Francis Sorin est conseiller à la Société française d’énergie nucléaire, auteur de Déchets nucléaires où est le problème ?

À 500 M DE PROFONDEUR UN ÉQUIPEMENT MONUMENTAL

Si tout se passe comme on peut raisonnablement le prévoir, la France devrait disposer à partir de 2025 d’un centre de stockage, équipement souterrain monumental appelé à accueillir, sur une superficie d’environ 15 km2 (voir fig. 1) la totalité des déchets radioactifs à vie longue déjà produits où que produiront les installations nucléaires françaises existantes (environ 80 000 m3). Notre pays deviendrait ainsi un des trois premiers au monde – aux côtés de la Finlande et de la Suède – à ouvrir un centre de stockage final pour ses résidus nucléaires les plus virulents, ceux qui dégagent la plus forte radioactivité et ceux qui peuvent rester radioactifs pendant des milliers d’années.nucleaire1.png

Préalablement à la demande d’autorisation de création que l’Andra (l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) devrait déposer en 2018 pour engager concrètement la construction de Cigéo, une nouvelle loi est appelée à définir les modalités de réalisation et le calendrier du projet. Portée par le député de Meurthe-et-Moselle Jean-Yves Le Déaut, président de l’OPECST¹ la proposition de loi est prête. Elle devrait être soumise au vote du Parlement dès les premiers mois de 2016. Ainsi se clôturera la première phase d’un processus législatif qui aura duré vingt-cinq ans, marqué par trois textes fondamentaux : loi de décembre 1991 orientant les recherches sur la gestion des déchets à vie longue ; loi de juin 2006 optant pour le stockage de ces déchets en couche géologique profonde ; loi à venir en 2016 guidant la réalisation concrète de l’équipement. Deux débats publics nationaux, organisés en 2005 et 2013 par la Commission nationale du débat public sont venus ponctuer ce long processus qui montre que la politique de gestion des déchets nucléaires s’est largement donné le temps de la réflexion et de l’examen méthodique des options à mettre en œuvre.

FAIBLE VOLUME, FORTE RADIOACTIVITÉ

Le projet Cigéo ne concerne qu’un faible volume – moins de 4 % – de la totalité des déchets nucléaires produits en France. Ceux-ci proviennent pour les deux tiers du programme électronucléaire et pour un tiers d’autres secteurs de l’économie : médecine, défense nationale, laboratoires de recherche, industries non nucléaires. Leur volume total est relativement faible, équivalant à moins de 2 kg par habitant et par an, contre 100 kg pour les autres déchets toxiques produits par les autres industries. Plus de 90 % des déchets nucléaires sont de faible ou moyenne radioactivité, et à vie courte, ce qui signifie qu’ils deviennent rapidement inoffensifs, leur radioactivité étant divisée par deux tous les trente ans ou moins². Ils sont stockés depuis les années 1970 dans des installations de surface gérées par l’Andra dans la Manche et dans l’Aube, sans qu’il en résulte de problème particulier ou d’impact négatif dommageable pour l’environnement.

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Fig 1 : concept de stockage souterrain

Ce sont des déchets d’une tout autre dangerosité potentielle et d’une tout autre longévité qu’accueillera Cigéo. Parmi eux, les plus problématiques sont les déchets dits de « haute activité » : il s’agit des « cendres » de combustion de l’uranium brûlé dans les centrales nucléaires et que l’on récupère après trois ans d’utilisation dans le cœur des réacteurs. Ils ne représentent qu’une fraction infime, 0,2 %, du volume total des déchets nucléaires, mais 96 % de leur radioactivité. Du fait de leur rayonnement intense et de leur longue durée de vie, ce sont eux qui constituent la contrainte majeure à laquelle le secteur nucléaire doit faire face dans la gestion de ses résidus. Mais de là à affirmer, comme le martèlent certaines associations antinucléaires, que ces déchets vont constituer un « fardeau ingérable » et une « menace perpétuelle pour les générations futures », il y a un pas que les réalités techniques interdisent de franchir ! Celles-ci suggèrent au contraire que le dispositif de stockage dans lequel seront confinés ces déchets les prive pratiquement de tout chemin leur permettant d’atteindre en quantités dommageables les individus et l’environnement de surface.

ISOLER LES DÉCHETS DE LA BIOSPHÈRE DES MILLIERS D’ANNÉES

Le principe du stockage géologique mis en œuvre à Cigéo est d’isoler les déchets de la biosphère sur de très longues durées, le temps que leur radioactivité ait diminué à des niveaux inoffensifs. Dans cette perspective, les déchets de haute activité sont vitrifiés, c’est-à-dire incorporés à une matrice de verre très résistante qui piège les atomes radioactifs. Les blocs solides ainsi constitués sont enfermés dans des conteneurs en acier, eux-mêmes placés dans des surconteneurs disposés dans des alvéoles de stockage, sorte de tunnels de quelques dizaines de mètres de longueur aux parois de béton ou d’argile. L’ensemble est aménagé à 500 m de profondeur au sein d’une couche d’argile imperméable et stable depuis 150 millions d’années. Cette profondeur et la barrière constituée par la couche rocheuse protègent le stockage des séismes de surface ou d’autres phénomènes d’érosion, de glaciation ou d’éventuelles intrusions, délibérées ou non.

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Représentation d’un conteneur de stockage au laboratoire de recherche souterrain de Meuse – Haute Marne à Bure. Il est destiné aux colis de déchets C (déchets de haute activité). Son poids réel est dénviron 2t.

Le stockage Cigéo (dont l’implantation est prévue dans une zone identifiée en Meuse – HauteMarne) sera aménagé pour être « réversible » : les générations suivantes auront la possibilité de modifier ou d’optimiser, à mesure des progrès techniques, tel ou tel dispositif de l’installation. Cette réversibilité pourra être maintenue pendant une longue période – une centaine d’années, voire plus si les futurs décideurs le jugeaient opportun.

Cette solution du stockage géologique, adoptée par tous les pays nucléaires travaillant à la gestion des déchets à vie longue³, a deux avantages essentiels : elle offre une sûreté totalement passive, ne réclamant pas d’action particulière à la charge des générations suivantes ; elle permet d’isoler les déchets de la biosphère bien au-delà du temps où leur radioactivité sera revenue à des niveaux négligeables.

TROIS PROTECTIONS CONJUGUÉES

Ainsi stockés en profondeur, il est exclu que ces déchets puissent irradier les individus se trouvant en surface : c’est physiquement impossible car les rayonnements sont arrêtés par les barrières des conteneurs ou par quelques mètres de roche. Le seul risque à circonscrire lorsqu’on se place dans une perspective de long terme est que les radioéléments (atomes radioactifs formant la substance des déchets) puissent migrer vers la biosphère en quantités excessives et contaminer ainsi dans des proportions dommageables les eaux de surface. Ce risque apparaît pratiquement nul. Certes, les eaux souterraines – même si elles circulent en très faibles quantités dans la zone d’implantation de Cigéo – finiront par corroder les barrières de confinement structurant le stockage. Mais les conséquences de cette évolution attendue se retrouvent annihilées par la combinaison de trois protections essentielles :

La première de ces protections est la résistance des matériaux formant les barrières artificielles de confinement des déchets (alvéoles, conteneurs d’acier, blocs vitrifiés). Il faudra compter quelques dizaines de milliers d’années – au moins – pour que l’eau arrive à les corroder et à commencer de lixivier les blocs de verre contenant les radioéléments. Ceux-ci ne pourront donc être relâchés qu’en très faibles quantités au fil du temps, cette lenteur entraînant leur forte dilution

Tout au long de cette même séquence joue une autre protection – naturelle, celle-là – qu’offre le phénomène de la décroissance radioactive : progressivement les radioéléments vont se transformer en atomes stables, c’est-à-dire non radioactifs. La dangerosité de ces déchets sera donc abaissée à des niveaux négligeables bien avant que le coffre-fort artificiel dans lequel on les a placés ait été sérieusement corrodé. On calcule ainsi que la radioactivité des déchets stockables à Cigéo diminue fortement en quelques centaines d’années et devienne inférieure en moins de 10 000 ans à celle de l’uranium naturel duquel ils sont issus. Autrement dit, s’il est vrai que ces déchets resteront radioactifs pendant encore des centaines de milliers d’années – comme le soulignent complaisamment les opposants au nucléaire – ils le seront à des niveaux non significatifs, non dommageables.

La troisième protection est constituée par la formidable barrière que forme la couche géologique : les capacités de déplacement des radioéléments y sont très réduites, voire nulles, de l’ordre de quelques centimètres tous les 10 000 ans. La conséquence en est que la plupart des déchets qui auraient été relâchés par les matrices de verre ne pourront jamais atteindre la surface car ils auront disparu par décroissance radioactive bien avant le terme du parcours. Ceux qui pourraient y parvenir, les plus mobiles à la très longue durée de vie, le feront à des échéances évaluées en centaines de milliers d’années. Cet étalement dans le temps rendra leur concentration très faible et leur impact potentiel pratiquement nul et dans tous les cas inférieurs à la radio activité naturelle.

UN IMPACT LIMITÉ SANS PROBLÈME POUR LES RIVERAINS

Depuis la phase de conception du projet, l’Andra travaille bien entendu sur les possibilités d’accident ou de dysfonctionnement du système (incendie, failles dans la couche rocheuse, séismes, intrusions…). Dans les hypothèses les plus pessimistes, l’impact en surface devrait, selon l’agence, rester très limité, nettement inférieur à la radioactivité naturelle et à la limite de 0,25 mSv (millisievert) imposée par les autorités (sachant que la limite réglementaire d’exposition à la radioactivité est de 1 mSv/an pour le public et de 20 mSv pour les professionnels). Dès lors, s’il est exact de dire (c’est un des principaux arguments des opposants au projet) qu’ «aucun ouvrage humain ne peut garantir une parfaite étanchéité pendant 1 million d’années », on peut établir que même si l’étanchéité des « colis » et des barrières ouvragées est amoindrie, l’impact des déchets dans le lointain futur sera en toute hypothèse négligeable ou nul pour le public. C’est ce qu’exprime clairement la Commission nationale d’évaluation (CNE – l’organisme composé de douze experts indépendants, chargé de se prononcer chaque année sur l’évolution et la sûreté du projet) en notant dans son « avis » de mars 2013 que la durée de confinement que Cigéo est capable de garantir « suffit à abaisser la nocivité des déchets à un niveau tel qu’elle ne pose plus de problème pour les populations vivant au-dessus du stockage ».

Ces conclusions ne valent pas que pour Cigéo. Elles font l’objet d’un large consensus au niveau mondial, et c’est bien pour cela que tous les pays « nucléaires » travaillant à la gestion des déchets de haute activité et à vie longue ont fait, comme la France, le choix du stockage géologique pour boucler l’aval de la filière. Bien loin d’être une « bombe à retardement », on peut raisonnablement établir que les déchets nucléaires ainsi stockés termineront leur existence radio active dans un confinement efficace ment sécurisé et n’imposeront à nos descendants aucune nuisance inacceptable.

LA CONTREPARTIE D’UNE POLLUTION CHIMIQUE ÉVITÉE

Les déchets nucléaires sont évidemment une lourde contrainte à gérer. Mais sur ce sujet sensible il faut aussi raisonner en positif et considérer que ces déchets sont en fait la contrepartie d’une grave pollution chimique évitée. En effet, contrairement au nucléaire qui récupère et confine ses déchets, les autres grandes sources électrogènes (charbon, gaz, pétrole) dispersent les leurs dans l’environnement, contribuant de ce fait à l’effet de serre et à la pollution chimique des milieux naturels. On peut ainsi établir – comme je le note dans mon livre – que les quelque 6 000 m3de déchets de haute activité aujourd’hui recensés en France et appelés à être stockés à Cigéo résultent d’une production électro – nucléaire qui, se substituant aux combustibles fossiles, a permis d’éviter le rejet à l’atmosphère, depuis les années 1970, d’environ 10 milliards de tonnes de CO2, 50 millions de tonnes de dioxyde de soufre, 25 millions de tonnes d’oxyde d’azote et 2 millions de tonnes de poussières et particules fines ! Les déchets nucléaires sont ainsi la contrepartie d’une immense réduction de la pollution de l’environnement.


¹. OPECST : Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Cette proposition de loi porte également la signature des députés Anne-Yvonne Le Dain, Christian Bataille et Jean-Louis Dumont.

². Cette inéluctable diminution de la radioactivité, et donc de la dangerosité, est, soulignons-le au passage, un réel avantage des déchets nucléaires par rapport aux déchets chimiques toxiques, (contenant par exemple du mercure, du cadmium, de l’arsenic…) dont la toxicité reste toujours au même niveau après 100 ans, 1 000 ans ou 10 000 ans.

³. Notamment Suède, Finlande, Royaume-Uni, Canada, États-Unis, Suisse, Belgique, Chine. De même, l’Union européenne recommande aux États membres le choix du stockage géologique pour leurs déchets à vie longue.

Une réflexion sur “Cigéo : vers un stockage profond pour les déchets nucléaires de forte radioactivité, par Francis Sorin*

  1. Deux points me gênent :
    1- la réversibilité : qui pourrait être comprise comme la possibilité de reprendre les colis dans quelques décennies, si des solutions permettant d' »incinérer » les déchets sont industriellement disponibles. Ces solutions, par ex. permises par les RNR de gén4, sont accessibles pour autant qu’on ait la volonté de les développer ; et cela contribuerait à mieux faire accepter le nucléaire à l’opinion publique. Au lieu de cela, la notion de « réversibilité » utilisée est minimaliste et trompeuse car elle ne concerne que la possibilité d’améliorer les conditions de stockage.
    2- la durée de nocivité des éléments les plus radioactifs : 10 000 ans est un chiffre moyen et non maximal. Certains éléments ont une durée de vie et de nocivité bien supérieure à 10 000 ans, et mettront des centaines de milliers voire des millions d’années à perdre leur dangerosité. Certes c’est à comparer à 150 millions d’années (stabilité de la roche à 500 m de profondeur), mais attention aux explications ambiguës.

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