Alstom est sur le point d’être bradé. Entendons-nous bien: il ne s’agit pas ici d’une entreprise ayant raté un virage technologique majeur et engluée dans des difficultés industrielles. Au contraire: plus de 50 milliards dans son carnet de commandes, de quoi faire travailler ses salariés pendant 5 ans, un savoir-faire à la pointe dans les domaines du transport et de l’énergie, envié à travers le monde. Les fameux TGV, des engins de plusieurs centaines de tonnes qui sont lancés à 300 km/h, arrivant à la minute près pour assister à l’anniversaire de la nièce à l’autre bout de la France, ou pour se rendre à un colloque sur la décroissance à Grenoble. Sans doute, est-ce là ce que notre pays et ses salariés ont produit de plus beau et de plus pacifique pour l’humanité. Alstom est également une entreprise qui fournit les équipements nécessaires à la production d’énergie pour le monde entier.
Mais le problème ici n’est pas Alstom, le problème c’est (en partie) Bouygues ! Bouygues et ses actionnaires ont lancé Alstom dans des aventures financières et ont ainsi fragilisé ses comptes avec un endettement qui contraste avec sa réussite industrielle. Ces difficultés financières, aggravées par la vente des participations de Bouygues, font qu’Alstom est sur le point aujourd’hui d’être livré à l’américain Général Electric ou à l’allemand Siemens.
Ce qui se joue ici, ce sont des milliers d’emplois et notre souveraineté industrielle, avec en toile de fond notre capacité à faire face aux grands enjeux énergétiques et à la nécessaire relance du transport ferroviaire. C’est un secteur stratégique qui risque de nous échapper et qui devrait interroger tous ceux qui ont organisé par le vote de lois, notamment au niveau européen, l’impuissance de l’État.
Aujourd’hui, l’État doit reprendre le contrôle de grands secteurs stratégiques de l’économie. Il faut par exemple aller vers une nationalisation d’Alstom ou au moins, dans un premier temps, une prise de contrôle public forte. Comment ? Ses principaux clients sont EDF, Areva, la SNCF et la RATP, soit des entreprises où l’État pèse: on peut donc exiger de ces entreprises qu’elles entrent dans le capital d’Alstom, et ainsi aller vers la constitution
d’un grand pôle public de l’énergie et du transport. Un pôle public sous contrôle, non seulement de l’État, mais aussi des salariés, des élus, des usagers: c’est la seule garantie pour que l’entreprise ne se mette pas à se comporter avec une logique capitaliste. A contrario, parler de la constitution d’un «Airbus de l’énergie» reviendrait aujourd’hui, ni plus ni moins, à favoriser l’absorption par
Siemens. Rappelons qu’on est loin justement de l’exemple d’Airbus, qui doit sa naissance à une coopération d’entreprises sous l’impulsion d’une volonté politique inter-étatique. Une hérésie dans l’Europe telle qu’elle se fait actuellement.
Cet épisode montre enfin la pertinence d’une campagne contre le coût du capital, à construire dans les luttes et avec les citoyens. Cela prendra du temps, loin des raccourcis et des slogans faciles, autour de « l’anti-productivisme » par exemple, qui sont souvent à rebours complets de la réalité vécue par les Français étant donnée la crise industrielle et les usines qui ferment. Cette campagne est engagée depuis des mois par des syndicats et des forces politiques comme le PCF à travers le Front de gauche,entre autres. Progressistes y contribuera résolument, en offrant un éclairage à chaque numéro sur la réalité vécue dans le monde du travail. Nous espérons que ce 4e numéro, après bientôt un an d’existence de notre revue, vous apportera plaisir d’apprendre et courage pour nos difficiles batailles;
AMAR BELLAL est rédacteur en chef de Progressistes.