L’hôpital public face aux transitions épidémiologique, démographique et écologique, Michel Limousin et Paul Cesbron*

Le système hospitalier a à faire avec une transformation profonde du pays, née des progrès du XXe et du XXIe siècle. La population générale augmente et la proportion des personnes âgées croît rapidement. Cet allongement de la vie pose des problèmes particuliers : les besoins sociaux et médicaux sont plus importants et les pathologies se transforment1Alain Brémaud, « La protection sociale face à la transition épidémiologique et à la transition démographique », in les Cahiers de santé publique et de protection sociale, no18, septembre 2015, p. 60..

*Le docteur Michel Limousin est médecin généraliste et membre du conseil scientifique de la Fondation Gabriel-Péri. Le docteur Paul Cesbron est gynécologue obstétricien, ancien chef de service de la maternité du Centre hospitalier de Creil.

Nous sommes face à ce qu’on appelle « transitions démographique et épidémiologique »2Laurent Chambaud, « Le système de santé français à l’épreuve des transitions », la Nouvelle Revue des sciences sociales, no6, 2016, p. 157-170., C’est un contexte dans lequel l’hôpital, par son importance (plus de 1 000 établissements et 1,6 million d’emplois), n’échappe pas à la transition écologique liée à la crise climatique.

UNE TRANSITION MULTIFACTORIELLE

La transition démographique revêt deux aspects. D’une part, la population générale a augmenté, et le nombre de médecins formés, défini en 1971, est resté à un niveau très bas alors qu’il y a 10 millions de personnes de plus à prendre en charge ; la désertification médicale que nous connaissons aujourd’hui est la résultante de cet état. Quant à l’allongement de la durée de vie, il est spectaculaire. Or c’est bien cette tranche d’âge dite des « baby-boomers » qui mobilise le plus de soins.

D’autre part, pour ce qui est de la transition épidémiologique, l’évolution s’est faite là aussi rapidement, en parallèle à celle de la démographie. De nombreuses maladies qui étaient mortelles il y a peu encore sont devenues curables. Ainsi les maladies infectieuses dans l’ensemble ont-elles reculé, même si le coronavirus SRAS-CoV-2 nous impacte durement ces temps-ci. Les maladies cardio-vasculaires sont prises en charge à temps, et de ce fait il y a moins de morts prématurées. Enfin, si les cancers progressent en nombre, ils sont mieux soignés. Idem pour le diabète, l’obésité et les maladies dégénératives. Tout cela nécessite des moyens nouveaux que la science permet. Prendre en charge un malade chronique coûte plus cher qu’un décès brutal pour l’Assurance maladie.

Les médecins face à des problématiques multifactorielles

UNE CRISE DÛE AVANT TOUT À LA CRISE SOCIALE

Pour autant, est-ce qu’on peut dire que c’est là la cause des déficits des différentes caisses de protection sociale, et donc des difficultés des hôpitaux ? Non, les économistes de tout bord sont d’accord sur ce point. Il n’y a pas de gaspillage. Même les économistes libéraux ne s’aventurent plus sur cet argument. D’ailleurs, des politiques de réduction des dépenses de santé ont été conduites depuis longtemps ; elles n’ont jamais donné de résultats probants quant à la réduction des déficits. Le déficit des hôpitaux est lié à la crise de financement de la Sécurité sociale et à la crise économique : l’augmentation du chômage de masse réduit l’apport des cotisations, la baisse du pouvoir d’achat qui en résulte va dans le même sens, les dispenses de cotisations sociales patronales idem. Les profits explosent, les inégalités sociales de toutes natures s’accroissent, les ressources disponibles pour la santé se tarissent alors que la création de richesses continue. Des secteurs entiers de l’économie échappent à la cotisation sociale.

On est même en droit de considérer que ces transitions démographique et épidémiologique sont bénéfiques pour l’économie. Le fait que des sujets jeunes vivent plus longtemps induit qu’ils restent dans le secteur de la production ; si mourir jeune brutalement ne coûte pas cher en soins, c’est certes une catastrophe humaine pour la famille, et aussi une catastrophe économique globale. Quant aux personnes du troisième âge, elles contribuent sous de multiples formes à la création de richesses, par leur expérience transmise, le travail pour-suivi, l’appui familial pour l’éducation et la garde des enfants, l’aide financière en direction des jeunes adultes quand c’est possible et le travail social, bien souvent gratuit, qui est un apport non négligeable pour enrichir la société et l’humaniser. Enfin, pourquoi ne pas considérer que l’activité sanitaire – au même titre que, entre autres,la culture, l’éducation ou la production de biens matériels – est une activité économique moderne et que son développement est un apport précieux à l’emploi et à la création de richesses ?

DE NOUVELLES VARIABLES POUR RESTRUCTURER L’HÔPITAL

En conséquence de ces évolutions démographique et épidémiologique, l’hôpital public doit s’adapter, tout comme l’ensemble du système de santé. Il a à prendre en charge des pathologies différentes et des populations plus âgées. Il doit tenir compte des problèmes sociaux différents, comme le maintien à domicile, l’accompagnement des malades chroniques. Il doit se tourner vers l’extérieur et rompre avec l’hospitalocentrisme. Il doit coopérer. C’est une véritable révolution culturelle qu’il doit opérer tout en s’adaptant aussi aux nouvelles données des sciences et techniques. Enfin, l’évolution profonde des mentalités des patients l’y oblige dans le domaine de l’accueil,de l’accompagnement, du respect des personnes et de la qualité des relations humaines. Il le fait, mais cela suppose des moyens matériels,des personnels formés, une organisation souple et adaptable. L’hôpital public entre dans une nouvelle ère où les besoins des populations se transforment et les pathologies elles-mêmes évoluent.

Les évolutions démographique et épidémiologique poussent l’hôpital public et l’ensemble du système de santé à s’adapter.

L’avenir de l’hôpital doit être pensé en intégrant ces notions fondamentales de révolutions démographique et épidémiologique.

La crise écologique en cours présente de multiples aspects qui convergent tous vers la nécessité d’un abord global et multiforme. La planète Terre ne peut donner plus, et l’homme doit s’adapter. Toutes les nations, tous les peuples sont concernés. Viennent d’importants bouleversements climatiques et la nécessité de profondes transformations de nos rapports au monde. Les crises du réchauffement de l’atmosphère, de la destruction de la biodiversité, du manque de ressources agricoles, et particulièrement de l’eau, des ressources énergétiques, des migrations posent la question de la responsabilité de l’homme face à la nature. Ses modes de vie, d’habitat, d’urbanisation, de nourriture, de production de biens, de déplacement, de soins de lui-même sont interrogés. Cela met en cause la vie sociale et politique. Les inégalités sociales se creusent en même temps que la crise écologique se précise. La question de la démocratie est concernée. Les modes de production sont interrogés, y compris le système économique de marché dominant qui impose la loi du profit maximal pour quelques-uns.

Il ne pourra y avoir de refondation de l’hôpital public sans la prise en compte de ces réalités écologiques, ce qui devra se faire à un double niveau.

REFONDER SA CONCEPTION MÊME

Penser l’hôpital dans ses plans, son architecture comme écologique : il utilisera toutes les ressources modernes pour isoler ses murs, réduire ses consommations d’énergie, gérer ses circulations internes, créer un cadre agréable à l’œil et tenant compte des besoins des patients comme des personnels. Il devra utiliser des matériaux recyclables, et être implanté dans des villes de telle façon qu’il soit facilement accessible par tous les moyens de mobilité. Enfin, aujourd’hui, pas d’hôpital écologique sans possibilité de logement social de proximité pour les personnels ou de crèches. Le principe de proximité est central : il permet d’accéder facilement aux soins et est économe en moyens de déplacement. C’est l’opposé de ce qui se fait aujourd’hui via la concentration des hôpitaux.

REFONDER L’ACTIVITÉ

Il s’agit d’intégrer plus que la seule médecine technique. Il faut faire une place à la santé dans sa globalité : prévention, promotion de la santé, éducation à la santé. Toutes ces disciplines seront articulées autour de la personne. C’est un système de haut savoir et de haute technologie centrée humain – l’humain d’abord ! – qui prendra en compte l’humain dans sa complexité. Il établira un lien avec la médecine hors hôpital,constituera un réseau de communications et de relations sociales et professionnelles; ce sera une intégration dans un système de santé qui traitera de toutes les composantes de la santé : physique, mentale et sociale, comme le définit l’OMS. L’hôpital public sera alors un puissant outil écologique qui aidera à faire face aux difficultés qui arrivent et qui pour un grand nombre sont inconnues ou négligées par le « système » et la « pensée unique ». Des accidents industriels, pharmaceutiques, alimentaires, le maintien d’inégalités insoutenables ont suscité des positions critiques face à un progrès injuste et dangereux.

Un très fort courant s’est développé ayant pour nom « écologie ». Il remet en cause notre modèle de développement. C’est évidemment une question politique désormais essentielle. Nous ne sommes pas extérieurs à la nature, nous en sommes des acteurs. Soyons clairs : ce qui nous différencie fondamentalement des autres vivants c’est notre créativité et, à ce titre,notre responsabilité. Côté sanitaire, il nous faut désormais investir en premier le champ de la prévention. Alimentation, soins du corps, hygiène générale de vie… de l’air en particulier. Beaucoup est à faire de ce côté et, quoi qu’on dise, est incompatible avec notre modèle socio-économique bâti sur une consommation non maîtrisée et des inégalités. Nous ne sommes pas que des consommateurs mais des créateurs. Nous ne sommes pas que des usagers, nous sommes des citoyens.

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