L’hôpital dans ses révolutions, Dr Michel Limousin*

L’hôpital public est en crise. Une crise ancienne et très profonde. Les luttes sociales sans précédent qui s’y sont déroulées en témoignent. Durant l’année 2019, avant la crise sanitaire de la Covid-19, on a constaté des mouvements de grève dans de nombreux services rassemblant largement tous les personnels : 1200 médecins ont démissionné de leurs fonctions administratives; les services d’urgence ont été particulièrement mobilisés.

*Michel Limousin est docteur en médecine

Cette crise est un fait établi qui dure depuis des années, au minimum depuis le début des années 1990. Il faut en saisir les causes, ou plus exactement les séries de causalités qui se croisent et s’entrecroisent et l’impactent. Ce n’est qu’ensuite que nous pourrons faire un diagnostic et proposer des solutions en indiquant les ruptures à opérer et les réformes à conduire. Enfin la crise sanitaire récente due à la pandémie de Covid-19 démontre une fois de plus, si besoin en était, que l’hôpital public est le recours ultime et qu’il manque cruellement de moyens. La deuxième vague montre à l’évidence la tragédie de cette situation. En fait, c’est l’ensemble du système de santé qui est en crise.

Manifestation, à Belfort, le 10 décembre 2019.

On peut identifier deux grands groupes de déterminants qui ont plongé les hôpitaux dans une crise qui a des répercussions dans l’ensemble de la société.

Le premier groupe résulte d’un ensemble de politiques qui ont été conduites et qui ont agressé constamment l’hôpital public : il s’agissait d’en réduire le budget pour réguler les dépenses de l’Assurance maladie et ainsi pouvoir diminuer les cotisations sociales patronales. La situation très dégradée de l’hôpital est le témoin par excellence de la domination actuelle du capital. Ainsi les méthodes de gestion ont-elles été asservies à cet objectif. Le quinquennat de Sarkozy a été particulièrement agressif de ce point de vue. Plus récemment, il s’est agi de faire des profits sur le dos de l’hôpital en application des théories néolibérales et du marché roi : le président Hollande a marqué de son empreinte ce mécanisme. Il a même supprimé en 2016, pour des raisons d’économie absurde, l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS). Cette suppression est à l’origine des pénuries de masques au début de la pandémie, d’équipements et de médicaments d’urgence. Elle a fait le lit de la désorganisation du ministère de la Santé et de son impréparation face à la pandémie, comme chacun a pu le constater. Quant à la période actuelle du macronisme, elle est celle de la restriction des moyens qu’un discours démagogique tente d’accompagner. Lors des trois dernières lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS), 3 milliards d’économies ont été demandées à l’hôpital public. Entre 2018 et 2019 ont été fermés 7 600 lits d’hospitalisation. Les fermetures de lits dans certains hôpitaux se sont même poursuivies depuis mars 2020. Pis, plus de 800 millions d’euros de baisse de crédits pour 2021 sont encore prévus dans la loi de finances. Quant aux personnels hospitaliers et des EHPAD, la revalorisation de leurs métiers lors du Ségur de la santé est très loin d’être à la hauteur. Ainsi, les fermetures de services hospitaliers, voire d’hôpitaux entiers, continuent alors que le pays est mobilisé contre la pandémie. Ces évolutions vont toutes dans le même sens et sont néfastes. Le néolibéralisme, et l’idéologie qui va avec, est le fil ininterrompu qui a conduit à la réduction des capacités d’accueil de l’hôpital, à la réduction des effectifs de soignants. La réduction drastique du nombre de médecins en formation atteint un paroxysme aujourd’hui, tant à l’hôpital qu’en ambulatoire. Cette politique malthusienne conduite sans discontinuer depuis 1971 pose maintenant des problèmes qui paraissent insolubles à court ou moyen terme. Les services de réanimation sont dans la nasse tendue par les libéraux. C’est cette situation que nous appelons « révolution néolibérale à l’hôpital ».

Le second groupe de déterminants de la crise hospitalière est le fait d’une évolution sociale complexe, imposée par l’évolution des sciences et des techniques ainsi que de l’évolution des mentalités et des besoins humains. Ces évolutions de progrès sont nécessaires. Elles remettent en cause les pratiques, les façons de faire et d’être, les rapports sociaux et le rapport de l’hôpital public au reste du monde. Les malades veulent être reconnus dans leurs droits et sont légitimement exigeants. Quant aux sciences, et particulièrement les biotechnologies, le numérique et les nouvelles méthodes exploratoires, elles offrent des moyens nouveaux de se soigner. Ces évolutions sont positives et doivent porter l’espoir. Elles exigent des transformations profondes de l’activité hospitalière. À elles seules elles nécessiteraient une transformation radicale de l’hôpital tant dans les domaines de l’équipement que de la formation des personnels et de leurs effectifs. Elles devraient mobiliser les moyens de la nation et un accompagnement social et humain. On peut vraiment parler d’une seconde révolution nécessaire et de progrès.

Les biotechnologies, le numérique et les nouvelles méthodes exploratoires offrent des moyens nouveaux de se soigner.

REFONDER L’HÔPITAL PUBLIC

On voit ici la contradiction qui préside à ce double mouvement antagoniste. Ainsi voit-on que se mélangent des problématiques de natures diverses qui sont incontournables. Il faut toutes les traiter et en comprendre les interactions. Le modèle de sortie de crise ne peut en aucun cas être le statu quo ou encore le retour à l’état antérieur. L’ampleur de la tâche nous conduit donc à véritablement poser la question de la refondation de l’hôpital public. Que voulons-nous ? À quoi sert-il ? Quels sont les moyens et les méthodes à remettre en œuvre ? Que sera le monde hospitalier « d’après » ?

La première chose qu’on peut dire de la crise actuelle est qu’elle est tellement profonde qu’elle touche à l’essentiel : l’identité même de l’hôpital public. Ces dernières années, sous la présidence de Nicolas Sarkozy,puis d’une autre manière – nous voulons dire avec un autre discours – sous les présidences de François Hollande et d’Emmanuel Macron, l’utilité de l’hôpital a été niée, son identité a été bafouée. La perte de confiance vis-à-vis du pouvoir politique traverse la population et les personnels. Aucun travail sérieux de négociation n’a été conduit parles pouvoirs publics. Le pouvoir en place a mis des responsables de chemin de fer ou des fabricants de yaourt à la tête des plus grandes institutions hospitalières pour gérer l’hôpital-entreprise. Il a éliminé les représentants du peuple (les élus, les maires) et ceux des personnels des organes de direction. Il a mis en place des directions poutiniennes, verticales, soumises en prise directe à l’autorité gouvernementale par le truchement des directeurs des ARS. Les services ont été restructurés sans fin ad nauseam pour casser les résistances. On s’est coupé ainsi du savoir et de l’expérience pour mieux appliquer les méthodes de l’école de Chicago si bien décrites par Naomi Klein en 2008 dans La Stratégie du choc1Naomi Klein, La Stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Leméac-Actes Sud, 2008.. Et on doit craindre que la crise pandémique ne soit l’occasion d’aggraver la situation. En effet, si elle peut permettre d’ouvrir la conscience des citoyens, elle offre dans le même temps des opportunités pour réduire les cotisations patronales,fiscaliser la Sécurité sociale, privatiser… et accroître les inégalités.

Les Français attendent quelque chose,une réponse, car ils sont mobilisés. L’hôpital est un phénomène de civilisation : selon comment on le traite, on sait comment l’humain est traité. Il est l’image en abyme de toute la société. Et pour reprendre une phrase célèbre : il n’a qu’un seul ennemi, la finance.

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