Menacée de fermeture, la seule usine française fabriquant des bouteilles d’oxygène doit être nationalisée, Clément Chabanne

Déjà largement combattue par les salariés de l’entreprise et leur syndicat CGT depuis plus d’un an, la fermeture de l’usine Luxfer à Gerzat revêt un caractère encore plus scandaleux en pleine crise du coronavirus. Avec le développement de cette pandémie causant des troubles respiratoires, l’intérêt stratégique de l’outil industriel et des savoir-faire des salariés apparaît au grand jour. Les salariés de l’entreprise viennent de lancer une pétition, reprise par le député communiste André Chassaigne et d’autres élus du Puy-de-Dôme, pour la nationalisation définitive de cette entreprise. Le site est occupé par les salariés depuis le 20 janvier 2020.

une pétition a été lancée demandant la nationalisation de l’usine : pour la signer cliquez sur ce lien ici

Un territoire déjà sinistré…

            Le Puy-de-Dôme a déjà payé un lourd tribut aux stratégies de délocalisations et de destructions d’emplois des multinationales. Depuis 2016, le bassin industriel du département a souffert de plusieurs centaines de suppressions de postes à la SEITA, chez DIETAL, Flowserve, MSD, Michelin ou à la sucrerie de Bourdon. L’abandon de ce territoire est un symptôme du refus du gouvernement et des autorités locales, non seulement de jouer un rôle stratégique, mais même de simplement faire appliquer la législation existante.

            Du côté des élus locaux, si le député Chassaigne et d’autres élus du département sont montés au front, la Région et son président Laurent Wauquiez refusent toujours à ce jour de rencontrer les salariés malgré leurs multiples demandes. Du côté préfectoral, les commissions de revitalisation ont cessé depuis février 2019. Là encore, les salariés sont laissés seuls malgré leurs propositions de monter une SCOP ou d’être repris par le groupe chinois Jinjiang.

…abandonné par l’Etat

            Au niveau national, le Ministère de l’Économie et des Finances multiplie les attaques contre les salariés et les preuves de sa soumission face au groupe Britannique. Ses représentants en charge du dossier, Mme Pannier-Runacher et M. Ivon, se permettent de poser des lapins aux salariés de l’usine. Lorsque ces derniers sont reçus, ils se voient répondre que l’État n’est pas en capacité d’intervenir. Il est pourtant de sa responsabilité de faire respecter par Luxfer le plan de revitalisation, le plan de sauvegarde de l’emploi et de faciliter la recherche d’un repreneur. Les salariés attendent toujours le fin mot de l’histoire quant à la non-application du plan de revitalisation par Luxfer. Ce plan porté par les salariés qui devait sauver 55 emplois n’a jamais été mis en place.  Le Ministère et l’entreprise se renvoient la balle, sans que jamais Luxfer ne soit inquiété quant à son refus d’appliquer le plan qui dure depuis décembre 2019.

            M. Floris, représentant du Ministère de l’Économie a révélé les véritables raisons de l’abandon des salariés de Luxfer lors de sa visite en janvier 2019. Il a déclaré devant les syndicats « Vos emplois appartiennent à Luxfer, les locaux appartiennent à Luxfer, les machines appartiennent   Luxfer, c’est la propriété privée. Si un actionnaire a décidé de casser son jouet, peu importe les  conséquences, nous n’interviendrons pas ». Le coeur du problème est là, dans ce refus  d’envisager que la puissance publique puisse contester aux grands groupes privés la gestion de la  production pour la mettre au service de l’intérêt général.

Entorses au droit du travail

            Depuis le début du conflit, la direction du groupe multiplie les méthodes illégales, voire mafieuses, sans être inquiétée par la justice. Outre son refus d’appliquer le plan de revitalisation, le groupe est accusé par la DIRECCTE d’avoir sous-estimé volontairement son nombre de salariés. Tout groupe employant 1000 salariés en Europe est soumis à la loi Florange qui implique des obligations de dédommagement plus importantes envers les territoires et les salariés. Le groupe Luxfer déclarait 500 salariés en Europe, mais la DIRECCTE a été capable d’en dénombrer au moins 976, un nombre que les enquêteurs eux-mêmes estiment encore inférieur à la réalité, sans pouvoir le prouver.

            Le motif des licenciements est également douteux. Luxfer plaide le motif économique introduit par les ordonnances Macron pour justifier le licenciement des salariés protégés. Or ce motif n’est justifiable qu’en cas de forte concurrence. Ce n’est a priori pas le cas de Gerzat qui est une usine unique en son genre au niveau mondial. La concurrence évoquée par Luxfer concerne la production d’extincteurs. Aucun extincteur n’est produit à Gerzat. L’inspection du travail a d’ailleurs débouté le motif économique. D’ailleurs, Luxfer Holding PLC assume dans son communiqué de presse du 1er trimestre 2019 que le démantèlement du site répond plus à des considérations boursières qu’à une stratégie industrielle. Black Rock l’a d’ailleurs bien compris en investissant 33 millions d’euros de titres de l’entreprise avant de les revendre rapidement en empochant une solide plus-value. Le risque est maintenant que comme dans le cas des Whirlpool, Copirel ou de la SEITA, le Ministère ne valide le motif économique en passant au-dessus de l’avis de l’inspection du travail.

            En termes de reclassement, Luxfer est bien en dessous de ses obligations légales. Seulement 15 % des salariés ont été reclassés, dont la moitié en contrats précaires et à plus de 30km de leur domicile. Pendant plus de 4 mois, Luxfer a refusé de respecter l’accord PSE signé en préfecture en refusant de rembourser des frais de formation. Le groupe s’est vanté devant la DIRECCTE de le faire sciemment pour « donner une leçon de vie aux salariés ». En l’absence de réaction de la DIRECCTE ou de la Préfecture, ce sont les syndicats et 100 salariés de l’entreprise qui ont dû manifester leur colère devant l’usine pour débloquer la situation.

Mise en danger des populations

            En septembre 2019, l’inspection du travail bloquait une première tentative de démantèlement du site. Les entorses au droit du travail étaient légion : non-consultation du CHSCT, mise en danger des entreprises voisines. En janvier 2020, la direction profitait de la loi Travail et de l’arrêt des mandats CHSCT, CE et DP pour se débarrasser des représentants du personnel sans mettre en place de CSE. Une pratique sans risque pour la multinationale qui ne risque que 7500€ d’amende. Le 13 janvier 2020, le groupe a tenté totalement illégalement d’entreprendre la destruction du site. Cette opération finalement avortée faisait courir un danger grave à la population, puisque les machines encore branchées contenaient jusqu’à 14 tonnes d’huile, ce qui implique des risques environnementaux, sanitaires et d’incendie.

            Le 20 janvier, les engins de démolition arrivaient devant l’usine. Les salariés ont alors réquisitionné l’usine, face à la passivité de l’État. Depuis, une soixantaine de salariés se relaient jour et nuit pour occuper et protéger le site en attendant que la puissance publique prenne ses responsabilités. Nul doute que les salariés aient rendu là un grand service à la population, et aussi à l’État qui refuse de les défendre puisque la fuite du groupe Luxfer pourrait laisser la note de dépollution sur les bras des finances publiques, pour une somme comprise entre 2 et 20 millions d’euros.

Des pratiques mafieuses

            Depuis le début du conflit, la direction du groupe a multiplié les coups bas. Ses multiples accusations diffamatoires visant à justifier des licenciements pour faute grave ont systématiquement été démenties par le Renseignement Territorial, entraînant la suspension du PSE. Luxfer est allé jusqu’à accuser les salariés de séquestration du directeur, de harcèlement d’un ingénieur qui n’était même plus sur le site, ou d’avoir prévu de faire exploser le bâtiment administratif. Des accusations évidemment mensongères.

            Les membres de la direction sont allés jusqu’à venir à l’usine pour dire aux salariés : « Vous ne vous êtes pas donné les moyens de réussir dans la vie, c’est normal que vous soyez licencié », « Contrairement à nous les dirigeants, en tant qu’ouvriers vous ne vous êtes pas donnés les moyens d’entretenir correctement votre famille », « Vous êtes des personnes incivilisées ». Le directeur lui-même insultait les salariés par sa fenêtre. Les élus du personnel ont été suivis dans Gerzat par des « gardes du corps » assermentés appelés par la direction. Pendant 14 mois de lutte, les salariés ont été soumis à ces pratiques mafieuses. Dénoncées à la DIRECCTE, ces insultes et intimidations n’ont pas été sanctionnée pour le moment.

Luxfer à Gerzat, tout sauf un jouet

            La sortie de M. Floris sur l’usine « jouet des actionnaires » est insultante pour les salariés dans ce contexte de guerre patronale. Elle reflète également l’absence totale de stratégie industrielle du gouvernement. Comment qualifier ainsi cette usine construite en 1939 pour les besoins d’armement et qui a su depuis s’adapter aux évolutions du secteur de la métallurgie ? Avant d’être bradé à Luxfer, c’est sous le contrôle de Péchiney, alors entreprise nationale que le site a connu ses plus belles heures. Les machines aujourd’hui vouées à la destruction par Luxfer sont héritées de cette période Péchiney, elles ont donc été financées par l’argent public. 

            Avec ce site industriel exceptionnel, Luxfer dispose de l’unique usine fabriquant des bouteilles de gaz haute pression en aluminium de très haut de gamme. Globalement, l’ensemble des productions de l’usine de Gerzat revêt un intérêt stratégique majeur, d’autant plus évident que la pandémie de coronavirus met en avant les besoins en assistance respiratoire. La production inclut les matériels d’oxygénothérapie, notamment les bouteilles d’assistance respiratoire pour les ambulances et hôpitaux, mais aussi les ARI (Appareil Respiratoire Isolant) utiles aux pompiers. Tout est donc réuni pour que ce site industriel relève de l’intérêt national et soit mis sous contrôle collectif, comme le demande le syndicat.

            Luxfer fait aujourd’hui la preuve qu’une entreprise privée dont la stratégie n’est fixée qu’en fonction du profit des actionnaires est incapable d’assurer efficacement ces productions d’intérêt général. Le groupe britannique se sert de son monopole dans le secteur pour baisser en gamme tout en maintenant des prix élevés et s’assurer des marges plus conséquentes. En fermant l’usine de Gerzat, Luxfer prive le monde entier de matériel médical de qualité, au seul nom de sa rentabilité. En tant que principaux clients de ces produits, soit via la Sécurité Sociale, soit directement sur les budgets de l’État, la puissance publique devrait se sentir le devoir de préserver la filière en danger. Malheureusement il n’en est rien. Le gouvernement français semble déterminé à accompagner la casse.

Imposer la nationalisation et l’organisation du développement d’une filière industrielle

            L’épidémie de Covid-19 révèle le besoin urgent d’une organisation industrielle mise au service de l’intérêt général. L’arrêt de la seule usine capable de produire des bouteilles d’oxygène médical en pleine épidémie révèle l’incompatibilité entre besoins des populations et gestion par les seuls capitalistes. Par la nationalisation de cette entreprise stratégique, l’État peut mettre l’outil de production au service des besoins urgent en matériel médical.

            Cette opération devrait s’inscrire dans une stratégie globale et de long terme visant à sortir les secteurs économiques stratégiques de la gestion par le seul critère de la rentabilité. Avec la construction d’un vaste pôle public industriel en matière de santé, allant des médicaments à l’oxygène médical, il est possible de conjuguer satisfaction des besoins et élévation des droits des salariés, non seulement en termes d’horaires de travail et de rémunération, mais aussi en termes de pouvoirs de gestion et d’organisation de la production.

6 réflexions sur “Menacée de fermeture, la seule usine française fabriquant des bouteilles d’oxygène doit être nationalisée, Clément Chabanne

  1. Scandaleux! La propriété privée des moyens de production prime la vie des populations. La soi-disant « liberté de l’entreprise », toujours argument contre la liberté de tous.La propriété peut opprimer, ce n’est pas nouveau. Robespierre disait justement: La liberté sans légalité n’est qu’un leurre. Quand on prétend s’occuper de la santé d’un peuple, on ne peut en même temps s’en refuser les moyens. Et là, contre ces patrons qui mettent en jeu vos vies, scandaleusement pas un mot sur cette affaire dans les médias qui d’ordinaire qualifient de « preneurs d’otages » les cheminots en grève pour les moyens humains d’assurer aux voyageurs leur sécurité. La voix de leurs maîtres. Pour Luxfer, non seulement nationalisation, mais sans indemnités et emprisonnement des patrons pour mise en danger de la vie d’autrui. Et mise en procès des médias, qui gardent le silence.

  2. @ Clavel pour qui— certainement — NATIONALISATION — est un GROS MOT.

    Les salariés de LUXFER seraient ravis que M. CLAVEL leur explique – moi aussi d’ailleurs – comment un fonds de pension norvégien, canadien ou états-unien leur aurait permis de garder leur usine, et à notre pays de conserver une part d’autonomie, de « souveraineté » (gros mot ?) quant à un secteur stratégique pour la population, la santé ?

  3. Si en France il existait des fonds de pension cette entreprise aurait peut être pu être rachetée, mais voila fonds de pension = gros mot chez nous!

    1. @Clavel: en France, les capitaux existent pour investir dans nos entreprises sans passer par la case Fonds de pension qui s’avère être en fait un aller direct à la mort après avoir été dépecée pendant des années. Les Fonds de pension sont partout des suceurs de sang, exigeant tant que c’est possible une rentabilité à 2 chiffres et ils font tout dans les entreprises qu’ils rachètent, à très petit prix jusqu’à l’Euro symbolique, pour atteindre et maintenir ces objectifs financiers au détriment des salariés comme de l’avenir de l’entreprise.

      Le problème chez nous à la différence de beaucoup d’autres pays est que ceux et celles qui détiennent les capitaux dans notre pays -voir le livre de Thomas Piketty d’où ils détiennent cette possibilité qui les rend tout puissants- préfèrent un peu investir à l’étranger et surtout spéculer sur les marchés financiers.

      Toute la question est donc bien d’arrêter la suraccumulation de capital, qui plus est donc entre très peu de mains, pour avoir une meilleure répartition des richesses, servant aussi par l’impôt l’intérêt collectif et permettant à l’Etat d’avoir une stratégie industrille digne de ce nom en répondant aux besoins des Français.

      D’ailleurs j’oubliais comme capitaux cette épargne des Français qui représente près de 2,5 fois notre PIB annuel et qui est entre les mains des banques ou d’assureurs dont on ne peut penser qu’ils servent l »économie de notre pays.

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