Politique et monde du travail, des liens à renouer, Amar Bellal*


Amar Bellal est rédacteur en chef de Progressistes.


Il a été théorisé que la politique ne se faisait plus dans l’entreprise mais dans les quartiers, dans les villes, qu’il fallait en prendre acte et en tirer les conclusions concernant les nouvelles formes d’organisation politique. Cette vision gagne peu à peu des partis politiques pourtant historiquement issus du monde du travail. Cela vient de la facilité à identifier ce qui est le plus visible et accessible comme manifestation politique des citoyens au-delà des simples sondages d’opinion: les associations de quartiers, les nouvelles pratiques de consommation alternative, les expérimentations de productions, les initiatives solidaires, etc. Elles sont bien visibles et identifiables, on peut assez facilement s’en contenter et tenir un discours voulant démontrer qu’il y a là les germes d’une nouvelle société, plus progressiste et solidaire. C’est ce qu’on nomme la « société civile », élément de langage qui a envahi le paysage médiatique. Elle serait la préfiguration de ce à quoi nous aspirons à grande échelle pour la société entière ; en fait, c’est une solution de facilité face à la perte de repères actuelle.

Et pourtant ce n’est que la surface d’un océan dans lequel tout ou presque nous échappe: je veux parler du monde du travail, ce grand oublié de la politique, ces millions de salariés, cette réalité vécue qui se traduit pour chacun d’entre nous par des milliers d’heures passées chaque année sur des lieux où se produit la richesse. La moitié de nos vies éveillées se déroulent dans et au travail… et cela ne pèserait plus rien, ou serait devenu soudainement secondaire ?

Il y a des multinationales plus puissantes que des États, elles ont le pouvoir de dicter leur loi à des continents entiers. Ce sont des lieux de pouvoir extraordinaires, où se décide l’essentiel de nos vies. Quel décalage avec la rhétorique mettant en avant, prioritairement, ce qui se passe en dehors de l’entreprise! Pourtant, il y a urgence à révéler le pouvoir tout aussi extraordinaire que détiennent les travailleurs de ces entreprises, qui les font fonctionner et sans lesquels elles ne seraient plus rien. Comme objection, nous avons tous entendu l’argument selon lequel « les associations sont animées par des citoyens, qui sont eux-mêmes salariés, donc on touche aussi au monde du travail en privilégiant l’activité politique dans les quartiers ». En réalité, l’écrasante majorité de ces salariés échappent au politique, et même aux syndicats qui connaissent eux aussi de réelles difficultés. Les derniers résultats des élections et l’état catastrophique de la gauche, qui a atteint un niveau historiquement bas, le démontrent. Les technologies numériques génèrent l’éclatement des collectifs, permettant de nouvelles formes de travail individualisé et rendant plus compliquées la conscience du rapport d’exploitation (toujours à l’oeuvre, mais plus difficile à déchiffrer), et aussi, facteur important, l’insécurité sociale et la peur de perdre son travail, qui n’encouragent ni à se syndiquer ni même à s’engager dans un parti politique bien à gauche.

Ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il faut renoncer et céder à la facilité.

Pour renouer avec ce monde du travail, il faut commencer par écouter ces salariés, et surtout les entendre pour élaborer des analyses et des propositions en adéquation avec leur réalité. C’est la condition d’une dynamique vertueuse entre la politique et le monde du travail.

C’est ce à quoi nous nous attachons, dans Progressistes. Nous mettons nos pages à la disposition de ces travailleurs qui ont développé une expertise dans leur domaine. Cela afin de développer des propositions à l’appui de leurs luttes et espérances, pour la conquête de moyens financiers et de nouveaux pouvoirs. Nous ferons en sorte qu’il en soit toujours ainsi, c’est notre façon de contribuer à l’effort pour redresser la gauche.

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