Missiles chinois versus porte-avions états-uniens: les dessous technologiques, Nicolas Martin*

La mise en service du Dong-Feng 21D semble en passe de redéfinir l’équilibre des forces en mer de Chine, une zone de fortes tensions où la course à l’innovation technologique dans l’armement n’est pas sans rappeler les heures sombres de la guerre froide.

*Nicolas Martin est chroniqueur sur les enjeux de défense.


Les rares fois où les missiles antinavires ont défrayé la chronique, c’était pendant la guerre des Malouines, lorsque fut mis en oeuvre le fameux Exocet.
Pourtant, l’enjeu stratégique et technologique du missile antinavire est central : celui de l’interdiction maritime. Et c’est pour cela que ce type de matériel est un serpent de mer de la guerre froide. 

L’enjeu d’un missile antinavire, d’un « tueur de porte-avions », est synthétisé dans ce qualificatif : il s’agit de disposer d’une arme qui à moindre coût puisse détruire un porte-avions qui, lui, coûte très cher.
Ce type de matériel est avant tout un défi technologique : dans le cas d’un missile à destination d’une cible au sol, il s’agit d’envoyer d’un point A à un point B une charge utile, le point B étant fixe, répertorié sur des cartes ou localisable par reconnaissance. Même au-delà de l’horizon, on reste dans un exercice aisé avec la technologie actuelle. Mais si le point B est un rectangle de 333 m sur 76 (1) capable de se déplacer à plus de 30 nœuds (2), le défi est plus complexe. Car il s’agit non seulement de détecter la cible potentielle, de l’identifier, de la déterminer comme cible, de lancer l’engin, mais encore de corriger sa trajectoire en vol tout en assurant une précision suffisante à l’impact. Il faut de plus que l’arme soit suffisamment rapide pour ne pas être parée en manoeuvre ou par des tirs directs défensifs (3)

Voyons le dispositif (4) autour duquel s’articule l’utilisation du DF-21D. Dans le domaine du ciblage, plusieurs outils : un potentiel radar transhorizon (5) permettant de détecter un écho à quelques milliers de kilomètres et un ensemble de satellites, les Yaogan VII à IX, permettant une localisation de la cible potentielle. Il suffit alors de lancer le missile et de lui transmettre, pendant son vol, les changements de coordonnées (6) de la cible, en conséquence l’engin change sa trajectoire [DF-21D disposerait d’un système type MaRV (7) lui permettant de corriger sa trajectoire en vol (8)]. 

Dong-Feng 21D à la parade commémorant, en 2015, le 70e anniversaire de la capitulation japonaise.
Dong-Feng 21D à la parade commémorant, en 2015, le 70e anniversaire de la capitulation japonaise.

Intercepter un missile rentrant dans l’atmosphère reste possible, un missile capable de manœuvrer complique l’exercice. Intercepter un missile hypersonique se déplaçant à une vitesse dépassant mach 10 (soit 10 fois la vitesse du son) devient très difficile, d’autant que le DF-21D a été conçu pour être mis en batterie depuis des camions, donc mobile, rendant toute prévision de trajectoire impossible. 

Le DF-21D « tueur de porte-avions » est présenté comme une arme mobile qui serait capable de toucher une cible mobile distante de 1 600 à 2 700 km de son point de lancement, sous réserve toutefois que l’ensemble de la chaîne détection-lancement-correction- impact se déroule sans entrave. Bref, tout navire croisant au large du territoire chinois à une distance comprise dans cette fourchette est théoriquement atteignable. Théoriquement, et c’est bien là tout l’enjeu : aucun test sur des cibles mobiles ne semble avoir été réalisé ; ce qui soulève de nombreuses questions quant à l’effectivité du système. Dans tous les cas, les prouesses technologique et de coordination des systèmes sont notables.

Quant à l’efficacité, la potentialité d’existence du DF- 21D se suffit en partie : il s’agit de dissuader toute flotte voulant croiser à proximité de la Chine, et, vu l’ampleur du débat suscité par l’annonce de la mise en service du DF-21D, cet objectif est partiellement atteint. ◊

(1) Dimensions sommaires de l’USS Nimitz. On prend arbitrairement le plus célèbre des porte-avions dans une optique de vulgarisation.
(2) Environ 56 km/h.
(3) Ce qu’ambitionne le système étatsunien AEGIS.
(4) En gros, la kill chain, la « chaîne à tuer », l’ensemble des moyens nécessaires pour la mise en oeuvre pratique de l’armement.
(5) Un système radar particulier permettant de dépasser les limites traditionnelles de la propagation des ondes radios au delà de l’horizon radar.
(6) Passons sur le fait que la série des missiles DF-21 dispose d’un guidage radar actif.
(7) Manoeuvrable Reentry Vehicle.
(8) Volets, tuyères adaptables. Inutile d’entrer dans les détails, d’autant plus qu’ils sont en grande partie inconnus.

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