L’avenir du site de Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) est menacé malgré un plan Vision 2025, qui n’est pas à la mesure de ce que représente cet outil industriel : métiers spécialisés et qualifiés ; produits variés autour des amplificateurs de puissance, nécessaires dans de nombreux domaines et avec des marchés de niche. Or des voies existent pour le préserver, notamment en lui attribuant la production des futurs équipements de Flash Thérapie.
*HERVÉ RADUREAU est ingénieur retraité.
UNE HISTOIRE COURTE
La production du site, créé au début des années 1960 à la suite d’une décision d’un dirigeant de Pathé Marconi – nom donné à la rue où il se trouve –, est à l’origine orientée grand public (téléviseurs…). Le site sera racheté peu de temps après par Thomson- Houston, une branche de Thomson-CSF, ce qui correspond au début de la production des tubes électroniques. Le site devient Thomson-CSF au début 1970. Fin 1980, il fait partie des établissements Thomson Tubes électroniques (TTE). Début 2000, le nom de Thales apparaît et le site est inclus en 2018 dans la filiale Avionic Systems (AVS) suivant le mode de transformation qui éclate tous les grands groupes en de multiples filiales, ce qui permet au passage des transferts de valeur ajoutée par des prix internes astucieusement élaborés, dont la rémunération des brevets propres[1].
VERS UN MANQUE D’INVESTISSEMENTS INTERNES
Les tubes électroniques sont dédiés à la filière des amplificateurs de puissance. Ils sont nécessaires dans de multiples domaines (industriel, télécoms par satellite, scientifique, défense, sécurité, médical, etc.).
Thales a dû abandonner récemment un projet de construction sur le site de Thonon d’un bâtiment de 1200 m² pour abriter la fabrication d’accélérateurs linéaires de protons.
Si l’activité se développe rapidement au départ, cela tient, entre autres, à un monopole technologique à l’époque de la fabrication de grilles en graphite pyrolytique, liée à l’essor de la télévision et des radios. Cela durera jusqu’à l’arrivée des technologies numériques moins exigeantes en puissance (TNT) et à l’émergence d’une concurrence chinoise en capacité de copier les produits d’entrée de gamme les plus populaires, affectant la compétitivité de produits de grandes séries. L’épisode suivant correspond à un raté monumental qui coûte cher aujourd’hui à ce site, à savoir l’arrivée de la technologie des amplificateurs de puissance à l’état solide (désignés par l’abréviation SSPA, en anglais). Si la raison avancée par les syndicats est celle d’un manque d’investissement, il se peut aussi que les responsables de la direction technique de l’époque n’aient pas évalué correctement les potentialités de cette nouvelle technologie adéquate aux petites et moyennes puissances.
Comment combler le retard pris dans les SSPA ? Beaucoup d’amplificateurs de haute puissance sont basés sur la conjugaison d’un SSPA de moyenne puissance en premier étage et d’un tube électronique de forte puissance en second étage. Cela pour éviter qu’un producteur devienne en définitive un simple fournisseur de tubes à des producteurs maîtrisant les SSPA.
La concurrence se restructure en montant dans la chaîne de valeurs et en proposant des solutions complètes (tubes + équipements). Le groupe Thales décide alors de ne pas suivre le mouvement et abandonne cette production.
Si, du côté des tubes dits « à grilles », TTE rachète l’activité tubes d’ABB en 1993 et Siemens en 2000, une croissance externe avait également été menée en 1996 par le rachat à AEG, situé à Ulm (Allemagne), des tubes à rayons X utilisés pour les contrôles non destructifs, comme la sécurité aéroportuaire ou l’analyse des poches dans les puits de pétrole et de gaz. Malheureusement, et malgré un nombre de références important, l’entreprise est un petit acteur. De son côté, la concurrence se restructure en montant dans la chaîne de valeurs et en proposant des solutions complètes (tubes + équipements). Le groupe Thales décide alors de ne pas suivre le mouvement et abandonne cette production. Un partenariat Thales avec un spin off (une société issue d’une scission) du monde de la recherche a dû abandonner aussi récemment un projet de construction sur le site de Thonon d’un bâtiment de 1200 m² pour abriter la fabrication d’accélérateurs linéaires de protons destinés à l’imagerie médicale. Après l’intervention d’experts officiels de sécurité nucléaire, les contraintes supplémentaires exigées ont accru les coûts prévus pour ce projet, qui devait être mené avec une PME, laquelle n’était pas en mesure d’absorber cette augmentation.
Le dernier coup porté au site de Thonon est la décision de la direction d’arrêter la production des tubes HFI vendus à deux clients industriels. La raison alléguée est que cette production ne serait plus assez rentable, et la conséquence en est que d’ici à 2025 près de 140 postes seront supprimés, fragilisant un peu plus les coûts structurels de la machine de production et de ses produits.
DES SYNDICATS COMBATIFS ET RESPONSABLES
Depuis les premières annonces autour de cette décision intervenue fin 2020, en période de covid, les syndicats CGT et CFECGC travaillent ensemble pour empêcher la mort lente du site, considéré plus que jamais par leur nouvelle direction pari – sienne comme une verrue, souvent défendu historiquement par les élus locaux et nationaux de Haute-Savoie.
Les syndicats CGT et CFE-CGC travaillent ensemble pour empêcher la mort lente du site, considéré plus que jamais par leur nouvelle direction parisienne comme une verrue.
Bien longtemps avant ce plan, la R&D locale non négligeable avait été déplacée à Vélizy- Villacoublay (Yvelines), détruisant ainsi le lien entre développement et production, pourtant indispensable à toute activité autour de produits et systèmes de haute technologie. Les élus et désignés de ces syndicats ont en tête la victoire obtenue par leurs camarades auprès de la direction sur le site de Pont- Audemer (Eure), promis à la disparition à la suite du rachat par le groupe de Gemalto, le leader français des cartes à puces.
Le dernier coup porté au site de Thonon est la décision de la direction d’arrêter la production des tubes HFI vendus à deux clients industriels.
« Pérenniser notre site de production dans le Chablais et pour longtemps, voilà notre seule motivation » est la raison d’être de ce combat. Cette résistance responsable se traduit en juillet 2022 par une lettre ouverte de la CGT au P-DG du groupe. Il y est demandé le lancement d’un audit et d’un diagnostic des métiers par un cabinet d’expertise, ainsi que la mise en place d’une commission paritaire pour la réindustrialisation du site.
INNOVATION SOCIALE : UNE LACUNE
Si Thales peut s’enorgueillir d’être pour la dixième fois classé dans le top 100 des entreprises mondiales innovantes[2], on ne peut pas en dire autant en matière sociale.
La seule réponse faite aux syndicats est la décision de la direction de supprimer le CSE du site de Thonon pour n’avoir qu’un seul CSE pour Thonon, Moirans (Isère) et Vélizy.

En outre, le plan Vision 2025 s’applique déjà petit à petit : le non-remplacement des départs naturels est acté. Par ailleurs, comme dans de nombreux grands groupes français fortement subventionnés par l’État, notamment au travers du crédit d’impôt recherche, il existe aussi un dispositif de mise en pré – retraite des salariés, « payés par l’entreprise » à rester chez eux jusqu’à quarante mois avant de partir en retraite ; or il n’est jamais fait appel à ces derniers malgré les termes du contrat. Dans ces conditions, parce que les deux clients des tubes HFI ont décidé d’augmenter notablement leurs commandes pour faire des stocks avant de trouver de leur côté une solution de substitution ou de cesser leurs activités HFI à leur tour, des salariés concernés par le dispositif de préretraite ne sont pas retenus par la direction, créant ainsi des inégalités au sein du personnel. En effet, ces commandes supplémentaires, qui repoussent l’arrêt des tubes HFI à fin 2025, amènent la direction à faire appel à des dizaines d’intérimaires, qu’il faut former à la va-vite, avec tous les risques encourus ensuite pour la qualité des produits fabriqués. Triple peine donc pour les salariés de cette activité, comme c’est le cas, par exemple, quand il faut former d’autres salariés lors de la délocalisation d’activités avant de voir son poste de travail supprimé, et donc la porte ouverte vers la rue.
Si Thales peut s’enorgueillir d’être pour la dixième fois classé dans le top 100 des entreprises mondiales innovantes, on ne peut pas en dire autant en matière sociale.
Néanmoins, de premiers résultats positifs s’enregistrent, qu’il faudra confirmer car ils évoluent à chaque rencontre entre syndicats et direction. Si les postes à supprimer sont estimés à 141, à ce jour 37 nouveaux postes seraient créés ou transférés de Vélizy, pour constituer un pôle d’excellence en mécanique, récupérer l’activité d’horloges atomiques et produire le nouveau TOP (tube à ondes progressives) Dual TWT : certains de ces postes sont pour le moment encore fragiles. Le Dual TOP est envisagé pour les constellations de satellites de télécommunications à défilement (orbite basse), dont certains sont construits par la filiale Thales Alenia Space.
FLASH THÉRAPIE : UNE NOUVELLE TECHNOLOGIE POUR SOIGNER LES CANCERS
Alors que le gouvernement vient de décider d’augmenter substantiellement (30 %) le budget de la Défense dans une logique de surarmement et d’interventions extérieures, les dirigeants de Thales sont sûrement plus enclins à se tourner vers cette nouvelle manne financière, d’autant plus que Dassault Systems est un des principaux actionnaires du groupe Thales.
La technologie de la Flash Thérapie a été pourtant mise en évidence et prévalidée par l’Institut Curie[3] dès 2014. Mais les pouvoirs publics viennent seulement de se réveiller, comme trop souvent dans notre pays sans planification, pour accompagner la certification de cette découverte scientifique et les études de développement. Ainsi, un partenariat impliquant l’Institut Curie et Thales a été signé en juillet 2022[4].

Pour les syndicats du site de Thonon commence donc une nouvelle bataille pour que leur établissement soit impliqué dès maintenant dans ces études afin de « récolter » au plus vite la production des nouveaux équipements en découlant : cette participation est un enjeu et pour l’avenir du site et pour l’avenir national de cette production, à l’heure où l’on parle de réindustrialisation de notre pays, alors que nous sommes plus soumis que tous les autres pays occidentaux aux arrêts d’activités et/ou aux délocalisations.
Cette nouvelle production sera une chance pour ce petit territoire du Chablais très enclavé par sa position géographique au nord des Alpes et au sud du lac Léman et qui ne doit pas devenir qu’un lieu touristique, à l’heure où la neige commence à manquer.
[1] Thales Group, « Sources radiofréquences et hyperfréquences ».
[2] Thales Group, « Thales est fier d’être reconnu une nouvelle fois comme une des entreprises les plus innovantes au monde ».
[3] Institut Curie, « Radiothérapie Flash : l’effervescence d’un tournant prometteur ».
[4] Institut Curie, « Radiothérapie Flash : l’Institut Curie et Thales s’associent pour créer une filière industrielle française d’ambition internationale ».
Une réflexion sur “Thales Thonon : un site à préserver plus que jamais, Hervé Radureau et les syndicats CGT et CFE-CGC du site*”