Repenser la politique agricole, Pierre Thomas*

L’agriculture répond aux besoins essentiels de l’humanité, c’est son rôle. Elle a connu de forts développements depuis la Libération, ce qui a eu des conséquences tant du point de vue des conditions de sa production que du point de vue environnemental. L’enjeu est aujourd’hui d’adapter cette production aux défis écologiques.

*Pierre Thomas est président du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef).

LE DÉVELOPPEMENT ET SES CONSÉQUENCES

L’agriculture nous nourrit, elle aménage notre territoire et influence de manière importante notre état de santé. Après 1945, il a fallu reconstruire notre pays, et surtout nourrir la population dans un contexte de pénurie alimentaire. L’agriculture a par conséquent été le premier pilier des politiques mises en place puis de la construction de l’Europe, avec le traité de Rome ; et en 1960 et 1962 sont votées les premières lois d’orientation agricole. Plusieurs objectifs étaient visés, notamment produire pour donner à manger, mais aussi diminuer le nombre d’agriculteurs pour fournir des bras à l’industrie. À coups de subventions destinées à moderniser l’agriculture, modernisation facilitée par le développement de l’industrie et de la chimie, les exploitations se sont considérablement agrandies, et spécialisées pour plus d’efficacité.

Mais toute médaille a son revers. Ce développement a eu des conséquences lourdes, que l’on peut constater aujourd’hui :

  • une diminution drastique du nombre d’exploitants (selon le Bureau international du travail, en France environ 400000 personnes sont, dans leur emploi principal, agriculteurs exploitants en 2019; ils étaient 4 fois plus en 1979) ;
  • une diminution de la production agricole. Alors qu’elle était excédentaire en 2000, en 2020 la France doit importer 20 % de denrées alimentaires pour couvrir ses besoins; à l’exception des alcools et des céréales, toutes les productions sont touchées par ces importations. Plusieurs raisons expliquent cette récession :
  • la baisse des surfaces agricoles (1 % par an en moyenne sur les dix dernières années) ; – la baisse des rendements due à une surexploitation des sols et à l’abandon de certaines productions du fait de leur faible rentabilité;
  • la surexploitation de nos ressources (l’eau, la terre notamment), parfois jusqu’à l’épuisement ;
  • une fiscalité adaptée et des financements facilités, qui ont conduit à des aberrations économiques, agronomiques et écologiques dans le développement des exploitations agricoles ;
  • un ego flatté du paysan transformé en « agri-manager » ;
  • le « manger vite et pas cher » prôné par l’industrie de l’agroalimentaire, qui s’est fait la part belle sur le dos des agriculteurs en mobilisant le monde de la recherche à son profit ;
  • les pesticides et les antibiotiques, utilisés sans raison. Ils n’ont pas été seulement sources de progrès ; ils font encore aujourd’hui des ravages en matière de santé.

L’espérance de vie réduite des agriculteurs et un nombre de suicides bien plus élevé que dans les autres secteurs professionnels (annuellement, quelque 350 suicides d’agriculteurs sont enregistrés, soit un par jour) sont révélateurs du mal-être au sein de la profession agricole.

CONSÉQUENCES ENVIRONNEMENTALES ET NOUVELLES ORIENTATIONS

Face à ces agressions, la nature réagit… à sa manière : diminution de l’humus, tassement des terres, circulation de l’eau perturbée, changement climatique, etc. Ces modifications conduisent fatalement à des diminutions de rendements. L’agriculture doit obligatoirement changer de stratégie si nous ne voulons pas souffrir de la faim.

Nous n’avons plus le temps d’attendre pour changer, les dégâts sont trop importants et ne nous permettent pas une adaptation lente de notre agriculture. Il est nécessaire de repenser nos modes de production dès maintenant, et très rapidement. Les modes de consommation doivent également évoluer pour redonner de l’importance à l’être plutôt qu’au paraître. La recherche de dividendes qui a géré notre société jusqu’à aujourd’hui nous promet un bien triste sort. Continuons ainsi et c’est la régression assurée!

L’urgence d’une autre politique est là : il faut repenser notre rapport au vivant, mais d’une manière réaliste. Les orientations à prendre sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, redonner du sens au métier de paysan en replaçant l’alimentation au coeur de nos valeurs, tout comme la santé, la culture, le sport, etc. La vie ne doit pas être vue comme un marché destiné à enrichir une minorité. Reprendre sens, c’est aussi respecter les travailleurs de la terre, remettre l’humain dans nos préoccupations principales. Nous devons utiliser nos connaissances, la science, la recherche, pour progresser dans nos façons de produire. La maltraitance de l’environnement nous a conduits à des échecs retentissants. Notre pays ne produit plus suffisamment pour nous nourrir alors que nous possédons l’un des meilleurs climats, doté d’une pluviométrie exceptionnelle. La guerre qui sévit pratiquement à nos portes doit aussi nous ouvrir les yeux, nous faire comprendre que les enjeux sont colossaux pour ne plus être dépendants en matière de nourriture.

Retrouver notre souveraineté alimentaire ne pourra se faire sans rémunérations décentes, sans une volonté forte d’installation, sans une gestion de l’eau stricte permettant une accessibilité équitable, sans une gestion du foncier dynamique et volontaire, sans moyens de production respectant la biodiversité. Il s’agit enfin de repenser complètement la politique agricole, c’est aujourd’hui la seule condition possible pour que demain soit encore vivable.

4 réflexions sur “Repenser la politique agricole, Pierre Thomas*

  1. Le modèle agricole intensif repose sur l’agrochimie, le développement des grandes cultures. La PAC finance à 80% l’agrochimie et les monocultures. Ce choix libéral a provoqué un effondrement de la biodiversité dans les milieux agricoles. Cette politique détermine le modèle agricole européen auquel la France et assujettie. Dans son ouvrage « Réconcilier nature et agriculture », Vincent Bretagnolle (Directeur de recherche au CNRS) met en avant l’importance des politiques publiques, l’urgente nécessité d’inverser les choix européen et français. Alors que certains ne s’en privent pas, il ne s’agit pas de montrer du doigt les paysans mais de changer de modèle agricole en finançant massivement la transition en faveur de l’agroécologie.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.