La qualité de l’ouvrage d’Ivan Lavallée est de couvrir des domaines très larges, de pointer et développer de très nombreux enjeux. Plutôt que de décrire un panorama touffu et toutes les touffes, nous en avons sélectionné quelques-unes. Nous espérons ainsi vous donner envie d’aller plus loin en lisant tout le livre, en appréciant ses questionnements, en approuvant ou non ses réponses, en faisant vôtre son goût pour la prospective… et son envie de révolution.
*François Périnet est chimiste thermodynamicien.
LE POSSIBLE, LE NÉCESSAIRE ET LE SOUHAITABLE
L’organisation de la société des hommes, son histoire, est la perpétuelle tentative d’adéquation entre le possible, le nécessaire et le souhaitable. Le possible est donné par le développement des moyens d’action sur la nature, c’est-à-dire des forces productives matérielles. Le nécessaire est l’organisation qui confère la pérennité à l’humanité, et pour une société donnée ce qui lui permet de se reproduire, a minima à l’identique, en fait en développant ses forces productives. Le souhaitable, c’est le maximum atteignable à partir du possible, l’idéal ; il dépend du niveau de conscience et d’action des hommes.

L’humain voit parfois – parfois seulement, hélas ! – plus loin que le nécessaire, il rêve et fait des projets, des programmes, des plans, il se projette dans l’avenir.
L’EXPÉRIENCE SOVIÉTIQUE
L’expérience soviétique a eu lieu dans un pays arriéré, où il a fallu aux dirigeants communistes mener, simultanément et en contradiction, deux fronts révolutionnaires : abolir la société monarchique semi-féodale héritée du tsarisme et essayer de mettre en place un système de production à caractère socialiste dans un contexte de guerre civile et d’intervention étrangère. Tout se fait à marche forcée, dans une urgence vitale, avec un coût humain terrible et la terreur comme moyen. L’industrialisation a un coût extrêmement élevé. Le capital se trouve dans l’agriculture et c’est là qu’il faut en dégager, en mobiliser. D’où la collectivisation sous contrainte des terres, mais il n’y a pas émergence de force productive nouvelle : il s’agit d’un « rattrapage » de développement, et de surcroît d’un développement essentiellement quantitatif des moyens de production. C’est en fait le développement de forces productives propres au capitalisme qui permet de dépasser la société féodale.
L’organisation de la société des hommes, son histoire, est la perpétuelle tentative d’adéquation entre le possible, le nécessaire et le souhaitable.
Or le socialisme, le communisme pour dépasser le capitalisme doivent être capables de développer un nouveau système technique fondé sur des forces productives nouvelles. Aujourd’hui, la cybernétique marque précisément l’émergence de ce nouveau système technique et de ces forces productives incompatibles in fine avec le mode de production capitaliste.
OUVRIERS, PROLÉTAIRES, COUCHES MOYENNES, COUCHES POPULAIRES
La part de la classe ouvrière est en baisse très forte dans la population française selon les données de l’INSEE (39 % en 1962 et 20,5 % en 2018). Cela dit, le salariat représente plus de 90 % des actifs. Employés et ouvriers constituent la moitié de ce salariat, professions intermédiaires un gros quart et cadres et professions intellectuelles supérieures un petit quart.

Les notions de « classes moyennes », de « classes populaires », de « riches et pauvres » brouillent les cartes. Elles n’ont pas pour base un rapport à la production de valeurs ni de richesses, or c’est là ce qui fonde l’analyse de classe, le rapport social créé par le rapport des forces productives matérielles et humaines.
La nostalgie des classes d’antan peut être paralysante pour l’action. Aucun groupe ne remplacera le groupe ouvrier comme moyen fédérateur. C’est vers la construction unitaire du salariat élargi dans sa diversité qu’il faut tendre. Le rapport salarial est ce qui définit l’unité sociale face au capital.
Les transformations de la société liées à l’évolution des forces productives et à la mondialisation financière n’amènent qu’à une société atomisée, d’individus isolés, où le capital se confond avec le travail.
Le salariat d’aujourd’hui, à travers la diversité de ses situations, de ses composantes issues de niveaux de qualification très variés, est en pleine recherche d’une conscience de classe à partir d’une communauté d’intérêts réelle. Celle-ci a besoin d’être nourrie en permanence.
Le socialisme, le communisme pour dépasser le capitalisme doivent être capables de développer un nouveau système technique fondé sur des forces productives nouvelles.
La classe des salariés est, de fait, la classe des prolétaires, le prolétaire étant celui qui vend sa force de travail. Le prolétariat ne forme pas pour autant un ensemble homogène ; le concept recouvre un vaste champ qui va du prolétaire paysan à l’interne d’hôpital, du fraiseur-outilleur au chercheur, du cheminot ou du contrôleur aérien au maçon… Le monde des prolétaires est vaste et changeant, diversifié, et les catégories qui le composent peuvent même avoir sur certains points des intérêts divergents.
Au sein du salariat, les rapports à la hiérarchie (donc au capital), à la culture, au collectif ont des différences marquées. L’unité ne peut se construire qu’en cherchant à transformer les rapports sociaux existants dans le travail et l’entreprise.
La baisse de la proportion d’ouvriers en France est partiellement liée à l’automatisation, et les activités de services sont désormais touchées aussi par la suppression d’emplois – on pense aux caisses automatiques des supermarchés qui remplacent des caissières ou aux achats sur Internet ; au-delà de ces deux exemples, le travail d’organisation et de contrôle peut être confié à un ordinateur.
MACHINE DE TURING, NUMÉRISATION, CYBERNÉTIQUE, MODÉLISATION
Alan Turing, avec sa machine conceptuelle, fonde l’informatique comme science du calcul automatique. Il étend le concept de calcul à toutes les activités, humaines ou non. L’espace de vie des hommes est représentable par des structures mathématiques. La linguistique, le droit, la sociologie peuvent utiliser la pleine puissance des mathématiques. Tout devient guidable par le calcul.
Puis, dépassant le caractère déterministe de l’automatisation de la révolution industrielle, on intègre dans le raisonnement la dynamique du changement, la statistique et les probabilités, l’interpolation et l’extrapolation. Tout cela n’est possible que grâce à l’augmentation considérable des puissances de calcul, à la miniaturisation des moyens de calcul et au développement des réseaux.
Pour produire sur Internet, l’immobilisation de capital pour la possession et la maîtrise de l’outil de production est à la portée d’individus.
Les procédés de production, les circuits de communication, la pratique même des services sont bouleversés par les réseaux. Avec la numérisation étendue et généralisée des services, le corps de la marchandise devient virtuel.
L’industrie fait largement appel au modèle cybernétique à travers l’usage de clones virtuels, simulateurs reproduisant le fonctionnement en temps réel des équipements réels, en tirant expérience de l’usage et des comportements de ces équipements. Dès lors qu’on a un bon modèle de l’écoulement des fluides, on n’a plus besoin de souffleries pour profiler une carlingue d’avion. Il en résulte des économies considérables.
DES « JEUNES POUSSES » TRÈS PÉRISSABLES ?
Dans le mode de production capitaliste de la révolution industrielle, il faut réunir des masses importantes de capitaux pour créer l’outil. C’est beaucoup moins vrai, voire pas du tout dans bien des cas de la production non palpable. Pour produire sur Internet, l’immobilisation de capital pour la possession et la maîtrise de l’outil de production est souvent relativement minime et à la portée d’individus, d’où le phénomène des « jeunes pousses ». La technique afférente à l’utilisation est accessible. C’est la production du contenu elle-même qui domine. D’une certaine façon, on en revient à une forme d’artisanat. La marchandise produite est fragile et facilement appropriable, facilement copiable par d’autres. Il n’en est pas de même avec l’industrie classique : on ne peut fabriquer une voiture facilement ; les murs de l’entreprise suffisent à empêcher qu’on s’approprie l’outil de production. En revanche, un site informatique, un disque dur sont facilement copiables, un site est aisément périssable.
Les notions de « classes moyennes », de « classes populaires », de « riches et pauvres » brouillent les cartes. Elles n’ont pas pour base un rapport à la production de valeurs.
80 % des « jeunes pousses » ne dépassent pas l’année de vie. L’instabilité des valeurs boursières de ce que d’aucuns appellent la « nouvelle économie » est la mesure des concentrations qui s’opèrent en la matière. Elle est aussi représentative de la mainmise du secteur financier sur cette activité. C’est la fin du mythe Apple, selon lequel deux jeunes gens dans un garage pouvaient bâtir un empire industriel.
FAIRE DU PROFIT SANS PRODUIRE ?
S’il n’y a pas de production de marchandises et vente de celles-ci en réponse à un besoin, il n’y a pas réalisation de plus-value, donc pas de profit. Par ailleurs, du strict point de vue du capital financier, non seulement il ne s’agit pas de produire des marchandises répondant à un besoin, mais il ne faut surtout pas, dans une logique d’accumulation, que le capital se traduise en marchandises. Le capital doit être détaché des formes matérielles pour pouvoir être investi là où il rapporte le plus et le plus rapidement possible. Ce capital doit donc être le plus mobile possible, mobilité grandement facilitée par l’utilisation et l’interconnexion des réseaux informatiques.
LE MYTHE DE LA NÉCESSAIRE VERTICALITÉ S’EFFONDRE
L’homme aux écus d’autrefois apportait des éléments que les ouvriers n’étaient pas en mesure de réunir : machines, locaux, capacités d’organisation. Il fallait avoir lu Marx pour savoir que cet apport bien réel ne justifiait pas l’extorsion de la valeur ajoutée et que l’ignorance de ce qui se passait « là-haut » pouvait tenir lieu de légitimité à la domination. Dans les rapports de production que l’ère numérique impose, fluidifiés, sans secret, les mystères s’estompent et le mythe de la verticalité nécessaire s’effondre.

Le logiciel libre montre que la mise en commun volontaire et horizontale des efforts d’un grand nombre est capable de faire aussi bien, et avec les fablabs cette leçon peut être étendue à la production matérielle d’objets courants.
L’ancien n’est plus tout seul. De nouvelles façons de produire et de gérer sont en gestation. Ces changements ne sont qu’en germe, et nous sommes dans un monde où la nouvelle infrastructure numérique peut servir autant l’hyperdomination que l’émancipation d’une humanité réconciliée.
DERNIÈRE TOUFFE UN PEU LAPIDAIRE
La cyber-révolution pose le problème global de la gestion de l’humanité, du travail et de son sens (profits ou réponse aux besoins ?), de la gestion de la planète (pour qui ?) et en donne les moyens d’y répondre. Elle permet de poser la question du communisme considéré ici dans la tension entre « les usines tournent toutes seules » et « le travail premier besoin de l’homme ».
J’ai 97 ans, suis adhérent à l’APRIL, ai contribué à la mise en action des Centres informatiques départementaux, hélas abandonnés alors qu’ils auraient pu être les plates formes démocratiques de données, d’actions, de coopérations, de cocréation ,de diffusion de la science
La bourgeoisie a compris toutes les capacités de ce nouvel outil intellectuel, qui reprend, fusionne, élève les potentialités des arts et des sciences mais de par sa nature elle transforme l’or en plomb
Je suis surpris et malheureux de voir ce champ de bataille abandonné par la gauche en général et par mon parti
L’on se borne à dénoncer de temps en temps les scandales des plates formes mais très peu d’exemple de réussite du libre sont mis en avant Quand viendra dans les usines et les services le temps d’une nouvelle gestion qui fera les logiciels si nous n’avons pas mené sur ce plan une politique d’union avec les cadres ?Framasoft a lancé une offensive pour conquérir les associations au logiciel libre Qu’avons nous répondu? Combien de municipalités communistes ont construit une plate forme démocratique ? dans la société communistes les usines ne tourneront pas toutes seules il faudra élever le niveau de discussion pour répondre aux besoins en ayant recherché tous les éléments et cela sera le 1er travail fraternel scientifique de l’homme