Le RN cherche plus d’exclusion de la démocratie sociale en entreprise, Tristan Haute*

Le Rassemblement national a récemment déposé, par l’intermédiaire de son groupe parlementaire, plusieurs amendements visant à limiter le droit de vote des salarié(e)s aux élections professionnelles; le but en est d’exclure les précaires ainsi que celles et ceux qui n’ont pas la nationalité française. Ces tentatives, pour l’heure avortées, d’affaiblir la démocratie sociale nous éclairent aussi sur l’hostilité du RN à l’égard des syndicats.

*Tristan Haute est maître de conférences en science politique, université de Lille-CERAPS.

DES AMENDEMENTS CONTRE LA DÉMOCRATIE SOCIALE

Alors que les élu(e)s du RN se singularisent par des propositions de lois ou d’amendements particulièrement droitiers[1] tout en jouant le jeu des institutions à des fins de « dédiabolisation », plusieurs amendements relatifs aux élections professionnelles n’ont pas manqué d’attirer l’attention de syndicalistes.

D’une part, considérant que « les entreprises sont des acteurs structurants du corps social » et qu’elles peuvent disposer « d’un pouvoir significatif » en influant « sur les structures de marché ou encore sur les modes de consommation des citoyens », mais aussi pour « éviter toute tentative d’ingérence étrangère ou de revendication communautariste par la voie d’une représentation d’étrangers », le RN a demandé le retrait du droit de vote et d’éligibilité aux salarié(e)s étrangers (-ères) aux élections professionnelles. Rappelons qu’il n’est pas nécessaire de disposer de la nationalité pour voter aux scrutins professionnels : le statut de femme ou d’homme au travail suffit pour disposer du droit à participer en entreprise. Si le préambule de la Constitution de 1946 stipule que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises », le droit de vote des salarié(e)s de nationalité étrangère n’a été définitivement acquis qu’en 1972, pour les comités d’entreprise[2].

Le RN a demandé le retrait du droit de vote et d’éligibilité aux salarié(e)s étrangers·(-ères) aux élections professionnelles.

D’autre part, considérant que « le délai de trois mois de travail au sein d’une entreprise pour bénéficier du droit de vote aux élections professionnelles apparaît bien trop court pour une appréhension suffisante des enjeux de ces élections et des besoins des salariés », le RN a proposé de relever la condition d’ancienneté pour voter à au moins six mois. Or, si cette condition d’ancienneté avait été abaissée au cours des années 1970 (passant d’un an à trois mois), c’était pour tenir compte du développement croissant des contrats précaires (CDD, intérim…). En effet, cet amendement aurait pour conséquence, assumée par le RN, d’exclure les salarié(e)s précaires, au même titre que les stagiaires, de la vie démocratique de l’entreprise.

Le RN prétend priver de leur droit de vote des milliers de travailleuses et de travailleurs étrangers ou précaires.

Ces propositions du RN témoignent d’une conception à la fois nationaliste de la citoyenneté, censitaire de la démocratie au travail, au sens où elle doit se limiter aux salariés les mieux insérés, et assez peu libérale de l’entreprise : « Les entreprises doivent demeurer dans le giron de la souveraineté nationale », indique l’exposé de leur amendement. Pourtant, la représentation collective fait partie intégrante du rapport salarial, défini comme l’échange de la force de travail et de la subordination contre un salaire. Dès lors, cette représentation ne saurait être déniée à une partie des salarié(e)s, qu’ils soient étrangers ·(-ères) ou précaires. Pour s’opposer au RN, il convient donc de défendre une conception extensive de la citoyenneté, au travail comme dans le champ politique.

LE FN-RN CONTRE LES SYNDICATS

En apparence, le rapport du FNRN aux organisations syndicales semble ambivalent[3]. Historiquement opposé aux organisations syndicales, et notamment à la CGT, il a cherché dès les années 1990 à créer des structures parasyndicales liées au FN. Ces structures ont connu quelques succès lors des élections professionnelles dans la Police nationale ou encore, dans quelques territoires du sud de la France, lors des élections prud’homales de 1997.

Dans les années 1990, le Front national crée des structures parasyndicales ayant un certain succès aux élections professionnelles dans la Police nationale et dans le sud de la France.

Néanmoins, non reconnues comme syndicales en raison de leurs liens avec le FN, ces structures ont rapidement disparu, d’autant qu’elles ont été affaiblies par la scission qu’a connu le FN à la fin des années 1990. Le FN a tenté de renouer avec cette stratégie au milieu des années 2010 en créant des « collectifs » professionnels, notamment d’enseignant(e)s, dont les succès ont été toutefois principalement communicationnels. Cette stratégie peut d’ailleurs expliquer la volonté du FN, affirmée dès 2012, de réécrire la loi de 2008 consacrée à la représentativité syndicale qui impose des seuils électoraux aux syndicats pour être représentatifs (8 % au niveau interprofessionnel, 10 % en entreprise)[4].

Le préambule de la Constitution de 1946 ouvre à tout travailleur, sans distinction, le droit à participer à la démocratie en entreprise.

Parallèlement, le FN a pu développer, notamment à partir de 2012, un discours regrettant la faiblesse de la syndicalisation, considérée comme une des causes fondamentales de l’abandon du monde du travail. À ce titre, le FN a aussi mis en avant des candidat(e)s ou des cadres exerçant ou ayant exercé des responsabilités syndicales, cherchant ainsi à témoigner de son ancrage social en milieu populaire. Pour autant, le FN-RN n’en demeure pas moins hostile aux organisations syndicales, aux mobilisations collectives qu’elles organisent, à commencer par les mouvements qui débouchent sur des grèves, et plus largement aux droits des salarié(e)s. De ce point de vue, l’activité du RN à l’Assemblée nationale illustre parfaitement cette hostilité.

UN ÉLECTORAT DAVANTAGE HOSTILES AUX SYNDICATS

On pourrait penser que l’hostilité du RN aux syndicats, témoignage de son héritage ultralibéral et ultraconservateur, pourrait amoindrir sa capacité à attirer les votes d’une partie non négligeable des classes populaires salariées. Ce serait oublier que les électrices et électeurs du RN, y compris celles et ceux appartenant aux classes populaires, se distinguent par une assez grande hostilité à la fois aux syndicats et aux prestations sociales (RSA, chômage…)[5], signe d’une adhésion plus globale aux valeurs de droite.

Le FN-RN demeure hostile aux organisations syndicales, aux mobilisations collectives qu’elles organisent, à commencer par les mouvements qui débouchent sur des grèves.

En effet, comme l’observe Jean- Marie Pernot[6], le fait d’être proche d’un syndicat réduit la probabilité de voter pour l’extrême droite, quel que soit le scrutin considéré. De plus, si le vote pour l’extrême droite a progressé entre 2017 et 2022 parmi les électrices et électeurs proches d’un syndicat, c’est avant tout aux dépens de la droite traditionnelle.

Enfin, comme le montre le tableau ci-dessous, le vote Le Pen est maximal parmi les électeurs considérant que les syndicats ne rendent pas de services aux salarié(e)s : le vote Le Pen passe ainsi de 22,5 % parmi les répondant(e)s les plus hostiles aux syndicats à 14,4 % parmi les répondant(e)s qui leur sont le plus favorables. En cela, le vote Le Pen ressemble beaucoup plus au vote Macron qu’au vote Mélenchon, dont la structure est nettement inversée (passant respectivement de 7,8 % à 31,3 %). Sans exclure le vote RN, être proche d’un syndicat ou avoir des attitudes positives à l’égard des syndicats joue en défaveur du vote pour l’extrême droite. La stratégie du RN d’affaiblissement de la démocratie sociale prend alors tout son sens.


[1] Nicolas Massol, « À l’Assemblée, le RN “ni droite, ni gauche”, mais quand même à droite », Libération, 8 oct. 2022.

[2] Pour une histoire du droit à la représentation des salarié(e)s en entreprise, voir Jean-Pierre Le Crom, l’Introuvable Démocratie salariale. Le droit de la représentation du personnel dans l’entreprise (1890-2002), Syllepse, Paris, 2003.

[3] Pour une histoire des rapports entre FN et syndicats, voir Dominique Andolfatto, Thierry Choffat, « Le Front national et les syndicats. Une stratégie d’entrisme ? », in Sylvain Crépon, Alexandre Dézé, Nonna Mayer (dir.), les Faux-Semblants du Front national, Presses de Sciences Po, Paris, 2015, p. 77-96.

[4] Au sujet de cette réforme, voir Baptiste Giraud, Karel Yon, Sophie Béroud, Sociologie politique du syndicalisme : Introduction à l’analyse sociologique des syndicats, Armand Colin, Paris, 2018.

[5] Sur ce dernier point, voir « Travail, salaire, assistanat : quels sont les clivages qui traversent l’opinion ? », Cluster 17, 24 août 2022.

[6] Jean-Marie Pernot, « Proximités syndicales et vote politique », Syndicollectif, 17 avr. 2022.

Une réflexion sur “Le RN cherche plus d’exclusion de la démocratie sociale en entreprise, Tristan Haute*

  1. Très bon article. En effet le RN et historiquement le Fn n’est pas pour l’augmentation des salaires en plus fe limiter le droit de vote dans l’entreprise en plus d’exclure des salariés étrangers. Le Rn c’est le Fn en plus dangereux avec ses 89 parlementaires avec un double langage policé teinté toujours de haine et de xénophobie. Personne n’est dupe sauf ceux qui sont bernés et qui pourraient voter à gauche pour contribuer à réduire le score de l’extrême droite aux prochaines élections.

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