Accroître la surface des forêts publiques Pour répondre aux attentes des français, Pierre Darmanté*

La forêt est la grande oubliée du projet de loi « climat et résilience », a déclaré en substance sur Twitter la députée LREM Anne-Laure Cattelot, qui en septembre 2020 a remis un rapport à ce propos au gouvernement. Pourtant, de nombreuses voix se sont élevées de toutes parts, y compris depuis la Convention citoyenne pour le climat, pour tenter de faire prendre conscience de l’urgence à se préoccuper sans attendre de l’avenir de nos forêts.

*Pierre Darmanté est ancien maire d’Arjuzanx (Landes) et ancien administrateur de l’ONF.

AVENIR DE LA FORÊT FRANÇAISE

Force contributions, projets d’amendements, appels ont surgi ces derniers jours pour tenter de sensibiliser la représentation nationale et l’opinion publique à l’importance de la forêt. Des observateurs soulignent à juste titre que c’est en premier lieu en forêt publique que les Français sont légitimement fondés à attendre des propriétaires – l’État et les collectivités – une gestion multifonctionnelle exemplaire en réponse à leurs multiples attentes.

85 % des Français considèrent la forêt comme un bien commun où ils aiment se détendre.

Hélas, la forêt publique ne représente que le quart de la surface boisée en France métropolitaine, et elle est très inégalement répartie sur le territoire.

La forêt publique ne représente que le quart de la surface boisée en France métropolitaine, et elle est très inégalement répartie sur le territoire.

Alors que 41 % des forêts sont publiques en moyenne dans l’Union européenne, et que cette proportion atteint jusqu’à 51 % en Allemagne, 75 % de la forêt métropolitaine française sont propriété privée ; une réalité qu’ignorent la plupart des 85 % des Français qui déclarent considérer la forêt comme un bien commun, un espace de vraie nature et de liberté dans lequel ils aiment à se détendre. En 1971, Philippe Saint Marc regrettait, dans son livre la Socialisation de la nature (Stock), la faiblesse de la surface du patrimoine naturel et forestier public et estimait que, en l’an 2000, 2 millions d’hectares de forêts et d’espaces naturels devraient être acquis par l’État et les collectivités pour répondre aux attentes des Français et protéger la biodiversité et les paysages. On est loin du compte.

COMMENT FAIRE ÉVOLUER LA SITUATION ?

Edgar Pisani dans l’Utopie foncière (Stock) s’emparait sensiblement à la même époque de ce sujet de la nécessité de la maîtrise collective des espaces naturels, forestiers et agricoles, indispensables selon lui à la survie des hommes. Il considérait que le problème foncier « était le problème politique le plus significatif qui soit parce que nos définitions et nos pratiques foncières fondent tout à la fois notre civilisation et notre système de pouvoir, façonnent nos comportements ».

Il fit des propositions révolutionnaires, adoptées par le comité directeur du Parti socialiste en 1975, qui restèrent finalement à son grand regret lettre morte, y compris après 1981. La nécessité d’accroître la surface de l’espace forestier ouvert au public, pour faire face aux demandes croissantes des citadins notamment, s’est pourtant imposée partout où la pression était forte, en particulier en région parisienne où l’installation des villes nouvelles a conduit à la mise en place d’une politique volontariste d’acquisition de forêts privées qui les entouraient. La région Île-de-France est ainsi aujourd’hui propriétaire à elle seule de plus de 11 000 ha qui étaient autrefois privés.

Une récente enquête de l’EFESSE (évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques) concernant les usages récréatifs des forêts métropolitaines a récemment confirmé que la demande en la matière est immense et croissante.

LES USAGES DE LA FORÊT

Dans le même temps, des inquiétudes apparaissent à propos des conséquences de la surfréquentation des forêts, et de l’espace naturel en général. Les conflits d’usage se multiplient, et des problèmes encore plus prégnants surgissent dans des espaces privés où la fréquentation est « imposée » au propriétaire.

Depuis des décennies, Bercy souhaite économiser cette subvention (130 millions d’euros) et pousse à l’ouverture à la concurrence de la gestion des forêts communales.

Au moment où les traders et le monde des affaires invitent à investir de plus en plus dans l’achat de forêts, la relance d’une politique d’acquisition d’espaces boisés par la puissance publique ou les collectivités paraît plus que jamais d’actualité.

La création d’un fonds dédié à soutenir l’acquisition de forêts à la vente, alimenté par une taxe du même type que la taxe d’aménagement des espaces naturels sensibles et adossée à un droit de préemption, pourrait permettre à l’État et aux collectivités d’accroître significativement et rapidement la surface des forêts publiques afin de mieux répondre aux attentes des citoyens.

Face aux conflits d’usage, l’État et les collectivités territoriales doivent se porter acquéreur de milliers d’hectares de forêts privées.

Mais tout cela serait bien dérisoire si l’on ne dotait pas dans le même temps de moyens humains et financiers indispensables à son bon fonctionnement l’organisme chargé de la gestion de ces espaces qu’est, aujourd’hui, l’ONF. Or depuis des décennies, malgré des déclarations de bonnes intentions, les missions interministérielles, les rapports parlementaires qui ont pointé les problèmes, aucun des gouvernements qui se sont succédé n’a pris les mesures indispensables pour redresser la situation financière catastrophique d’un établissement qui a perdu la moitié de ses effectifs en trois décennies.

L’ONF

L’ONF est depuis sa création, en 1966, un EPIC (établissement à caractère industriel et commercial) qui doit équilibrer ses comptes avec les recettes de la vente de bois, de la location de la chasse et les crédits d’État qui financent certaines missions d’intérêt général, et surtout le versement par le ministère de l’Agriculture d’une subvention qui vient compenser le déficit de la gestion des forêts communales.

Depuis des décennies, Bercy souhaite économiser cette subvention (130 millions d’euros) et pousse à l’ouverture à la concurrence de la gestion des forêts communales, ouvrant en fait la possibilité de sa privatisation progressive.

Le régime forestier actuel permet encore en tout point du territoire de mener une gestion multifonctionnelle au bénéfice de toute la collectivité nationale.

Au fil du temps, l’endettement de l’ONF (400 millions) est devenu insupportable et l’établissement a du mal aujourd’hui à financer son fonctionnement. Cette situation est ancienne. En 2012, Hervé Gaymard (ancien ministre de l’Économie, et auparavant de l’Agriculture), alors président de l’ONF, avait déjà demandé au président Hollande une recapitalisation de cet établissement à hauteur de 400 millions d’euros. Cette mesure est plus que jamais d’actualité, et Bruno Lemaire, actuel ministre de l’Économie, qui était ministre de l’Agriculture au moment de la tempête Klaus, connaît bien ce dossier.

Si l’on ne met pas rapidement un frein à la dérive de l’ONF, le risque est grand d’ouvrir la porte à la possibilité de privatisation de la gestion des forêts communales et de faire exploser l’esprit même du régime forestier. Ce serait une grave erreur. Le régime forestier actuel permet encore en tout point du territoire de mener une gestion multifonctionnelle au bénéfice de toute la collectivité nationale. Il faut, à l’opposé des orientations portées par Bercy, conforter l’ONF et le faire reconnaître comme un véritable outil de protection de nos forêts, et dans le même temps permettre plus largement à l’ensemble de la société de participer à la mise en œuvre de cette protection.

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