En grande surface comme en magasin spécialisé et dans la restauration, les Français sont de plus en plus habitués à consommer divers produits labélisés bio. Une partie croissante des consommateurs s’oriente vers ces produits sur la base de critères assez divers – et pas nécessairement pertinents – qui peuvent être liés à des considérations écologiques ou de santé par exemple.
Mais d’autres labels que le désormais connu AB s’invitent parfois dans les rayons ou dans la restauration. C’est le cas des labels Demeter et Biodyvin, qui font référence à un autre type d’agriculture : l’agriculture dite « biodynamique ». Cette agriculture encore très marginale, mais en expansion, a la prétention d’aller au-delà du bio par une approche dite « holistique » prenant par exemple en compte les « rythmes cosmiques » dans le travail du champ ou de la vigne.
Pour comprendre ce qui se cache derrière l’approche biodynamique et distinguer les prétentions des labels de la biodynamie de la réalité des produits, Progressistes est allé à la rencontre de Cyril Gambari, docteur en microbiologie et habitué de la vulgarisation scientifique autour des enjeux de l’agriculture, de la biologie et de l’écologie.
Entretien accordé par Cyril Gambari, docteur en microbiologie, et réalisé par Thomas Liechti, membre du comité de rédaction de la revue Progressistes
Tout d’abords est ce que tu peux te présenter ? Quel est ton parcours et dans quel domaine est-ce que tu travailles ?
Je m’appelle Cyril Gambari et je suis docteur en microbiologie. Après le bac j’ai fait une licence en biologie cellulaire, un master en Microbiologie, Biologie Végétale et Biotechnologie puis une thèse en microbiologie. Aujourd’hui, je suis enseignant en biologie-écologie au lycée agricole Claude Simon à Rivesaltes.
Depuis tes réseaux sociaux, ton blog [1] et dans tes interventions publiques, tu vulgarises beaucoup le sujet de l’« agriculture biodynamique », ses principes et les polémiques qui l’entourent. Comment en es-tu venu à t’intéresser à ce sujet ?
C’est par le biais de Grégoire Perra [2], ancien professeur dans les écoles Steiner-Waldorf et maintenant lanceur d’alerte que j’ai commencé à me renseigner sur l’agriculture biodynamique.
Lors de son interview dans l’émission Tronche en Live [3] de la chaîne YouTube La Tronche en Biais, Grégoire Perra présente l’anthroposophie, un mouvement spirituel fondé par l’occultiste allemand Rudolf Steiner, dans lequel il a baigné la majorité de sa vie et ses ramifications dans les domaines de la pédagogie, de la santé et de l’agriculture, etc.
Ce témoignage était tellement extraordinaire que j’ai décidé de me renseigner moi-même sur les fondements de l’agriculture anthroposophique, c’est-à-dire de la biodynamie.
Est-ce que tu peux résumer les grands principes de l’agriculture biodynamique ? Et qu’est-ce qui différencie l’agriculture biodynamique de l’agriculture bio ?
Les grands principes de l’agriculture biodynamique sont :
- Penser la ferme comme un organisme autonome,
- La prise en compte des cycles lunaires, cosmiques et du zodiaque,
- L’utilisation des préparations biodynamiques.
Brièvement ce sont les trois piliers de l’agriculture biodynamiques énoncés par Rudolf Steiner en 1924.
Les agriculteurs en biodynamie, pour la plupart, tiennent compte dans leurs itinéraires de culture de la position de la lune devant les constellations du zodiaque. Il en ressort des jours fruits, feuilles, racines et graines, des jours où il est interdit de travailler car jour de nœud lunaire etc. Si l’idée de l’influence de la lune sur les plantes a la vie dure chez les jardiniers et les agriculteurs, de nombreuses études montrent qu’il n’en est rien [4]. Même si la lune a une influence sur les marées, c’est-à-dire les masses d’eau colossales elle n’a pas d’influence ou une influence infinitésimale sur les petites masses d’eau. Soutenir que la lune a une influence sur les plantes c’est verser dans la pseudo- science. Je suis vraiment désolé pour tous ceux qui ont acheté un calendrier lunaire cette année.
Le cahier des charges de la marque principale de la biodynamie, Demeter, rend obligatoire l’utilisation des préparations biodynamiques. Elles viennent directement de 1924 et de Rudolf Steiner, elles n’ont pas bougé dans leur composition depuis cette époque.
Peu de monde connaît l’existence de ces préparations, elles sont pourtant la base de la biodynamie. Il existe huit préparations numérotées P500 à P507, ceux qui s’intéressent un peu à la biodynamie connaissent la bouse de corne (de la bouse introduite dans une corne de vache) mais la vessie de cerf fourrée d’achillée millefeuille, le crâne d’animal domestique fourré d’écorces de chêne ou encore les mésentères et autres intestins de bovins fourrés de fleurs diverses sont très peu médiatisés.
Ces préparations à épandre dans les champs ou pour arroser le tas de compost ont toutes une signification dans l’anthroposophie de Steiner.
Par exemple pour la préparation P502, les biodynamistes prennent le cerf pour sa tendance à accumuler les forces astrales via ses cornes vers sa vessie. Selon Rudolf Steiner, le cerf c’est l’animal qui capte le plus ce qui provient de l’environnement de la terre. Toujours selon Steiner, l’achillée étant connue pour sa capacité à soigner les problèmes de rein ou de vessie qui viennent d’un déséquilibre astral, l’achillée va transmettre les forces de Vénus et réguler le processus potassium par l’intermédiaire du soufre.
Les personnes qui vont promouvoir la biodynamie aujourd’hui ont toujours les mêmes justifications. Toutes les préparations ont ce genre de signification. On ne peut vraiment les comprendre sans avoir lu Steiner et les avoir passer sous le prisme de l’anthroposophie.
Il est à noter que le consommateur peut être trompé par des produits estampillés Demeter et affichant également le label Vegan [5] car je le disais, toutes les préparations biodynamiques sont obligatoires pour prétendre au label Demeter [6].
L’agriculture biodynamique diffère de l’agriculture simplement biologique par tous ces principes ésotériques. Il faut aussi savoir que pour obtenir le label Demeter, l’agriculteur doit être en Agriculture Biologique depuis au moins quatre ans.
L’agriculture biodynamique se vante d’excellents résultats écologiques mais aussi d’effets sur la santé du consommateur. D’après le site du label biodynamique Demeter, elle a la prétention de « régénérer les écosystèmes en plein accord avec le vivant » et l’objectif de produire des « aliments nutritifs et avec le maximum de vitalité pour l’être humain », qu’en est-il concrètement ?
Très concrètement, l’agriculture biodynamique jouit des mêmes résultats que l’agriculture biologique [7][8].
Les bonnes pratiques paysannes (rotation des cultures, lâché d’auxiliaires, enherbement, plantation de haies etc.) qui sont utilisées à la fois en agriculture biologique et en agriculture biodynamique expliquent le peu de différences observées entre les deux modes d’agriculture.
La très large majorité des études scientifiques comparant l’agriculture conventionnelle, l’agriculture biologique et l’agriculture biodynamique montre des résultats similaires sur les rendements, la faune et la microbiologie des sols, l’incidence des maladies, et la qualité nutritionnelle entre les deux dernières. La biodynamie c’est du bio + de la pseudo-science.
Les prétentions de Demeter ne sont appuyées par rien de solide, rien de concret. C’est ce qu’on pourrait appeler du marketing.
L’agriculture biodynamique en France semble aujourd’hui se concentrer essentiellement sur la production de vin, ce qui semble d’ailleurs paradoxal avec l’objectif de produire des « aliments nutritifs et avec le maximum de vitalité pour l’être humain », qu’est-ce qui l’explique ?
C’est extrêmement paradoxal d’autant plus selon Rudolf Steiner : « L’alcool dispense l’homme d’une activité qui normalement émane de son moi. L’alcool imite le moi. Il accélère la circulation sanguine et les passions s’en trouvent stimulées. Le vin coupe l’homme de toute influence spirituelle car il introduit un contre-moi. » [9]
Il faut bien comprendre que la biodynamie, en termes d’exploitation agricole mondiale, ne représente rien. En France c’est 0.02% de la surface agricole qui est concernée avec 0.4% de domaines viticoles et 0.03% d’autres parcelles (maraîchage notamment).
Il y a là encore à mon sens une histoire de marketing, qu’est ce qui est mieux pour l’image de la biodynamie, de vendre des choux fleurs biodynamiques ou un excellent cru millésimé ?
Les produits biodynamiques se vendent en moyenne plus cher que des produits simplement bio, pas étonnant que les grands noms de la viticulture commencent à s’y intéresser. Pas étonnant non plus que la biodynamie veuille récupérer de telles images de marque. Autant pour le prestige que pour la cotisation. L’adhésion chez Biodyvin, le label de la biodynamie s’occupant uniquement du vin, coûte 150 € à quoi s’ajoute une cotisation annuelle de 200 € ainsi que l’adhésion de 165 € à l’association Mouvement pour l’Agriculture BioDynamique (MABD). Pour les produits Demeter, la cotisation annuelle s’élève à 180 € auxquels il faut ajouter l’adhésion au MABD et un versement de 0,4% du montant des ventes annuelles.
Si les produits issus de l’agriculture biodynamique ne sont pas dangereux et présentent des caractéristiques similaires aux produits issus de l’agriculture biologique et si sa pratique reste marginale chez les producteurs, en quoi pourrait-elle représenter un danger ou un problème ?
C’est la question centrale autour de la biodynamie. On considère souvent qu’elle ne peut faire de mal. Certes elle n’est pas dangereuse pour les sols ou les cultures, mais qu’en est-il des humains, des agriculteurs et leur famille, des restaurateurs, des cavistes et des consommateurs ?
On l’a dit tout à l’heure, la biodynamie n’existe pas sans l’anthroposophie. Or il s’avère que la biodynamie c’est l’organe agricole de l’anthroposophie et qu’elle véhicule et diffuse les idées de ce mouvement considéré par la Miviludes et par les associations de défense des Familles et de l’Individu comme dérive sectaire et pouvant notamment entraîner de lourdes dérives auprès de populations vulnérables : les personnes malades et les mineurs [10].
Les langues commencent à se délier et des témoignages faisant ressortir un lien prégnant de la biodynamie avec l’anthroposophie in situ au sein de parcelles agricoles peuvent faire froid dans le dos. La doctrine de l’anthroposophie est aussi dispensée aux jeunes en wwoofing, en quête d’alternatives et d’agriculture respectueuse de l’environnement, comme l’explique Jeanne Soradt, qui a baigné dans cette mouvance pendant deux ans de sa vie [11]. La pensée de Steiner touche alors du bout des doigts des jeunes hommes et femmes cherchant des réponses. On peut retrouver trois de ces témoignages écrits sur les cahiers de recherche Agrigenre du sociologue Valery Rasplus, ils sont également disponibles en vidéos être ou ne pas être en biodynamie sur la chaîne YouTube Skeptics in the pub – Valais.
Acheter un produit en biodynamie c’est financer cette dérive sectaire. En effet, selon Ophélie Neiman dans un article du journal de référence Le Monde, Demeter International finance à hauteur de 100 000 € par an la Société anthroposophique universelle [12].
Si la biodynamie n’est pas dangereuse ce sont les idées derrière l’anthroposophie qui le sont.
Notamment dans le domaine de la médecine, dans l’anthroposophie toute maladie découle d’une dette karmique causée par les erreurs et les péchés de vies antérieures, il est donc impossible de se soigner avec la médecine moderne mais des traitements anthroposophiques existent. C’est le cas de l’extrait fermenté de gui qui soignerait le cancer. Évidemment les traitements de la médecine anthroposophique sont comme les préparations biodynamiques, inutiles et non soutenus par la science.
Dans le domaine de la pédagogie, la plupart des élèves des écoles Steiner-Waldorf sont incapables de faire la différence entre la mythologie de l’anthroposophie et la vraie histoire. Là encore les témoignages d’anciens élèves font peur.
Au-delà, l’anthroposophie de Steiner prône une hiérarchisation des races avec la race aryenne au sommet, vision pangermanique par excellence.
Quel pourcentage d’agriculteur va baigner dans ce bouillon d’inculture dangereux et répandre à son tour ces idées-là ?
Parce qu’il faut garder à l’esprit que des membres de la Société Anthroposophique Universelle sont responsables de formations au MABD.
En définitive, oui la biodynamie est dangereuse et problématique, mais pas dans le champ ou dans la serre, c’est dans la tête qu’elle va faire son office, via l’anthroposophie.
Quels sont les raisons qui peuvent motiver aujourd’hui un producteur à choisir de passer sa production sous un modèle biodynamique ? L’adhésion aux considérations ésotériques de l’anthroposophie est-elle obligatoire chez les agriculteurs, vignobles, etc. qui travaillent sous ces labels ?
On l’a vu, l’argument marketing est je pense un argument majeur dans le choix de la biodynamie. Mais il faut aussi imaginer qu’il y a un manque flagrant de labels faisant mieux que le label AB. De plus en plus les agriculteurs – et les consommateurs – ont une méfiance pour le Bio. Ils veulent une démarche qui va au-delà, ils veulent du « plus bio que bio ». C’est là que la biodynamie intervient, dans cet espace manquant.
L’adhésion à toutes les considérations de Steiner et de l’anthroposophie semble secondaire, l’agriculteur peut facilement les ignorer.
Mais dans tous les cas il fera toujours les préparations biodynamiques obligatoires soit sans les comprendre, soit en les ignorant et surtout il participera toujours au financement de l’anthroposophie et des problèmes indiqués avant.
Ce que nous montrent les témoignages dont j’ai parlé tout à l’heure, c’est que même en étant un laïcard convaincu, sans croire à toutes ces fadaises, on arrive quand même à mettre un pied dans l’occultisme de Steiner et on s’aperçoit qu’on y baigne en fait complètement.
Comment agir pour limiter l’influence de la biodynamie chez les producteurs et distributeurs au-delà du simple comportement de consommation ?
À mon sens, et c’est une réponse toute personnelle, c’est vulgariser sur tous les supports ce qu’est vraiment la biodynamie. Ses prétentions d’abord, et ce qu’en dit la science. Et puis tout simplement mettre des images sur des mots, ça marche bien. On a parlé des vessies de cerfs fourrées d’achillée millefeuille ou de crânes d’animaux domestiques, allez voir directement sur le site de Demeter.
Quand je montre les préparations biodynamiques à des consommateurs, ils n’en croient pas leurs yeux, je ne te raconte même pas s’ils sont végans. Si de plus en plus de consommateurs font remonter les problèmes de la biodynamie vers les producteurs et distributeurs, c’est gagné. Bon il y a quand même du boulot !
Si un agriculteur en bio veut passer le pas de la biodynamie, je l’invite à aller voir du côté de Patrick Baudouin, viticulteur en Anjou par exemple qui refuse catégoriquement la biodynamie [13], mais ce n’est pas le seul, de nombreux agriculteurs commencent à s’élever contre la biodynamie.
[1] Et la Science derrière la biodynamie (cyril-dgnr.com)
[2] Dont le blog est disponible sur veritesteiner.wordpress.com
[3] TenL#68 : Les secrets de l’anthroposophie (https://youtu.be/MA8reahSL0g)
[4] Dorion N et Mouchotte J, Jardiner avec la lune : mythe ou réalité ?, Société Nationale d’Horticulture de France, 2012
[5] Le mode de vie vegan, au-delà du seul aspect alimentaire, exclut toute consommation ou usage de produits d’origine animale ou issus de l’exploitation des animaux en général.
[6] Fiche technique 2022 – Stockage et matériel des préparations biodynamiques (www.demeter.fr)
[7] Ingremeau J-J, « Cultiver avec la Lune : superstition ou technique validée ? », SPS n° 330, octobre 2019.
[8] Bolard J, « Vin biodynamique, vin bio : quelle différence ? », SPS n° 326, octobre 2018.
[9] Steiner R, Alimentation et développement spirituel, Éditions Anthroposophiques Romandes, 2006
[10] Rapport d’activité de la Miviludes sur l’année 2021, p72 (www.miviludes.interieur.gouv.fr)
[11] Témoignage de Jeanne Soradt sur la mouvance anthroposophique disponible sur agrigenre.hypotheses.org
[12] « Rudolf Steiner, le philosophe qui a fait germer la biodynamie » par Ophélie Neiman, Le Monde, septembre 2021
[13] https://www.patrick-baudouin.com/LA-VIGNE-ET-LE-VIN-BIODYNAMIE.html?lang=fr
Une réflexion sur “La Biodynamie : Occultisme et dérive sectaire à la campagne – Entretien avec Cyril Gambari”