La question des personnels hospitaliers, Christine Appiani*

Le gouvernement a eu beau lancer une campagne pour vanter l’utilité et les débouchés des métiers du soin, les professions d’infirmière et d’aide-soignante restent considérées comme très éprouvantes et mal payées. En outre, le statut de ces métiers exercés dans le cadre de l’hôpital public est de fait remis en cause par les coups portés à la fonction publique hospitalière.

*Christine Appiani est infirmière et secrétaire CGT de l’hôpital René-Dubos (Pontoise).

DES MÉTIERS SOUS-VALORISÉS, ÉPUISANTS, MAL RÉMUNÉRÉS

Ce ne sont sûrement pas les mesurettes du Ségur de la santé (les 183 € de complément de salaire pour tous et les 3 ou 4 postes crées par établissement…) qui vont effacer la maltraitance institutionnelle qu’endurent les agents hospitaliers et leur démotivation, ni les abus bien au-delà de l’acceptable dont furent victimes les étudiants en soins infirmiers ou en médecine, eux qui, durant leur stage pendant la « première vague », durent aire face et qui furent indemnisés 28 € par semaine en première année, 50 € pour les deuxième et troisième années ! Ils en ont témoigné en masse sur le hashtag #BalanceTonStage, lancé le 5 septembre par des étudiants de l’École de management de Lyon. Le management hospitalier est associé à une perte de sens du travail, souvent source de souffrance. Si en situation « normale » chacun s’en accommode, bon gré ou mal gré, en période de tension sa logique déshumanisante prend le pas pour pallier les manques de personnels. Jamais les soignants n’ont été autant pris comme des « pions » que dans cette période.

La FPH (fonction publique hospitalière) se distingue par une grande diversité de métiers non médicaux (201 recensés), emplois classés par filières : administrative, ouvrière et technique, socio-éducative, soins, médico-technique et rééducation. Les filières métiers représentent les corps dans la FPH classés eux-mêmes suivant le niveau de recrutement et les qualifications professionnelles en catégories A, B et C et en grades. Chaque grade, fixé par décret, com-prend plusieurs échelons, lesquels déterminent la rémunération principale du fonctionnaire. À chaque échelon un indice est attribué, et la rémunération est calculée sur cette base selon la valeur du point d’indice. Depuis 2010, la valeur du point d’indice est gelée à 4,68 €. C’est ainsi qu’on constate que le salaire pour le premier niveau des catégories C est passé sous la barre du SMIC. Un comble pour l’État qui déroge aux lois qu’il édite! Les salaires d’infirmiers de notre pays sont les plus bas de tous les pays développés ; selon le chiffre calculé par l’Organisation de coopération et de développement européen (OCDE), la France se situait au 26e rang parmi 29 pays.

Des personnels hospitaliers à bout de souffle.

LES INCOHÉRENCES DU POUVOIR

La pénurie de soignants motive des décisions assez incompréhensibles de la part des responsables médico-administratifs et des tutelles. En effet, dans de très nombreux établissements, les soignants testés positifs au coronavirus peuvent continuer à travailler s’ils ne présentent pas de symptômes. Le seul critère pertinent pour mesurer la gravité de la crise est le nombre de lits de réanimation occupés. Or, si le gouvernement avait entendu les professionnels de terrain, il aurait profité de l’été pour amener le nombre à au moins à 12000 lits de réanimation, comme cela avait été préconisé en mai au regard des comparaisons internationales.

UNE VASTE DESTRUCTION DE LA FONCTION PUBLIQUE

La majorité des personnels non médicaux sont « encore » recrutés et employés par concours dans le cadre du statut général de la fonction publique. Or, depuis de nombreuses années, le recours à la contractualisation, toutes catégories professionnelles confondues, est devenu une pratique courante dans les hôpitaux publics, véritable variable d’ajustement du personnel et élément décisif dans la précarisation de la FPH. Avec Macron, le cap est clairement désigné : davantage de contractuels et moins de fonctionnaires. Ainsi apparaît un nouveau « contrat de CDD de projet » conclu pour une durée minimale d’un an et maximale dans la limite de six ans. Il est possible de recruter des agents y compris sur des emplois de directeur des établissements (à l’exception des CHU et CHR). Mais aussi « prime de départ volontaire », « rupture conventionnelle » et maintenant un décret du 10 septembre 2020 autorisant le licenciement des hospitaliers en cas de suppression de postes !

C’est bien le statut de la FPH qui est aujourd’hui attaqué. On glisse doucement mais sûrement vers une privatisation de l’hôpital avec des agents corvéables à merci, soumis à l’arbitraire des directions, privés de droits et de carrière, à l’opposé du principe de service public garantissant, entre autres, les principes d’égalité, de continuité, d’indépendance. Les médecins hospitaliers ne sont pas des fonctionnaires mais des agents publics sous statut. Seuls les personnels hospitalo-universitaires sont des fonctionnaires d’État par leur fonction d’enseignement. Les médecins ont principalement le titre de praticiens hospitaliers (PH), représentant 60 % des équivalent temps plein de ces salariés. On décompte 44500 PH en 2018 et des titulaires qui ont accédé à cet emploi après l’obtention du concours national reconduit chaque année depuis juin 1999. Le statut de PH a été élaboré par le ministre Jack Ralite en 1983 dans un souci d’unification et avec l’idée que les médecins hospitaliers auraient tous le même salaire et les mêmes possibilités d’évolution de carrière. Ce statut est progressivement remis en cause depuis 2010 avec la création de contrats spécifiques de praticiens cliniciens à la main des directeurs d’hôpitaux et la suppression annoncée du concours par la loi Buzyn en mars 2019.

Depuis un an et unanimement dénoncée, la pénurie des acteurs de la FPH est aujourd’hui criante face à la crise sanitaire sans précédent de la covid-19 que nous connaissons. Cette pénurie, qu’elle soit en termes d’effectifs médicaux ou non médicaux de l’hôpital public, a été sciemment organisée depuis des années avec, d’une part,la limitation du nombre de professionnels (numerus clausus et places limitées aux concours d’entrée des écoles paramédicales) et, d’autre part, le lot des restructurations, de suppressions de lits, et de services impliquant des suppressions de postes. Le décrochage des rémunérations des agents publics (gel du point d’indice) pose également le sujet de l’attractivité des métiers de la FPH. Concernant le travail des soignants, entre 2005 et 2009 l’activité a augmenté de 11 % dans le secteur hospitalier, alors que l’emploi n’a lui progressé que de 4 %, induisant par là même une surcharge de travail évidente.

Hôpital Paul-Brousse (Villejuif). On peut de suite recruter des agents techniques pour libérer les soignants des tâches qui ne relèvent pas du soin.

Dans un hôpital public, la masse salariale – les dépenses liées aux personnels – représentent environ 70 % des dépenses totales de l’établissement. Dans un contexte de restrictions budgétaires imposées aux hôpitaux, au travers des enveloppes fermées de l’ONDAM hospitalier (objectif national des dépenses d’assurance maladie), la rationalisation des dépenses aura comme principal levier la diminution des postes. Ce ne sont pas à proprement parler des licenciements mais années après années, le non-remplacement des départs, quels qu’ils soient, retraite, mutations, disponibilité pour maladie… Les PRE (plans de retour à l’équilibre) imposés par les ARS aux établissements déficitaires sur le plan financier ont amené ceux-ci à s’engager sur le tout-ambulatoire, avec comme corollaire la réduction de postes et la fermeture de lits. Un exemple, celui du directeur de l’ARS Grand Est qui confirme, en pleine crise sanitaire et en manque de lits de réanimation, la suppression sur cinq ans de 174 lits et 598 postes (sur environ 9000) au CHU de Nancy. Un autre exemple : pour les seuls hôpitaux publics du Val-d’Oise, on comptait 13600 fonctionnaires en 2013 ; en décembre 2018, on dénombrait 9200 fonctionnaires et 3400 contractuels, soit 12600 professionnels : 1000 postes manquent à l’appel et 27 % de contractuels ! D’ailleurs, comme le réaffirment les conclusions du Ségur de la santé, il s’agit bien de suivre la trajectoire de la loi Ma santé 2022. Autrement dit, 22000 postes de fonctionnaires doivent encore être supprimés, 300 hôpitaux de proximité, des fermetures de services de médecine cet automne, comme à Besançon ou à Lille… Le ministre Olivier Véran a parlé de suspension des réorganisations, et non de leur suppression comme nous l’exigeons avec les hospitaliers. Quant au PLFSS 2021 (projet de loi de financement de la Sécurité sociale) en relecture : l’ONDAM 2021, hors covid et Ségur, ne sera que de 3, 2 % (2,45 % en 2020), soit une « économie » de plus de 800 millions – encore comme depuis 2015 et tous les ans – sur les établissements hospitaliers, avec la généralisation des maisons de naissance, des hôtels hospitaliers, la transformation de quelques centaines hôpitaux généralistes en centres « de consultations avancées en gériatrie ». Encore moins de lits et de soignants ! On a voulu régler les problèmes avec des indicateurs de performance, en diminuant le temps accordé à chaque patient, en optimisant le taux d’occupation des lits, en mutualisant, en fusionnant les services, les hôpitaux, en réduisant les effectifs sous statut. Réformer le système de santé pour l’égalité de l’accès aux soins passe nécessairement par un rectificatif du financement de la Sécurité sociale et de l’hôpital public.

COMMENT REFONDER L’HÔPITAL PUBLIC

L’urgence est avant tout humaine. Pour y répondre il faut mettre les moyens bien sûr, revaloriser les salaires, les statuts et plus que tout embaucher pour améliorer les conditions de travail. Il est nécessaire de définir d’autres choix politiques pour repenser l’organisation et le financement du système de santé. Il faut revenir à l’organisation sanitaire au niveau des territoires, à des services déconcentrés de l’État sous le contrôle des élus locaux et des organisations sociales avec la mise en place de chambres territoriales de santé dans lesquelles siégeraient des élus, des représentants locaux des professionnels et organisations syndicales de salariés, des associations d’usagers et de bénéficiaires, les organismes de Sécurité sociale.

Refonder l’hôpital public suppose de le réinsérer dans un système solidaire de gestion et d’appropriation d’un bien commun suprême, la santé. C’était l’objectif premier de la Sécurité sociale de 1945, cela doit le redevenir. Et on doit rétablir le collecteur unique des cotisations sociales, prenant leur source dans la valeur ajoutée créée par le travail au sein des entreprises, et le financeur unique des prestations. Les moyens donnés à l’hôpital public ne sont pas un coût mais la richesse d’une population en bonne santé.

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