Vivre et vieillir dans la dignité, le respect : l’urgence sociale, Christiane Caro*

Constat est fait que les personnes âgées dans les EHPAD ou à domicile sont sacrifiées aux seuls motifs économiques et financiers, leur parole est confisquée comme celle des personnels qui les prennent en charge. Élaborer des mesures politiques exige une analyse objective et rigoureuse de la situation.

*Christiane Caro est infirmière.

 

LE CONSTAT

En 2018, le Comité consultatif national d’éthique a rendu un avis sévère sur la situation des EHPAD. Il est dit, entre autres qu’« une forme de dénégation collective du vieillissement de notre société et de notre propre vieillissement [se traduit par] une forme latente de maltraitance vis-à-vis des personnes âgées, sur le plan politique […] sur le plan social et parfois familial […] Dans les conditions actuelles d’organisation de notre système social et de notre système de santé, le respect des personnes les plus vulnérables n’apparaît pourtant plus comme prioritaire »11. Avis du Comité consultatif national d’éthique, 16 mai 2018. Voir aussi « Comment la société française exclut les plus âgés », in Notre Temps du 31 mai 2018..

L’invisibilité des femmes au cœur des discriminations. Dans les EHPAD, 91 % des résidents sont des femmes. Elles sont majoritaires également au sein du personnel, à 87 %, et sont scandaleusement exploitées. Une grande précarité, des qualifications insuffisantes, des salaires bas et des effectifs réduits ne permettent pas de répondre aux besoins de nos aînés. Quant aux aidantes dans les familles (64 % sont des femmes22. À partir de 65 ans, 66 % des femmes restent après avoir pris soin de leur conjoint ; 75 % à partir de 90 ans.), elles suppléent aux insuffisances de services publics à domicile.

Le patriarcat maintient sa domination dans un rôle sociétal et social. L’éducation qu’elles ont reçue les destine à être maintenues dans ce rôle « pour être sœur, épouse, mère, aidante, soignante, de la naissance à sa mort »33. Éric Frégona, directeur adjoint de l’AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées), débat Université d’été du PCF, 24-25 juin 2019. au détriment de leur santé et de leur vie personnelle. Pour cette raison, l’invisibilité des femmes dans la cité demeure, notamment dans le secteur médico-social. Les gouvernements, socialiste ou de droite, prêtant une oreille attentive au patronat, se gardent bien de remettre en cause cet ordre établi.

L’âgisme, discrimination anti-vieux, empoisonne et divise la société. La discrimination par l’âge a pu rentrer dans les consciences du fait de deux processus. En premier lieu, les critères de performance : rapidité, rentabilité, aptitudes exigées au sein de l’entreprise excluent les salariés les plus âgés. Ensuite, du fait de la notion d’utilité, les retraités ont intégré cette idée et s’emploient à démontrer leur « jeunesse », leur utilité dans la société : gardant petits-enfants, assurant bénévolat, ils comblent les carences de l’État en matière de services publics. Pourtant ce droit à la retraite, pour lequel ils ont cotisé, a été conçu pour être libre sans devoir le justifier. Alors, faut-il lier la raison d’être de chacun à son « utilité » dans la société, excluant de fait les plus vulnérables, ou permettre l’émancipation de chacun qui bénéficie à tout le collectif et considérer que « la solidarité constitue une pratique civilisante »44. Lucien Sève ; Penser avec Marx aujourd’hui. I. Marx et nous. La Dispute, 2004, « Le grand chantier marxien de Lucien Sève », entretien réalisé par Lucien Degoy, l’Humanité, 16 juin 2004 ?

Vieillir dans une maison de retraite, une exigence de respect.

LA QUESTION DÉMOGRAPHIQUE : TROP DE PERSONNES ÂGÉES

« Trop de retraités ne permettraient plus de payer les retraites » est l’argument idéologique du Medef55. Bernard Spitz, président de la Fédération française des sociétés d’assurance, On achève bien les jeunes.. pour justifier son refus de participer au financement des retraites et obtenir le renoncement à la solidarité inter-générationnelle. Il s’emploie à opposer les vieux aux jeunes. Ainsi, un membre du bureau du Medef a écrit : « Sans le dire, on a préféré le renoncement. Une France de vieux en forme, qui gèrent leur retraite aux frais de leurs enfants et petits-enfants […] c’est juste sa façon de s’accrocher – sans le dire – à ses privilèges. » Les patrons escamotent la capacité de leurs entreprises à produire davantage que par le passé ; ils nient cette formidable richesse que constitue l’ensemble des retraites pour l’économie en faisant vivre des villes directement ou par des emplois induits dans l’ensemble des services à domicile, les EHPAD, le tourisme, la culture, le sport…

Une population « trop vieille » ? Elle est la résultante du progrès (éducation sanitaire, médecine, alimentation) qui permet un allongement de la vie en bonne santé et bénéficie à toute la société, ainsi que de la baisse de la natalité. Une politique de la natalité, responsabilité de l’État, rajeunirait la population. Elle permettrait aux femmes d’acquérir de meilleures conditions de vie, d’exercer leur profession à temps plein, d’être en capacité de participer à la vie de la cité. On dit que les vieux sont « dépendants » et malades. Jacques Attali, lui, considère que « À 60-65 ans, l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et il coûte alors cher à la société »66. Jacques Attali, l’Avenir de la vie, recueild’entretiens avec Michel Salomon, Seghers, 1981.. Or une étude montre que « La majorité des retraités vieillissent dans de bonnes conditions d’autonomie. L’accompagnement apparaît autour de l’âge moyen de 83 ans. Sur 15 millions de retraités âgés de 60 ans seuls 8 %, (1,2 million), bénéficient de l’APA. Quant aux plus de 85 ans (1,4 million), 20 % (280000 personnes) ont besoin d’aide ».

Enfin, l’âgisme induit des renoncements éthiques par des priorités et des choix budgétaires qui aboutissent à refuser aux personnes âgées l’accès aux services de soins médicaux et spécialisés. C’est inacceptable. Il induit aussi un refus d’entendre et d’apporter des solutions dans ce secteur. L’image dégradée de la personne âgée se reporte sur le personnel, majoritairement féminin.

ll est urgent de remplacer dans la santé et le médico-social l’image de la femme dévouée par celle de la professionnelle qui a le droit à une rémunération en fonction de son travail et de son diplôme.

REMETTRE EN QUESTION LES CHOIX QUI SE POSENT

Le discours dominant préconise aux personnes âgées de rester au domicile. Ce discours justifie de ne pas investir dans les EPHPAD ! La mise en place de services publics à la personne se pose pour les retraités qui sont rendus vulnérables par leurs maladies. Leur évolution pose la question du libre choix entre vivre à domicile, isolée avec le risque de chutes, ou vivre en résidence où les soins pourront être dispensés ?

Les conditions de vie en EPHAD

Pour les retraités, c’est être exposés aux maltraitances institutionnelles, voire individuelles ; être privés de liberté, à la charge de ses enfants du fait de retraite insuffisante avec la disparition de leur patrimoine77. Proposition CFDT retenue dans le rapport Vachey qui va accentuer ces difficultés en intégrant le patrimoine des retraités dans le calcul pour l’attribution de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA)., s’ils en disposent. Cela nourrit leur rejet de l’EHPAD.

Quant aux familles, elles sont préoccupées par le traitement de leurs parents, par le financement, avec l’angoisse de devoir participer au reste à charge au détriment de leur propre revenu et de l’attention pour leurs enfants et petits-enfants. Épuisés après avoir accompagné leurs parents à domicile, ils et elles culpabilisent vis-à-vis d’eux lorsqu’il faut prendre l’option EHPAD.

Pour les personnels, enfin, l’insuffisance des effectifs, de qualification, la répétitivité des gestes de soins minimaux, chronométrés en particulier dans le domaine de l’hygiène, provoquent culpabilisation, accidents du travail ou maladies professionnelles. Cela les conduit à un épuisement physique et moral. Beaucoup ne se reconnaissent plus dans leur profession. La maltraitance institutionnelle se traduit par un manque de considération pour l’humain, une perte du sens de leur travail avec la prescription d’objectifs intenables.

Les unités de soins de longue durée (USLD)

« Les USLD sont des structures d’hébergement et de soins dédiées aux personnes âgées de plus de 60 ans. Elles sont adossées à un établissement hospitalier. Les moyens médicaux qui y sont mis en œuvre sont plus importants que dans les EHPAD. Elles s’adressent à des personnes très dépendantes dont l’état nécessite une surveillance médicale constante. » Ces caractéristiques impliquaient un encadrement de personnel paramédical en nombre plus important. Raison pour laquelle une note adressée par Marisol Touraine en 2015 à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) aboutit en 2016 à la diminution de 41000 lits d’USLD, lesquels furent transformés en lits d’EHPAD… Cette conception se retrouve dans le rapport Vachey88. Rapport Vachey, annexe II – 2.2.2. Les unités de soins de longue durée, p. 12..

L’éthique doit prévaloir dans la définition des besoins et des réponses pour le maintien de l’autonomie des personnes âgées.

AMÉLIORER LES CONDITIONS DE VIE DES PERSONNES ÂGÉES

La politique actuelle

Depuis la canicule de 2003, les plans Grand Âge se succèdent et n’apportent toujours pas de réponses aux besoins. Suite aux mouvements de 2018 et de 2019, M. Macron avait promis une loi, repoussée en 2021! La pandémie du coronavirus a révélé la dégradation de notre système sanitaire, ce qui l’avait conduit à promettre « après la crise du coronavirus, rien ne sera plus comme avant ».

Où en sommes-nous? On constate la poursuite de la transformation profonde de notre société voulue par le Medef. Le président de la République poursuit sa politique libérale avec aplomb : ponctions des salariés et retraités par le recours à l’impôt (CSG), etc., et absence de contribution solidaire du patronat et de la finance causant la dette de la Sécurité sociale, qui augmente avec les multitudes d’exonérations. Mieux, les besoins non couverts sont livrés aux assurances privées. Il n’y a toujours pas de réponse au travail invisible des femmes. Le financement de création d’emplois proposé ne prend pas la mesure des besoins. À domicile, la création d’un service public à la personne n’est toujours pas à l’ordre du jour. Les femmes continuent de suppléer à l’insuffisance des services publics alors qu’il y aurait besoin de 100000 emplois. Cette obstination à refuser cette solution ne permet pas à la femme de se libérer de ce travail et la confine dans ce rôle invisible.

Que faudrait-il changer ?

L’éthique doit prévaloir dans la réflexion du vieillissement, dans la définition des besoins et des réponses pour le maintien de l’autonomie des personnes âgées. C’est un élément essentiel de dignité pour toute personne âgée : une réponse nationale solidaire et juste doit être apportée avec un changement de regard sur la vieillesse et la lutte contre le patriarcat.

Le critère de l’âge doit être interdit, ce qui implique le droit d’accéder aux services médicaux et de soins spécialisés. L’emploi statutaire (100000 par an sur trois ans sur la base d’un salarié par résident) pourrait être une solution, avec un plan de formation de personnel qualifié, revalorisation des salaires (suppression de la CSG) et des droits pour les salariés dans l’intervention sur les conditions de travail (rétablissement des CHSCT).

En outre, il semble urgent de mettre en œuvre un plan d’investissement pour la modernisation et la création d’EHPAD publics et non lucratifs, adossés à des hôpitaux de proximité, des lits d’unités de longue durée, des services publics à domicile avec une adaptation du logement public.

Comment financer le changement ? Une enquête de la DRESS de 2011 confirme que « les résidents en EHPAD cumulent en moyenne 8 pathologies et 9 sur 10 souffrent d’affections neuropsychiatriques. Le nombre de pathologies et leur gravité sont très liés au niveau de dépendance ». Les besoins de l’autonomie relèvent donc de la maladie : acquise pendant l’activité, elle ne découle pas de la vieillesse. Partant, ils doivent être pris en charge,au titre de la solidarité intergénérationnelle, par la Sécurité sociale à 100 %, ce qui supprime la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et le reste à charge. La construction d’une société du vivre ensemble implique du courage politique, de se rassembler pour apporter une réponse nationale, solidaire, juste à nos, aînés.

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