Le destin incertain de la mousson africaine, Sylvestre Huet*

Les populations du Sahel dépendent des pluies de la mousson annuelle pour l’essentiel de leur agriculture. Que va-t-elle devenir dans un climat réchauffé par nos émissions de gaz à effet de serre ? Las ! Les climatologues ne peuvent toujours pas répondre à cette question vitale.

*Sylvestre Huet est journaliste scientifique

VERS UNE FIN DE LA MOUSSON ?

Le Sahel, cette zone entre Sahara et régions humides de la Mauritanie à l’Érythrée, concentre les défis les plus redoutables du changement climatique et de la pauvreté. Des défis accentués par l’augmentation rapide de la population depuis les années 1950 : les dix pays du Sahel[1]Mauritanie, Sénégal, Gambie, Guinée Bissau, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad, Soudan, Érythrée. comptent alors 17 millions d’habitants, puis 81 millions en 2012, environ 130 millions aujourd’hui. La poursuite des tendances actuelles conduirait à 200 millions en 2050. On y relève les nombres moyens d’enfants par femme les plus élevés du monde (6,6 au Tchad; 7,6 au Niger; 5,9 au Burkina Faso [chiffres de 2014]). La part des jeunes dans les populations signifie que même l’accès massif à la contraception et une transition démographique ne permettront pas d’éviter un nouvel essor démographique pour le demisiècle à venir.

Cette région fait partie des zones de grande pauvreté, avec des crises alimentaires à chaque soubresaut naturel – sécheresses, inondations – ou sociopolitique. Deux habitants sur trois y vivent de l’agriculture et de l’élevage. Cultures vivrières (mil, sorgho, niébé, maraîchage…) et d’exportation (arachide, coton), et pour l’élevage ovins, caprins, bovins. La plupart de ces cultures, à l’exception des quelques zones irriguées et du maraîchage utilisant les eaux de rivières et les puits, sont « pluviales », dépendant des pluies saisonnières, de la mousson. Cette dernière sur vient durant les mois d’été (c’est l’« hivernage » lorsque l’on parle de la saison agricole, de juin, avec les premières pluies, aux dernières récoltes d’octobre). La croissance démographique, associée à une stagnation des rendements à l’hectare, a provoqué une extension considérable des espaces cultivés, au détriment des réserves foncières et forestières, souvent sur les pentes et plateaux aux sols moins fertiles que les bas-fonds.

Que va devenir la mousson africaine dans un climat transformé par nos émissions de gaz à effet de serre? Cette interrogation illustre une notion cruciale pour la mesure des risques climatiques : l’incertitude. En effet, les climatologues ne savent pas répondre aujourd’hui à cette question. Pourtant, ils connaissent bien les mécanismes de la mousson africaine pour l’ouest du continent : l’eau s’évapore sur l’Atlantique, dans le golfe de Guinée notamment, puis tombe sur les côtes, où elle s’évapore à nouveau en partie et repart vers le nord et l’est. Ce processus s’étend jusqu’au Soudan et l’Éthiopie, via les forêts denses du Zaïre. Ces pluies prennent la forme de violentes averses, localisées et éparses, très délicates à prévoir malgré le déploiement d’importants moyens – notamment avec l’aide de Météo-France – afin d’aider les agriculteurs à organiser leurs semis. Sur une zone donnée, seulement une dizaine d’événements orageux vont décider du destin des récoltes. Durant cette saison d’été, c’est le gradient de température entre l’océan et les terres qui provoque les vents salvateurs : réchauffé au-dessus des terres, l’air s’élève, ce qui détermine un « appel d’air » en provenance de l’océan Atlantique. Ce mécanisme, bien connu en physique, est à l’oeuvre dans le climat régional.

INCERTITUDES SUR L’AVENIR DU SAHEL

Il y a trente ans, lorsque les climatologues commencèrent à étudier les conséquences régionales du réchauffement planétaire que provoquent nos émissions de gaz à effet de serre, ils se montraient optimistes pour le Sahel. En effet, la paléoclimatologie montre que, lors de l’optimum climatique d’il y a 8000 ans, le Sahara était vert, avec de vastes étendues de savanes peuplées de grands mammifères sauvages, mais aussi des troupeaux de bovins que les hommes du néolithiques ont représentés sur les parois rocheuses du Tassili, en Algérie. Ce verdissement était provoqué par une accentuation du gradient de température entre océan et terres émergées. Son origine est connue : à l’époque, la mécanique céleste rapprochait l’hémisphère nord du Soleil durant l’été septentrional (l’inverse de la situation actuelle, où durant l’été méridional que l’hémisphère sud se rapproche du Soleil). Le réchauffement planétaire dû à nos émissions de gaz à effet de serre allait-il se traduire par un phénomène similaire? Pour l’instant, les spécialistes de modélisation du climat ne peuvent répondre à cette question. Leur connaissance de la physique du climat se révèle insuffisante lorsqu’elle est modélisée et simulée par les ordinateurs, puisque la moitié environ des modèles prévoit un affaiblissement de la mousson dans un climat réchauffé, tandis que l’autre simule un renforcement des pluies estivales. L’incertitude ne porte donc pas sur l’intensité du phénomène mais, ce qui est bien pire, sur le sens de son évolution. Et, pour l’heure, les subtiles différences entre modèles ne permettent pas d’éliminer l’une ou l’autre de ces simulations.

L’une des causes de cette incertitude relève de l’action humaine sur les forêts côtières de la zone, par laquelle arrivent les vents chargés de l’humidité prélevée en Atlantique. Car les climatologues ont compris que la présence de ces forêts joue un rôle décisif dans la mousson. L’eau des océans portée par les nuages ne pénètre pas directement à l’intérieur du continent ; une fois tombée sur les côtes, elle s’évapore puis repart vers le nord et l’est. Il faut en effet, pour que l’eau atlantique tombée sur les côtes s’évapore et puisse repartir vers le nord et l’est, que des forêts denses captent cette eau de pluie et la stockent assez longtemps afin qu’elle puisse à nouveau s’évaporer au lieu de pénétrer dans le sol ou de ruisseler rapidement vers l’océan. C’est un processus qui doit se répéter plusieurs fois vers le nord et l’est si l’on veut que les territoires situés à l’intérieur du Sahel reçoivent de l’eau de pluie.

Station Météo-France installée dans le cadre du programme AMMA (Analyses multidisciplinaires de la mousson africaine).

La déforestation massive des régions côtières au sud du Sahel, en Côte d’Ivoire par exemple, pour laisser place à des cultures, joue un rôle déterminant dans ce processus. Les simulations du passé vert du Sahara, il y a 8000 ans, le montrent également : ce n’est que lorsque la forêt dense a reconquis tous ces territoires au sud du Sahel que le Sahara commence à verdir.

INCERTITUDE NE DOIT PAS RIMER AVEC INACTION

Tant que cette incertitude scientifique demeure, les climatologues ne peuvent pas conseiller les populations et les gouvernements du Sahel. Si la mousson devait se renforcer, et donc entraîner des pluies plus régulières et plus fortes sur les régions actuellement cultivées – au Sénégal, au Mali, au Burkina-Faso, au Niger, au Tchad, etc. –, il serait possible d’envisager le maintien des populations et le développement des productions agricoles. Un développement qui passe par des améliorations considérables des rendements à l’hectare, puisque l’option de l’extension des surfaces cultivées n’est plus possible, ce qui suppose des progrès majeurs dans les techniques et parcours agricoles, notamment dans l’utilisation de l’eau disponible.

Mais si la mousson devait s’affaiblir dans les prochaines décennies, ces efforts seraient annihilés par ces nouvelles conditions climatiques, durablement plus sèches. Dans ce cas, ce qui représente une perspective terrible, la prudence serait probablement de mise avec l’organisation préventive d’une migration massive – mais vers où? – de populations entières, dont les territoires agricoles seraient promis à une désertification irrémédiable.

Au-delà même du cas de la mousson africaine, cette situation souligne que l’incertitude qui subsiste dans les simulations du futur climatique n’est en rien une justification à l’inaction contre les causes du changement, car, en interdisant de s’engager dans la prévention de ses conséquences, elle représente un risque supplémentaire. Pour sortir de cette incertitude, de nombreux programmes de recherche auxquels participent des équipes françaises sont en cours[2]Le programme AMMA (Analyses multidisciplinaires de la mousson africaine), démarré en 2002, suivi de AMMA-2 (2010-2020), où sont impliqués le CNRS, l’IRD
et Météo-France.
. Mais nul ne peut prévoir quand elle sera levée.

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