France : le transport aérien à la croisée des chemins, José Rocamora et Valérie Barca*

*José Rocamora est syndicaliste CGT, ancien secrétaire général du CCE Air France
*Valérie Barca est consultante en organisation, ancienne responsable du service économique du CCE Air France

Déjà attaqué de toutes parts pour sa contribution au réchauffement climatique, la crise actuelle due au coronavirus place le transport aérien dans une situation intenable.
Et si cette crise, qui s’annonce sans précédent, était l’occasion pour redéfinir la place et la gouvernance d’un système cohérent de transport international ?

Le transport aérien, secteur fragile par nature, a vu ses contradictions renforcées par la déréglementation des années 80

Le modèle économique du transport aérien se caractérise par :

  • Une forte intensité capitalistique. Nous avons une activité de services (par définition non stockables) mais mobilisant un fort niveau de capital (les avions), d’où la nécessité, pour dégager des résultats, d’une optimisation immédiate (en temps réel) de l’utilisation de ces immobilisations. Cela explique pourquoi le transport aérien est si sensible aux situations de surcapacités et plus globalement à toute variation de la conjoncture.
  • Une structure de coûts particulièrement contrainte, sur laquelle les compagnies ne disposent que de peu de marges de manœuvres (carburant, avions, redevances…).

Ces deux facteurs à eux-seuls expliquent une faiblesse structurelle des marges dégagées par les compagnies aériennes, qui ont du mal à dépasser une moyenne de 4 à 5 %. A titre d’illustration, sur la période 1995-2015 le cumul des profits et pertes de l’ensemble des compagnies membres de l’IATA1Institut International du transport Aérien est égal à zéro.

Cette fragilité structurelle du secteur est renforcée par une situation hautement concurrentielle, conséquence de la déréglementation du secteur dans les années 80, qui n’est que très partiellement contrebalancée par un processus de concentration toujours en cours au niveau européen et international, entrainant une forte pression sur le prix des billets. Ces phénomènes de concentration sont en outre contrecarrés par la création incessante de nouvelles compagnies de petite taille, qui viennent occuper des marchés de niches, fragilisant à leur tour encore plus l’équilibre délicat des opérateurs globaux.

Parallèlement, l’omnipotence de la « loi du marché » ne permet pas de penser l’organisation des transports dans le cadre d’un aménagement concerté des territoires concernés :

  •  Ni en France et en Europe, avec la mise en concurrence stérile du transport aérien et du transport ferroviaire, et la multiplication d’aéroports régionaux dont le coût pour les collectivités locales les poussent à céder aux sirènes des compagnies low-costs type Ryanair, le tout laissant la part belle à la route et à la voiture,
  • Ni à l’international, où la compétition entre compagnies s’effectue avec des conditions de concurrence très inégales, comme nous y reviendrons ci-après.

La déréglementation en Europe : une copie à revoir

« The Airline Deregulation Act » est signé aux USA par le président Carter en octobre 1978. Dans la foulée et à une période où la notion de marché constitue le seul lien qui unisse véritablement les différents membres de l’UE, la commission européenne décide d’appliquer les mêmes recettes mais en trois « paquets » successifs censés permettre aux compagnies européennes de se préparer à ce choc concurrentiel. Ce n’est donc qu’en avril 1997 que la déréglementation totale est activée après deux précédentes phases en 1987 et 1990.

Les raisons d’un échec programmé.

Aux Etats-Unis, la déréglementation plonge les compagnies dans une guerre tarifaire mortelle mais qui touche l’ensemble des acteurs, tous « logés à la même enseigne ». La concurrence est certes féroce mais elle est totale et non faussée2A titre d’exemple, des 50 états de l’Union, un seul, le Delaware, est un paradis fiscal. Aucune compagnie n’y a son siège social..

En revanche les 17 membres de l’UE en cette année 1997 ont tous des législations sociales et fiscales différentes et l’écart de coûts entre opérateurs est terriblement handicapant pour les pays avec une couverture sociale de qualité. Ces écarts expliquent, selon plusieurs études, un différentiel de coûts — toutes choses égales par ailleurs — d’environ 30 % entre une compagnie comme Air France et son « alliée » KLM. En outre, certains pays sont des paradis fiscaux (Irlande, Pays-Bas, les îles anglo-normandes, le Luxembourg) pour ne citer que les plus connus. Ce point est essentiel pour comprendre les difficultés du transport aérien français. En 2010, une communication interne d’Air France précisait que le transfert du siège d’Air France-KLM de Paris à Amsterdam ferait économiser au groupe 800 millions d’euros par an de cotisations sociales…

En second lieu les compagnies américaines volent sur un territoire de 10 millions de km² qui rend impossible la concurrence du rail. Aux Etats-Unis, le concurrent de l’avion, c’est l’avion!

En 1997, la superficie totale des 17 membres de l’UE de l’époque n’atteint pas 3 millions de km² et la distance moyenne entre grandes villes y est trois fois inférieure à celle aux Etats-Unis. Au manque d’harmonisation sociale et fiscale s’ajoute la concurrence du rail qui dans des pays comme la France est mortelle pour l’avion sur certaines destinations. En lieu et place d’une stratégie concertée d’aménagement du territoire, tant français qu’européen, en faisant jouer les avantages des différents modes de transports disponibles, l’Etat français a laissé se développer entre nos deux principales entreprises nationales de transport, Air France et la SNCF, une concurrence stérile, dont le bilan qu’il soit financier, sociétal ou encore environnemental ne peut être jugé que complétement négatif.

De la non-harmonisation fiscale en Europe à l’existence de paradis fiscaux
L’ONG « Tax Justice Network » vient de publier son rapport et conclut que les multinationales américaines ont réussi à soustraire grâce à leurs sociétés basées au Pays Bas 9000 millions d’euros aux autres pays de l’Union. La France est le premier pays lésé avec une perte de 2700 millions, suivie de l’Allemagne et de l’Italie avec chacun une perte de 1500 millions et l’Espagne avec 900 millions.  
Arjan Reurink de l’académie d’Amsterdam nous apprend que les flux financiers à travers ces sociétés écrans en Hollande en vue de détourner les impôts s’élève à 4250milliards d’euros soit cinq fois le PIB de la Hollande ! La gestion de ces sociétés écran rapporte à la Hollande 3400 millions d’euros par an.   Même le FMI s’émeut : dans sa publication du 11 septembre 2019, il estime à 15 000 milliards de dollars la somme des détournements grâce à l’ingénierie financière et aux sociétés fantômes ! Et de souligner que 85 % de ces 15 000 milliards sont concentrés dans dix paradis fiscaux. Les Pays Bas et le Luxembourg en accueillent presque la moitié. La Suisse et l’Irlande font partie de ce cercle restreint   Les responsables de l’UE ont pudiquement détourné les yeux devant les manœuvres scandaleuses de certains de leurs membres.
Charly Mac Creewy dévient ministre des finances de l’Irlande en 1997 et fait passer l’impôt sur les bénéfices des entreprises de 50 % à 12 %. Le gouvernement irlandais le fait nommer en 2004 commissaire au marché intérieur sous la présidence Barroso. A la fin de son mandat « Charly » rejoint le conseil d’administration de Ryanair. Seuls des esprits chagrins peuvent penser que cette nomination est un renvoi d’ascenseur pour services rendus ! Et pour conclure l’écart des cotisations sociales entre entreprises irlandaises et françaises est de 1 à 4 !    

La concurrence des Low Cost

Les compagnies européennes ont dû copier la stratégie des américains pour faire face à la concurrence féroce en mettant en place des réseaux en étoile dits « hub & spoke 3 Centre et rayon » pour optimiser les remplissages et réduire les coûts. Mais cette stratégie entraine de facto la fermeture de lignes secondaires et d’un certain nombre de liaisons entre les lignes reliant les aéroports des capitales régionales aux capitales européennes. Et c’est sur ces créneaux abandonnés par les grandes compagnies que vont s’engouffrer les low cost. Contrairement aux USA où aucune compagnie ne bénéficie d’aides spécifiques, en Europe les low cost se sont gavées de subventions publiques, notamment en Espagne, en Italie et en France.

En 2008, les chambres régionales de la cour des comptes dans leur rapport sur la gestion des aéroports français (à l’exception d’Orly et Roissy-CDG) dénoncent les aides versées par les collectivités locales et les chambres de commerce à Ryanair au motif qu’elles sont en réalité des aides d’état déguisées et donc interdites par Bruxelles. 24 aéroports sont épinglés sauf Nice. Les magistrats indiquent en outre qu’une partie de ces subventions est versée à la filiale de Ryanair «  Airport Marketing Service » dont le siège social est déclaré à l’île de Man paradis fiscal britannique. En 2008, ce sont 35 millions d’euros d’aides que touchera Ryanair. Notons par ailleurs que l’existence d’un aussi grand nombre d’aéroports civils en France interroge là encore sur la cohérence de la politique d’aménagement du territoire français en matière d’infrastructures aéroportuaires.

L’UGICT CGT par deux fois en 2011 et 2014 s’adressera à tous les groupes parlementaires pour demander l’ouverture d’une commission d’enquête afin de déterminer le montant total des aides versées à Ryanair depuis le début des années 2000 et surtout pour débusquer les destinataires finaux. A ce jour le syndicat n’a toujours reçu aucune réponse.

Il faut enfin signaler qu’aucune étude sérieuse n’a été réalisée en France sur l’efficacité de ces aides pour le développement des régions desservies par Ryanair. A part bien évidemment les fanfaronnades de son PDG et les analyses pro domo de certains contrôleurs de gestion salariés des aéroports.

Mais en Espagne,  la «comision nacional de la competencia » publie son rapport annuel en octobre 2011 et analyse sur la période 2007-2010 l’impact des 250 millions d’aides publiques versées sur ces quatre ans aux low cost, notamment à Air Nostrum et Ryanair. Elle conclut que ces aides n’ont pas augmenté le trafic de passagers mais seulement opéré un transfert de passagers des aéroports non subventionnés vers les aéroports avec des lignes subventionnées. Elle précise également que ces transferts se font surtout au détriment des compagnies traditionnelles.

Aujourd’hui, grâce aux milliards d’euros d’aides illégales perçues, Ryanair, c’est :

  • 140 millions de passagers transportés, le1er rang en Europe
  • 400 Boeing 737
  • 150 avions en commande.
  • Et bientôt 100 bases en Europe.

Dumping social et subventions illégales avec le silence complice d’élus de tout bord ont permis à Ryanair d’écraser la concurrence. De janvier 2011 à décembre 2018, ce ne sont pas moins de 25 compagnies aériennes européennes qui ont mis la clé sous la porte. Parmi celles-ci, citons notamment Air Berlin qui n’a cessé de dénoncer le versement de ces aides ou Air Méditerranée qui s’est vu impactée par l’ouverture de lignes Ryanair sur son propre réseau.

En France, les gouvernements de tous bords politiques ont soutenu les compagnies rivales des compagnies françaises, le plus souvent en échange de commandes massives d’avions Airbus.

Pourtant, l’apport d’Air France à la richesse du pays a été chiffré par une étude de l’université de Strasbourg, commanditée par Air France. Chargé d’analyser selon des méthodes appliquées internationalement les retombées de l’activité du groupe sur le territoire métropolitain, Herbert Casteran, enseignant-chercheur, et son équipe rendront leur copie en décembre 2012 sur les éléments de l’année 2011. Il ressort de cette analyse que le groupe Air France a généré en 2011 1.4 % du PIB français. Il souligne également que 356 226 emplois y sont attachés dont 61 685 directs.

Rappelons au passage que l’Etat s’est remboursé largement des 20 milliards de Francs (équivalent de 3 milliards d’euros) injectés après la crise de 1993 en vendant progressivement plus de 80 % des actions dans le cadre de la privatisation.

Et malgré ce, nous avons assisté depuis près de vingt ans à des décisions politiques incompréhensibles qui ont mis le transporteur national dans des difficultés croissantes comme nous verrons plus loin

La concurrence internationale

En novembre 2016, dans le documentaire de Jerôme Sesquin  « AIR France splendeur et turbulences », Jean Claude Gayssot, ministre des transports de Lionel Jospin, se vante avec force d’avoir obtenu pour Emirates, lorsque il était aux affaires, les créneaux que la DGAC leur avait refusé auparavant. Rappelons que cet accord était allé de pair avec l’engagement de la compagnie émiratie d’acheter des Airbus.

Rebelote en 2015 quand Jean Yves Le Drian, ministre de la défense, fourgue 24 Rafales au Quatar ! Aujourd’hui Quatar Airways dessert Paris Lyon et Nice et avec Emirates et Etihad, ils pillent le marché France sans contrepartie, affaiblissant Air France.

Et pourtant nos édiles connaissent la réalité de ces compagnies qui bénéficient d’aides de leurs Etats respectifs

Evacuons d’emblée une idée reçue: ils ne payent pas leur carburant moins cher. Ils s’en procurent comme tout le monde sur un marché mondialisé et extrêmement concurrentiel. En revanche ils ne payent pas sur leurs bases de taxes et de redevances aéroportuaires, qui, à titre de comparaison, représentent pour Air France sur la seule métropole 1,5 milliards d’euros par an.

 Aucune cotisation sociale n’est versée par ces entreprises. Ce sont les salariés qui doivent cotiser individuellement pour leur retraite ou leur protection sociale.

Et pourtant, dans la foulée de la publication en avril 2014, dans le cadre de la commission des affaires européennes du Sénat par le rapporteur Eric Bocquet sénateur du Nord, du rapport « Le droit en soute : le dumping social dans les transports européens », Alain Vidalies, récemment nommé en août 2014 secrétaire d’État aux transports, s’exprime longuement au Sénat à la session de reprise

Extraits : « Notre connectivité s’appauvrit ! Sans réaction forte demain, le lien avec l’Afrique et l’Asie pourrait non pas disparaître mais dépendre des compagnies du Golfe, lesquelles bénéficient de subventions de la part des Etats qui les contrôlent, d’un accès au carburant à un prix modique, d’un coût réduit d’accès aux infrastructures aéroportuaires et de conditions sociales et fiscales avantageuses. (…)  Certains d’entre vous à juste titre ont cité le cas de Norwegian Air Shuttle. Je le dis au nom du gouvernement français : face à une compagnie de ce genre, qui cumule tous les mauvais exemples – faux indépendants, travailleurs ayant une résidence à Singapour, rotation des personnels, optimisation fiscale, ignorance des lois sociales —, il n’est pas aujourd’hui acceptable que ce soit les seuls Etats-Unis qui refusent de telles pratiques au motif qu’elles les déstabiliseraient, alors que la commission européenne se contente de dire : “on va voir, on va examiner ; il faut négocier (…) Non ! Je pense que dans ce cas précis la ligne rouge est franchie, et qu’il faut que la commission le dise clairement. (…) Octroyer de nouveaux droits de trafic aux compagnies du Golfe dans les aéroports ne créerait pas de nouvelles destinations pour les voyageurs, les aéroports régionaux étant déjà très bien reliés aux hubs européens comme Paris Charles de Gaule ou Francfort qui desservent le monde entier. (…) Nous devons assurer les conditions d’une compétition loyale entre les compagnies aérienne afin que notre pavillon national ne soit pas structurellement désavantagé.

Manifestement, Messieurs Le Drian et Vidalies ne faisaient pas partie du même gouvernement. Quelle que soit la couleur politique de nos gouvernants, on retrouve dans leurs discours et leurs actions, ce même aveuglement quant à la réalité du secteur, de ses fondamentaux économiques et concurrentiels.

Petits florilèges des discours politiques sur le transport aérien
Luc Chatel, ministre de Sarkozy, vient en 2008 inaugurer la base d’EasyJet à CDG, c’est-à-dire la base du principal concurrent d’Air France sur le territoire national dont l’Etat qu’il représente est le premier actionnaire !   Frédéric Cuvillier, secrétaire d’Etat aux transports du gouvernement Ayrault, qui organise en mars 2014 une réception fastueuse dans les locaux du ministère en l’honneur de Carolyn Mac Call patronne d’EasyJet. A la stupeur générale et apparemment à jeun il déclare sa flamme à la dame en affirmant : “c’est un honneur que vous nous faites de signer (achat d’avions Airbus) au ministère des transports. EasyJet est une belle compagnie. J’ai plaisir d’entendre que votre développement en France sera amplifié”  

Ainsi donc non seulement depuis 1997, tous les gouvernements ont laissé Air France se débattre dans le cadre d’une concurrence déloyale et faussée, mais régulièrement et en connaissance de cause ils ont multiplié les croche pieds. Que, dans ces conditions, Air France se soit maintenue dans le peloton de tête des compagnies aériennes mondiales jusqu’en 2011 relève de l’exploit. Car en plus des événements géopolitiques (attentats du 11 septembre 2001, guerre en Irak, épidémie du S R AS en 2003, crise financière de 2008), Air France a en plus du réussir la fusion avec Air Inter après celle d’UTA commencée 5 ans auparavant et aussi faire face à l’effondrement d’une partie de la toiture du terminal 2E qui a ralenti sa croissance pendant des années. Sans le professionnalisme et l’engagement de l’ensemble du corps social, cela n’aurait pas été possible.

Air France n’a pas été la seule à souffrir de cet environnement: c’est l’ensemble du pavillon français qui est aujourd’hui à l’agonie !

Avec la disparition de XL Airways (prévisible car sous capitalisée) et d’Aigle Azur, il reste peu d’acteurs français dans le ciel français.

Signalons tout d’abord ASL Airlines France, filiale d’un groupe islandais et héritière de l’Aéropostale, fusion d’Air France et de la Poste, avec 19 avions de la famille B737 et la reprise de créneaux de la défunte Aigle Azur. Elle est aujourd’hui le premier transporteur vers l’Algérie.

Air Austral et Air Caraïbes basées respectivement à Saint Denis de la Réunion et à la Guadeloupe sont des compagnies dites de niche, aidées par leurs régions respectives et une stratégie identique. Les deux relient leurs territoires à la métropole et chacune développe un réseau régional à partir de leur base4Madagascar les Comores ile Maurice etc pour Air Austral et la Guyane et les iles des Caraibes pour Air Caraibes avec l’ouverture de Cuba et Saint Domingue. Elles sont dépendantes malgré tout du taux de change car leurs recettes sont pratiquement toutes en euros alors que leurs dépenses lourdes (carburant et avions) se font en dollars. Une appréciation de ce dernier face à l’euro peut avoir des effets négatifs lourds.

Air Corsica bénéficie de la délégation de service public pour la desserte entre la Corse et le continent. Les affrètements d’AIR France sur les lignes Corse-Paris lui assure une activité lui permettant une exploitation équilibrée. Il ne faudrait pas cependant que des illuminés allègent le cahier des charges de cette desserte hautement saisonnière pour ouvrir la porte aux low cost. Nous pouvons cependant faire confiance aux élus corses qui ont renvoyé Sarkozy dans ses buts en octobre 2008 après son souhait de voir les low cost se positionner sur ces lignes ! Rappelons qu’avec plus de 600 salariés Air Corsica est le premier employeur privé de l’île.

 Corsair, après avoir été également une compagnie de niche, s’est progressivement développée vers l’Afrique et les Etats-Unis. Elle est la plus exposée car ne bénéficiant pas de l’aide des régions comme ses consœurs. Sa faillite serait un drame pour les 1200 salariés et affaiblirait le pavillon français en ouvrant la porte à d’autres compagnies étrangères qui s’empresseraient de réclamer ses créneaux au départ d’Orly5Et Air France serait écartée pour ne pas avoir une position dominante sur ces lignes abandonnées..

Ces compagnies emploient quand même plus de 5 000 salariés, sans oublier le nombre d’emplois indirects important que l’on peut estimer à plus de 20 000.

Quand le « sauvetage » d’Air France équivaut à un naufrage

L’épidémie de Covid-19 a entraîné l’arrêt quasi-total de l’activité de transport aérien à travers le monde. Même pour un secteur habitué à gérer des aléas, il est clair que les compagnies, grandes comme petites, ne peuvent faire face, seules, à ce choc sans précédent sans risquer la faillite pure et simple. En France, l’Etat a annoncé « consentir » à Air France un prêt total de 7 milliards d’euros sous deux formes, un prêt garanti auprès des banques et un prêt direct, les deux étant subordonnés à deux impératifs : retour à la rentabilité et devenir un champion du transport écologique (réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 50 % d’ici à 2024, notamment en fermant toutes les lignes aériennes que le TGV peut faire en moins de 2H 30).

Aucune de ces « contreparties » n’a de sens économique, social ou environnemental.

Retour à la rentabilité ? Comme nous l’avons vu, l’Etat est responsable directement de la fragilité des compagnies aériennes françaises. Cette exigence s’apparente tout simplement à un permis de licencier pour son nouveau PDG. Ainsi aux 13 000 suppressions de postes depuis 2010 viendront s’ajouter des milliers d’autres avec un recours annoncé à des licenciements secs. A ces suppressions nettes de postes viendra en parallèle— car ce sont toujours les mêmes recettes qui sont appliquées — un renforcement de la précarisation des emplois, par la sous-traitance de nouveaux pans de l’activité aérienne.

Réduire de 50 % les émissions de CO² ? La conversion de ce gouvernement à l’écologie et sa volonté de réduire l’empreinte carbone des avions Air France doit être scrupuleusement analysée car ce sujet est crucial et mérite mieux que des slogans à visée électoraliste.

 Des faits et de chiffres.

Yves Crozet, professeur et économiste du transport aérien signalait le 26 avril dernier dans un article à OUEST France que depuis l’année 2000 le transport aérien avait augmenté de 60 % et que dans le même temps la consommation de kérosène seulement « de 10 % ». Les avions modernes ramènent la consommation à 3 litres par passager pour 100 km. Et avec l’arrivée des Airbus A220 et le développement des Airbus A350 et des Boing B787, nous irons vers 2.5 litres/passager pour 100 km. Mais ces consommations s’entendent avec des coefficients de remplissage importants et ne sont plus valables en cas de surcapacités.6Sur la ligne Nice-Paris en remplaçant les deux Airbus A319 qui partent à 20 minutes d’intervalle par un Airbus A330 on réduit les coûts de 30 % !

La décision de supprimer les lignes opérées par AIR France quand le TGV relie ces villes à Paris en moins de 2 h 30 est totalement contreproductive.

 Yves Crozet rajoute dans l’entretien cité « Dire qu’on va supprimer les navettes Paris Lyon ou Bordeaux Paris n’a pas de sens. Les voyageurs leur préfèrent déjà le TGV sauf quand il y a correspondance avec un autre vol »

Et c’est là que le bât blesse. La concurrence air-rail qui fait rage en France depuis trente ans sans que les pouvoirs publics interviennent pour la remplacer par une vraie coopération a fait que la SNCF ne relie ni Paris Orly ni Roissy CDG en TGV, sauf un arrêt anecdotique sur sa ligne vers Disney. Nos ministres devraient prendre le TGV à Bordeaux ou Lyon, arriver à la gare de Lyon ou Montparnasse et rejoindre Paris Orly. D’abord arpenter les couloirs de la gare pour prendre le métro puis correspondance avec le RER C et après avoir attendu le bus à Pont de Rungis 4 heures et demie après, ils peuvent espérer commencer leur opération d’enregistrement!

 Mais surtout l’Etat peut par son chantage faire fermer des lignes à AIR France. Mais il ne peut rien contre les règlements européens issus de la déréglementation qui permettent à toutes les compagnies aériennes dont le siège social est dans l’UE d’ouvrir des liaisons entre les différents pays de l’UE ou à l’intérieur d’un même pays ! Si Air France ferme sa ligne Bordeaux Orly, une low cost se positionnera : Volotea, Vueling ou… encore Ryanair. La même Ryanair qui, d’après les sources communautaires, fait partie du top 10 des entreprises les plus polluantes de l’UE, en compagnie de 7 centrales à charbon d’Allemagne, d’une en Pologne et une autre en Bulgarie. Avec ses 9.9 mégatonnes de CO2 produites en 2018 soit une progression de 49 % en cinq ans Ryanair n’attend plus que de reprendre les lignes abandonnées par AIR France. Et c’est un véritable coup de maître qu’aura réussi notre ministre apprenti écologiste : affaiblir AIR France et permettre à Ryanair de polluer encore plus, tout en créant des emplois précaires et mal rémunérés, et en prélevant bien évidemment des subventions publiques au passage.

Le monde d’après

La crise sanitaire actuelle, de par sa violence, a contribué à exacerber l’ensemble des déséquilibres économiques et sociaux dont 99 % des citoyens du monde souffrent depuis de nombreuses années. En France, les fractures de tous ordres ont été révélées : école, logement, numérique, salaire, précarité de l’emploi, exposition aux risques professionnels… Nous aurions pu penser que nos dirigeants auraient pris conscience des dérives du libéralisme débridé qui s’est déchainé depuis les années 80 et qui a mis le monde au bord du chaos. La crise de 2008 avait été un avertissement et la pandémie actuelle aurait dû réveiller les consciences. Le cas des transports aériens tendrait à montrer que le logiciel du monde d’avant va être réinstallé – à l’identique si ce n’est en pire, à moins d’un réveil citoyen vigoureux.

Et pourtant des alternatives existent : penser un système de transports intérieurs (au niveau national, au niveau européen, si ce n’est international !) qui répondent aux enjeux d’aménagement du territoire, c’est-à-dire des besoins de la population : besoins professionnels, besoins de loisirs aussi, besoins des trajets étudiants, familiaux,…. Un système de transport qui repose sur les atouts des grandes entreprises françaises historiques parce que sont en leur sein que se trouvent les expériences, les savoir-faire, portés par des collectifs de travail qu’il faut re-stabiliser. Fermer des lignes (de train, d’avion, de tram-bus, cyclables,…), en rouvrir d’autres, s’appuyer sur les besoins locaux, penser le transport de passagers en cohérence avec celui des marchandises,… tout en assurant la cohérence d’ensemble par le biais d’un état stratège et dé-idéologisé.

Mais s’agissant du secteur des transports, et particulièrement dans le secteur aérien par essence international, ces alternatives passent par une coopération internationale ou tout du moins européenne qui demanderait de redéfinir les fondements de l’Union européenne. Et oui, c’est là où l’on retrouve la question de l’harmonisation sociale et fiscale européenne — pourtant au fondement du Traité de Rome mais jamais mise en œuvre ; c’est par ce biais que la lutte contre l’évasion fiscale au sein même de l’UE permettrait de dégager les marges de manœuvre financière dont nos pays auront besoin pour se relever plus forts, plus égaux, dans un monde que nous pourrions espérer un peu plus beau que celui « d’avant ».

Mais si la France n’arrive pas à convaincre ou à imposer à ses partenaires de réguler le trafic aérien au sein de l’UE pour en finir avec les surcapacités, le gâchis industriel et environnemental ne pourra que perdurer et ce malgré les 7 milliards « prêtés » à AIR France. Celle-ci et le pavillon français dans sa globalité ne pourront que péricliter avec ce que cela implique de destructions d’emplois, de richesses et de perte certaine de souveraineté nationale.

Une réflexion sur “France : le transport aérien à la croisée des chemins, José Rocamora et Valérie Barca*

  1. Où est la comparaison bilan carbone 100 km/passager sur trajet inférieur à 250 km entre train, TGV, avion ?
    Quoique très intéressant, l’article semble vraiment pro domo.

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