Crise sanitaire : n’oublions pas les médicaments dérivés du sang !

Peu connus du public, les médicaments dérivés du sang sont un enjeu industriel majeur. Pourtant, depuis des années les centres de productions ont été délaissés, navigants entre insuffisance dans les investissements et incompétence de leurs dirigeants.

Par Jean-Pierre Basset – militant du don de sang, Valence.

La crise du Covid-19 révèle au grand jour des carences que, hier, seuls des milieux spécialisés ou militants abordaient, comme la dépendance à l’Asie pour des médicaments essentiels. Devant les faits, le président Macron en personne s’est rendu le 31 mars 2020 à l’entreprise Kolmi-Hopen de Saint-Barthélemy-d’Anjou (Maine-et-Loire), qui produit des masques chirurgicaux, où il a déclaré que « notre priorité est de produire davantage en France et en Europe, partout où nous avons des sites de production français, de monter en volume, de pousser davantage nos capacités et de créer aussi de nouvelles capacités de production [et qu’] il nous faut retrouver la force morale et la volonté pour produire davantage en France et retrouver cette indépendance ».

LA FILIÈRE FRANÇAISE À L’ABANDON

D’autres problèmes sanitaires restent inconnus du public, comme le besoin de médicaments dérivés du sang (MDS) ou la situation difficile de l’établissement public qui les produit, le LFB (Laboratoire du fractionnement et des biotechnologies).

Les MDS se répartissent en trois catégories : l’albumine, utilisée dans les pratiques hospitalières ; les facteurs de coagulation pour les hémophiles et les immunoglobulines (ig) pour traiter les déficits immunitaires. Pour les deux premières, notre pays est autosuffisant, pour les ig nous sommes déficitaires, le LFB ne fournissant plus que 35 % du besoin.

Le LFB fractionne chaque année 980 000 L de plasma fournis par les donneurs de sang bénévoles. Certains MDS, comme l’albumine ou les ig, sont produits en quantité ; d’autres, comme alfa-1 antitrypsine (pour le traitement du déficit pulmonaire ou hépatique) ou le facteur XI (pour le traitement d’une forme rare de l’hémophilie), sont extraits en quantités microscopiques à des couts que les citoyens ne peuvent imaginer.

Le LFB, dont l’usine principale se situe à Lille, n’a jamais été financé à la hauteur des besoins de santé publique. Une moyenne annuelle de quelque 500 000 malades bénéficie des productions du LFB, qui dispose de 18 autorisations de mise sur le marché (AMM), donc d’autant de médicaments traitant 80 pathologies. Fin 2018, l’usine de Lille, obsolète, a connu de graves pannes entrainant la destruction de médicaments et le blocage de lots en attente de leur validation par l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM), qui a établi un calendrier de rupture des stocks. Dans un contexte déjà difficile, cela a « plombé » les ressources du LFB. Gouvernement et direction ont alors décidé « d’ouvrir le capital » du LFB, opération rendue possible grâce à l’article 48 de la loi… Macron, alors ministre. Cela transformerait les produits sanguins éthiques en marchandise générant des dividendes. C’est inacceptable pour les donneurs de sang.

Il est à noter que financement insuffisant s’est conjugué avec l’incompétence des administrateurs nommés par l’État. Jusqu’à fin 2017, seulement deux d’entre eux « n’avaient une expérience dans le secteur pharmaceutique, aucun dans le fractionnement du plasma »1Cour des comptes, rapport 2019, p. 281., particulièrement complexe.

Des interventions parlementaires et l’action de militants du don de sang ont conduit l’État à fournir 51,3 millions d’euros puis 96 millions, au titre « d’avance en compte courant d’actionnaire ». Mais il manque encore environ 170 millions pour terminer, en 2023, la construction de l’usine d’Arras, dont la taille et la capacité (3 millions de litres) réduiront les couts et pourraient permettre l’autosuffisance nationale.

Si l’avenir du LFB n’était pas assuré, nous deviendrions encore plus dépendants des multinationales qui tiennent le marché mondial dans un contexte de pénurie et de besoins croissants, de 10 % par an en France comme dans le monde. Répondant à un rapport de la Cour des comptes de 2019, Agnès Buzyn, ministre de la Solidarité et de la Santé, qui note des tarifs des ig du LFB inférieurs aux prix pratiqués en Europe et aux États-Unis par les firmes multinationales concurrentes2Depuis 1993, une directive européenne classe les dérivés du sang en « médicaments », ce qui permet leur commercialisation par quatre multinationales, y compris dans les hôpitaux français. L’essentiel du plasma collecté par les multinationales est prélevé en rémunérant des populations défavorisées aux États-Unis, en Europe centrale aussi. Paradoxalement, les États-Unis, qui collectent 70 % du plasma mondial, ne disposent pas d’une industrie du fractionnement. Ils sont dépendants des multinationales opérant en Europe à partir du plasma américain transporté congelé., écrit : « un affaiblissement du LFB pourrait engendrer une hausse des tarifs de ig en France », donc des dépenses de santé publique. Dans cette réponse, Mme Buzyn soulignait que, au monde, « sept spécialités sont produites aujourd’hui exclusivement par le LFB ». C’est dire la gravité de l’enjeu pour les victimes de maladies rares à disposer d’un établissement public et la légèreté des pays développés qui ne s’en préoccupent pas, la complexité de ces productions et le nombre limité de malades n’engendrant pas de profits suffisants pour les multinationales.

INTERPELLATION POLITIQUE

Cela a amené André Chassaigne et le groupe GDR à l’Assemblée nationale à demander la création d’une commission d’enquête sur le système transfusionnel3Assemblée nationale, no 2628, 30 janv. 2020.. Toutes les sensibilités parlementaires devraient s’associer à cette démarche, et les citoyens « y mettre leur nez ». C’est un enjeu de santé publique.

De son côté, mi-avril 2020, la direction de la Fédération française des donneurs de sang bénévoles s’est adressée au président Macron pour demander le financement par l’État des besoins du LFB. La demande a été rapidement relayée par des unions départementales auprès des parlementaires.

Au chapitre des gâchis et de l’abandon, on notera que face aux difficultés financières consécutives aux pannes de Lille (et à la gestion erratique passée), la direction du LFB a décidé – et le gouvernement a laissé faire – de vendre sa filiale dédiée aux biotechnologies4Le LFB explore aussi le domaine de la transgénèse pour la production de protéines recombinantes pour l’antithrombine et des facteurs de coagulation, ainsi que la production d’animaux transchromosomiques avec l’hypothèse de traiter Ebola par des immunoglobulines spécifiques., CellForCure, à la multinationale suisse Novartis pour produire l’anticancéreux Kymriah, que la Sécurité sociale a accepté de rembourser au tarif de 320 000 € l’unité, et ce bien que la Haute Autorité de santé ait considéré que ce médicament « apporte un service médical rendu mineur (ASME IV) en termes d’efficacité ». CellForCure avait été en 2013 le premier plateau européen de médicaments de thérapie cellulaire, sur le site des Ulis (Essonne).

La Cour des comptes observe dans son rapport de 2019 (p. 280) que, d’une part, le développement des biotechnologies a été encouragé par l’État et que, d’autre, ce développement a été financé (700 millions d’euros) par « un prélèvement sur la marge dégagée par l’activité de fractionnement du plasma », c’est-à-dire par le don de sang bénévole. La vente à Novartis en est d’autant plus scandaleuse. Si on vivait dans un monde normal, une commission d’enquête parlementaire aurait dû être créée.

Après la crise sanitaire, le débat devrait s’engager rapidement pour la création d’un pôle public du médicament, dans lequel le LFB devrait avoir une place ainsi que la filiale pharmaceutique de l’EFS.

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