Le CEDS s’oppose encore au plafonnement des indemnités pour licenciement illégal, Dorian Mellot

Le comité européen des droits sociaux (CEDS), qui veille au respect de la charte sociale européenne par les Etats membres du Conseil de l’Europe1, vient de rendre une décision s’opposant au plafonnement des indemnités pour licenciement abusif2. Cette décision intervient avant que la France ait elle-même à défendre son barème devant ce comité.

Une décision contre le plafond d’indemnisation italien

Il s’agissait en l’espèce des plafonds fixés en Italie. La Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL) avait saisi le comité d’une réclamation contre le décret législatif n° 23/2015. Ce texte basait le calcul de l’indemnité pour licenciement illégal sur l’ancienneté, limitant cette indemnité à 6, 12, 24 ou 36 mois de salaire. Cette décision va dans le même sens que celle déjà rendue3 sur le plafond d’indemnisation de la Finlande en 2016.

Le Comité rappelle que « les mécanismes d’indemnisation sont réputés conformes à la Charte lorsqu’ils prévoient : – le remboursement des pertes financières subies (…), – la possibilité de réintégration du salarié et/ou – des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime »4.

Or le texte contesté ne prévoit ni la possibilité de réintégration et ne permet pas de couvrir les pertes financières effectivement subies du fait du licenciement5. En outre, le plafonnement conduit à accorder des indemnités qui ne sont pas en lien avec le préjudice subi, ce qui n’est pas suffisamment dissuasif pour les employeurs6.

Aucune autre voie de recours ne permet d’obtenir cette indemnisation, il existe bien une indemnité civile mais qui ne se fonde pas sur le caractère illégal du licenciement. Ceci conduit le Comité à conclure à une violation de l’article 24 de la Charte, qui impose aux Etats membres de reconnaître une indemnité adéquate aux « travailleurs licenciés sans motif valable ».

La prochaine décision concernera le « barème Macron »

Le Comité sera amené au cours de l’année 2020 à rendre une décision sur le barème d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail, issu des ordonnances travail7. Ce barème plafonne l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 20 mois de salaire. Soit un plafond plus bas que l’Italie ou la Finlande8.

Des voies de recours permettent de ne pas appliquer ce barème, notamment en cas de nullité du licenciement9 ou d’utiliser la technique civiliste de l’abus pour le contourner. Mais des mécanismes comparables semblent exister en Italie.

Une décision semblable rendue au sujet du barème français est donc une hypothèse à envisager sérieusement. Se pose alors la question de l’impact d’une telle décision dans l’ordre juridique français. La Cour de cassation a eu l’occasion de rendre un avis10 sur la conformité de l’article L. 1235-3 du code du travail.

La Cour a écarté l’effet direct de l’article 24 de la Charte sociale, c’est-à-dire qu’elle a écarté la possibilité d’invoquer cet article directement devant le juge français car il laisse « une trop importante marge d’appréciation »11. Choix étonnant quand elle reconnaît l’application directe de l’article 10 de la Convention n° 158 sur le licenciement de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), alors même que ces deux textes traitent du caractère « adéquat » de l’indemnisation.

Le choix est moins étonnant si l’on prend en compte la décision du CEDS concernant la Finlande, décision que les juges de la Cour de cassation n’ignoraient pas, de même que la saisine du CEDS concernant ce même barème. Il n’est pas impossible que la Cour ait cherché à priver d’effet la décision à venir du CEDS.

Il ne s’agit cependant que d’un avis et non d’un arrêt. Par conséquent cette appréciation « ne lie pas la juridiction qui a formulé la demande »12, pas plus qu’il ne lie les autres juridictions ou la Cour de cassation elle-même. Il est en effet déjà arrivé que la plus haute juridiction française ne suive pas ses propres avis comme ce fut le cas dans l’arrêt n° 02-24.145 du 30 janvier 2014 en matière de procédure civile.

Par ailleurs, la Cour de cassation juge en droit et non en fait. Elle ne peut donc apprécier concrètement si dans les affaires qui lui sont soumises la situation empêche ou non une indemnisation adéquate, seule l’appréciation souveraine des juges du fond le peut. La Cour de cassation peut donc dire que l’article L. 1235-3 du Code du travail est conforme à l’article 24 de la Charte, c’est son appréciation abstraite, mais seuls les Conseils de Prud’hommes et les Cours d’Appel peuvent évaluer le caractère adéquat d’une indemnité au regard d’une situation concrète.

Le barème est donc bien fragile et une décision du CEDS dans le même sens que les précédentes viendrait conforter les Conseils de prud’hommes qui frondent pour assurer ce principe élémentaire du droit : la réparation intégrale du préjudice subi.

1 N. b. : l’Europe à 47

2 Décision n° 158/2017, du 11 février 2020, CGIL c. Italie

3 Décision n° 106/2016, du 8 septembre 2016, Finnish Society of Social Rights c. Finlande

4 Paragraphe 87 de la décision n° 158/2017

5 Paragraphe 92

6 Paragraphe 96

7 Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail

8 L’indemnité dans la loi finlandaise est plafonnée à 24 mois de salaire.

9 La nullité du licenciement peut être prononcée en cas d’atteinte à un droit ou une liberté fondamentale ou en cas de discrimination.

10 Avis n° 15012 et 15013 du 17 juillet 2019

11 Note explicative de la Cour de cassation sur les avis précités

12 Article L. 441-3 du Code de l’organisation judiciaire

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