Livres (N°26)

L’Évolution, de l’univers aux sociétés. Objets et concepts 

Sous la direction de MURIEL GARGAUD et GUILLAUME LECOINTRE, Éditions Matériologiques, Paris, 2017, 505 p.

Les coordinateurs, respectivement physicienne et paléontologiste de très haut niveau, ont pris l’heureuse initiative de réunir une trentaine de scientifiques, dont les spécialités vont de l’astrophysique à la génétique et de la zoologie à l’économie, pour brosser une sorte de panorama de l’état actuel des connaissances scientifiques dans le domaine de l’évolution.

Ce terme est pris en un sens très large, allant bien au-delà du sens habituel de l’évolution biologique, et qui comprend, à partir du big bang, la formation des atomes et des molécules de plus en plus complexes, les galaxies, les étoiles et les planètes, pour arriver aux sociétés humaines. Chaque chapitre est rédigé par au moins deux auteurs, assurant ainsi une diversité de points de vue et une objectivité très bienvenues dans ce contexte.

Le résultat, fort réussi malgré des différences de niveau et de clarté, est une magnifique fresque de l’évolution de l’Univers à la lumière de la science actuelle. Les aspects constructifs de cette évolution à partir d’un magma initial apparaissent au grand jour, englobant dans un continuum cosmologie, physique des particules, chimie, biochimie, biologie, éthologie et sociologie. Cela a très peu à voir avec la vision apocalyptique et très peu convaincante de la sélection naturelle induite par la lutte pour la vie, qui ne constitue que l’un des multiples mécanismes à l’œuvre lors dans cette histoire naturelle.

J’ai trouvé particulièrement fascinante la description (où les descriptions, dans des chapitres divers) de la formation de planètes, où des mécanismes internes (tels que magnétisme, lui-même produit par des mouvements convectifs dus à la pression et température) et externes (réception de météorites, poussière spatiale, énergie solaire…) s’imbriquent avec des mouvements tectoniques de nature purement mécanique pour produire des effets variés rendant compte de la diversité structurelle (du moins à l’état présent) des planètes et de leurs satellites.

Mais le lecteur ne trouvera pas réponse à toutes les questions qui se posent de façon naturelle et légitime, et on le comprendra : la connaissance scientifique est elle-même en évolution, à la recherche de ces réponses, dans le respect et l’approfondissement des relations de causalité qui constituent la nature même de cette connaissance.  

EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA


De la science à l’industrie. Cellules souches embryonnaires et biotechnologies en France 

PHILIPPE BRUNET, Quæ, Versailles, 2019, 240 p.

L’ambiguïté du titre de ce livre, tantôt vaste, tantôt précis, est un peu à l’image de son contenu. Un peu touche-à-tout dans un domaine d’actualité, important et controversé, mais dont la complexité et les enjeux sont loin de recevoir la clarification et les descriptions précises et explicites que le lecteur béotien aurait souhaitées. Il y trouvera néanmoins une profusion de faits historico- sociologiques de grand intérêt, souvent éclairés par des interviews vivantes et renvoyant à une bibliographie pertinente.

La première partie est consacrée au problème des cellules souches embryonnaires humaines ; sujet très épineux où science, technologie, éthique et convictions morales des divers acteurs se télescopent. Comment coordonner les demandes d’autorisation exigées par le Comité national consultatif d’éthique avec les projets hasardeux de toute recherche incertaine ? les demandes de crédits et la compétition internationale avec des équipes souvent non soumises aux mêmes contraintes ?

La réponse est : assez mal, aussi mal qu’avec les autres partenaires… Ainsi va la recherche lorsque la quête de connaissances fiables n’est pas le vecteur principal de l’activité.

Une deuxième partie est consacrée à une tentative d’interprétation socio-philosophique de cette problématique complexe. Partant de la double constatation que les sciences sont bel et bien insérées dans le monde économique et que la recherche de vérité n’est pas un travail salarié au sens usuel du mode de production capitaliste, l’auteur convoque des classiques aussi différents que Marx (1818-1883) et John Dewey (1859-1952) ainsi que des auteurs plus modernes, surtout Pierre Naville (1904-1993) mais encore Lucien Sève (1926-), Robert Kurz (1943-) ou Anselm Jappe (1962- ) pour faire un premier tour d’horizon de la moderne sociologie de la recherche en biologie et médecine, incluant le mouvement biohacking.

EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA


Pour une révolution dans la mer. De la surpêche à la résilience 

DIDIER GASCUEL, Actes Sud, Arles, 2019, 511 p.

Livre remarquable, d’une profondeur et d’une perspicacité rares, abordant sous des angles variés l’une des facettes de l’économie et du rapport de l’homme à la nature.

On y apprend que la surpêche ne fait pas disparaître les espèces : elle diminue leur population d’équilibre, ce qui compromet le futur de la pêche elle-même. Les relations entre les espèces, leurs proies et leurs prédateurs, ainsi que l’incidence de la pêche – y compris l’âge et la taille des prises – sont analysées et expliquées.

Mais c’est surtout la contradiction entre l’intérêt immédiat et la prévision à long terme qui est traitée de façon subtile et convaincante, exhibant parfois l’impossibilité de trouver des solutions optimales et renvoyant au projet de société, au politique.

Mais le livre est résolument optimiste (il est émaillé de « travailler moins pour gagner plus » parfaitement expliqués), ne cachant pas les progrès réalisés dans l’organisation internationale de la pêche, dont il analyse les tendances et les intérêts.

Le texte, outre que son auteur, gage de sérieux et de compétence, est professeur d’écologie marine et membre des conseil scientifique d’Ifremer et du conseil scientifique des pêches de l’Union européenne, gagne encore en crédibilité en se limitant à traiter le problème relativement réduit de la pêche.

Cela dit, il apparaît comme une évidence que les méthodes d’analyse et un bon nombre des pistes lancées s’appliquent à des domaines bien plus vastes de la sphère économique, surtout dans le contexte actuel du changement climatique et de la prise de conscience de la finitude des ressources. Je ne saurais que trop conseiller sa lecture, surtout pour la méditation et le développement des méthodes et des éléments de réponse aux grandes questions de notre temps qu’on y trouve.

D’ailleurs, le titre ne trompe pas, loin de l’angélisme peu crédible souvent affiché par des écologistes non scientifiques, voire des végétariens et des végans. 

EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA


Algorithmes : la bombe à retardement 

CATHY O’NEIL, Les Arènes, Paris, 2019, 352 p.

Ce livre, traduit de l’anglais (États-Unis) et préfacé par Cédric Villani, est un best-seller outre-Atlantique, où l’auteure est une figure emblématique de la mouvance des lanceurs d’alerte et de la réflexion contre la pensée unique.

Elle s’attache à décrire et à dénoncer les mécanismes par lesquels l’invasion de l’informatique dans la société dévoie les buts visés. Un algorithme de calcul n’est qu’une machine à tirer les conséquences d’une vision simplifiée des phénomènes qu’il traite; il laisse toujours la place aux conséquences des éléments qui n’ont pas été pris en compte dans cette simplification.

Or l’opacité inhérente au traitement informatique, qui manipule des quantités colossales de données, rend impossible la vérification et le contrôle citoyen (l’adéquation aux buts visés) de ces algorithmes ; ils deviennent ainsi des machines incontrôlées, amplifiant et même créant des biais (le plus souvent des injustices déguisées en justice) contraires aux desseins affichés.

Mais il y a plus : le manque de contrôle permet un remplacement des intérêts d’une communauté par ceux des technocrates aux motivations opaques, protégés par l’exactitude des calculs.

L’auteure, mathématicienne et informaticienne, a travaillé dans la finance puis dans une start-up qui l’élaborait de modèles prédictifs d’achats des consommateurs, mais cela ne l’a pas détournée de son sens de l’humain ; bien au contraire, elle a vite compris les buts prédateurs et destructeurs des edge funds, devenant, bien en connaissance de cause, experte en démontage des vices cachés des algorithmes utilisés dans des questions de société.

Après une description générale des modèles, le texte s’articule en des chapitres consacrés à des domaines divers : la publicité, la justice, la recherche d’un emploi, l’obtention d’un crédit, les assurances, l’accès à l’enseignement supérieur, et bien d’autres.

Ce qu’on y apprend est absolument nécessaire pour garder un minimum d’objectivité face à un monde qu’on nous présente comme le meilleur possible, ou même comme le seul possible.

EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA  

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